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29 avril 2023

Survivre à la psychiatrie #13 [Liouba]

survivre à la psychiatrie liouba

Survivre à la psychiatrie, survivre en état permanent de survie.

En flash-backs des corps meurtris, des esprits bégayants, des odeurs d’hôpital et d’urine, des piqûres, des sangles de la contention, des couverts en plastique, de la chambre d’isolement. Des vies comme des ballons de baudruche, abandonnés derrière les murs, mous et à bout de souffle, qu’on perce sans éclater.

Survivre à la psychiatrie c’est ne jamais oublier l’immensité de ce monde d’absurde, des traitements qui dévastent tout sur leur chemin, des prises en charge erratiques qui jonglent avec la légalité et le mépris total de tout droit de l’humain.

S’habituer à sa laisse. Demander un peu de mou. S’en contenter. Plus on se débat, plus on s’englue. Alors on se fige, on se calme, on redescend.

Survivre à la psychiatrie, c’est devoir se relever aujourd’hui, quand on a été allongée si longtemps qu’on ne voit plus hier ni demain, le mois dernier ou le mois prochain. Quand on a été attachée si longtemps qu’on en a les jambes enflées. Quand on a été shootée si longtemps que nos dos sont courbés : béquillés par des ‘eptiques on ne va pas très vite.

Survivre à la psychiatrie c’est bon pour celles qui peuvent y survivre. Qui ne sont pas trop détruites, juste les bords émoussés, les stigmates à l’intérieur, bien planqués.

Survivre, se relever, retrouver sa force, son humanité, après avoir été infantilisées, végétalisées, animalisées, privées de parole, privées de conscience.

Survivre à la psychiatrie c’est porter la colère en soi. Le pourquoi eux, pourquoi moi, pourquoi ce silence du monde valide, ce rejet à-priori. Au mieux l’indifférence, pour les pas tout à fait humains.

Survivre à la psychiatrie, pour les copines à l’intérieur. Celles avec qui on a partagé des heures d’ennui, des centaines de clopes, des marches en cercles infinis. Pour celles à l’HP depuis 20 ans, 40 ans, toute leur vie, une vie blanche, entre quatre murs, sans loisirs, sans espoirs, sans droits, sans liens avec le dehors, avec juste une putain de télévision, quatre programmes devant lesquels stagner, stagner toute la journée. Survivre à la psychiatrie pour celles qui y retournent. Celles qui survivent moins bien.

Survivre à la psychiatrie « c’est beaucoup de courage ! ». Quelle connerie. Survivre à la psychiatrie, c’est jouer la comédie de l’adaptée, dans une société qui isole, contentionne, maltraite, ridiculise. Lorsqu’on voudrait briser les seringues, recracher les pilules, refuser de collaborer. Feindre le calme pour être détachée, feindre la normalité pour sortir. Se construire une vie comme un voile sur sa folie, sur sa différence, les araignées et les visions barricadées à l’intérieur.

Survivre à la psychiatrie, rêver de tout cramer.

Ne pas s’être foutue en l’air à la sortie.

Survivre à la psychiatrie, à la machine à normaliser – et si elle ne peut pas normaliser, machine à rejeter les folles, les bizarres, les improductives en tout genre.

Survivre à la psychiatrie c’est se battre pour vivre, pour soi, pour les autres, pour abolir les soins contraints, la société validiste, la systémie de l’oppression, la stigmatisation. C’est oser parler haut et fort. C’est dire que ce n’est pas une seule histoire, ni un seul pays ni une seule époque. C’est la polyphonie de nos douleurs. C’est se rassembler, s’entraider, avec nos sœurs, les autres minorisées qui luttent pour leurs droits les plus vitaux, entraîner nos alliées derrière nous.

Survivre à la psychiatrie, n’est jamais un acquis.

Survivre à la psychiatrie c’est faire de ses faiblesses, ses vulnérabilités, ses stigmates, une force.

Survivre à la psychiatrie c’est entrer collectivement en action pour en venir à bout.

Survivre à la psychiatrie pour celles qui sont parties.

Liouba


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