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3 novembre 2016

Comment je suis devenu fou

Maintenant que je vois le bout du tunnel de la psychiatrie, je vais vous raconter comment j’y suis entré, comment je suis devenu fou.

“Si c’est vers une plus grande réalité que nous nous tournons, c’est à une femme de nous montrer le chemin. L’hégémonie du mâle touche à sa fin. Il a perdu contact avec la terre.” Henry Miller

Partons de cette image qui m’accompagne depuis 6 ans: une femme qui ponctue le schéma de l’évolution.

En novembre 2010, j’ai pressenti qu’il était venu le temps de la révolution des femmes. Rien d’insensé jusque là, la révolution était dans l’air, on était à quelques mois du printemps arabe.

Sauf que le 24 novembre à l’aube, j’atterrissai à l’hôpital psychiatrique. A 2h du matin, je m’étais levé direction Place d’Italie pour assister à la révolution. C’était le grand soir! Rien d’insensé là encore, j’étais persuadé que la femme italienne du président Sarkozy était aux commandes et il y avait eu une grande manifestation sur la place quelques jours auparavant.

Voyant que la place était déserte et craignant pour la vie de ma mère qui m’avait suivi (il devait y avoir des snipers sur les toits), je me résignais à mon tour à la suivre aux urgences dans le plus grand mutisme, non sans avoir hurlé Che Guevara! au cas où…

Après être revenu d’un échange universitaire en Argentine, la patrie du Che, je m’étais inscrit en parallèle de mon cursus d’architecte à un cours sur la formation des Etats-nations en Amérique Latine. Normal, quand on veut faire la révolution. A l’école d’architecture, j’avais commencé à m’investir dans un cours un peu philo sur l’art de l’espoir allant jusqu’à écrire un Manifeste du Nouveau Monde qui a ensuite été publié sur internet.

Il y a eu cette conférence sur les tours d’un architecte italien, le samedi 20 novembre, où j’ai pris le micro pour exposer ma théorie sur la ville phallique où les tours seraient l’expression de l’égo démesuré de ces architectes-hommes, poussant l’animateur de la conférence à inviter la femme et collaboratrice du dit architecte sur scène. C’est là qu’en sortant de l’ancienne cinémathèque de Paris et en voyant la tour Eiffel éclairée, j’ai ressenti une décharge de bonheur, comme si je venais de m’éveiller à la vie et d’arrêter le cours du temps.

Le soir même, je commençais à voir des signes partout, Barcelone gagnait 8-0, je m’inscrivais sur Facebook pour annoncer la « bonne nouvelle » et découvrais que c’était l’anniversaire de la fille que j’aimais à la folie au Lycée, encore un signe! Et puis vint le dimanche soir, le Napoli gagne 4-1, le journal télévisé parle d’une affaire Berlusconi et je me mets à rêver de la révolution des femmes italiennes.

Je commence à craindre pour ma vie, ces machos ne vont pas se laisser faire, je choisis de ne pas aller en cours le lundi, la police et l’église doivent être à mes trousses. Je croyais que le bruit des camions poubelles était celui des chars qui se mettaient en place autour de chez moi. Je vois défiler les news et là je vois un énième rebondissement du conflit en Corée sauf que j’étais alors amoureux d’une fille coréenne et je me dis qu’ils sont en train d’attaquer la Corée pour se venger. C’est là, que j’entends une voie rauque au répondeur du téléphone, pas dans ma tête, c’est la police!

Le lundi soir, je me décide à sortir pour aller voir une autre conférence à l’ancienne cinémathèque, j’entends les cloches sonner, c’est un message de l’église, même pas peur, je suis le nouveau prince de Paris (j’avais lu le Prince de Machiavel comme tout bon révolutionnaire). Portable coupé, je suis sur écoute.

Le mardi, je me décide à aller en cours sauf qu’arrivé à Nation, je change de direction, j’ai sauvé l’humanité, allez, je peux bien faire ce qui me plaît, direction la Tour Eiffel. Je m’arrête à Châtelet et regarde un journal italien, pas de révolution en cours, silenzio stampa… Je repars vers l’école, je suis persuadé d’y retrouver la fille du lycée mais elle n’y est pas. Mes amis italiens m’accueillent, ils sont de mèche avec Berlusconi, les caméras me regardent, je me tais et les suis en cours. Le professeur annonce qu’il vient de se faire décorer! Normal, avec ma théorie sur les tours qui a circulé comme une rumeur dans tout Paris, il ne pouvait en être autrement! Et puis, je retourne à la maison, il y a cette bougie allumée en forme de cœur, ma famille aurait-elle tout compris? Et ce film Valse avec Bachir à la télé qui me parle à la première personne!

Plus que quelques heures avant l’hospitalisation, je vais me coucher, la suite vous la connaissez. Arrivé aux urgences, je ne parle plus, sauf au troisième médecin, qui est italien, je lui fais confiance. Il m’injecte des tranquillisants et je me réveille dans un dortoir le jour d’après. Une fois seul, je pique une brosse à dents. Là, les souvenirs sont flous, je me retrouve seul dans une chambre d’isolement, croyant que j’étais pris en otage et qu’on allait me tuer, normal. Et là, on me laisse m’époumoner à hurler mon nom, et puis c’est la dose de cheval, je ne peux plus marcher, parler, écouter la radio, le temps ne passe plus, je suis mort psychiquement.

Pas besoin de chercher dans mes gènes pour expliquer ma folie. Ce qui m’a rendu fou?  L’amour, la peur de devenir adulte, la peur de mourir, le déracinement, les violences familiales, la solitude, la difficulté à communiquer avec les autres, le stress du diplôme.

La psychiatrie doit rester une réponse exceptionnelle à des souffrances extrêmes, mais j’aimerais par ce récit vous inviter à voir la folie autrement et la psychose comme quelque chose d’évitable.

Joan

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