Vous autres – épisode 9
Vous autres revient par intermittences et continue au moins jusqu’en 2018 !
Vous avez manqué les premiers épisodes…
Le reporter avait réveillé quelque chose en moi de l’ordre de la honte, de la culpabilité et peut-être même du dégoût de moi-même. C’était vrai que je n’avais jamais réellement été utile à cette société, je vivais à se crochets et en plus la haïssais un peu quelque part. Mais il me semblait bien que d’être entretenu par un système d’aide sociale se payait autrement que financièrement. Déjà, il était clair que je vivotais, je n’étais pas bien riche. Mais en plus, s’exerçait sur moi un contrôle social, une forme de tutelle de mes faits et gestes qui m’était assez insupportable. Comme si, ces petites sommes d’argent versées chaque mois, me retiraient une part de ma liberté. Comme si, parce qu’on me donnait on s’octroyait des droits sur moi et sur ma façon de mener ma vie. Alors oui, pour les braves gens, tout somme d’argent a sa contrepartie, et c’est peut-être partiellement légitime. Mais il me semblait parfois que ce contrôle débordait un peu et qu’il envahissait de nombreux domaines de mon existence… Un peu comme avec les enfants… Les parents donnent trois sous d’argent de poche et s’octroient des droits incommensurables sur la vie de leur rejeton. Finalement, tout se paye, c’était clair. Ce qui n’est pas soldé par du travail se retrouve soldé par du pouvoir exercé sur celui qui reçoit la mendicité. J’avais parfois le sentiment d’être non pas ce qu’ils nomment un assisté, ni même un cas social, mais bien un sous-homme, qui parce qu’il ne peut subvenir à ses besoins par un travail, perd son statut d’individu libre et autonome. Comme si, parce que je ne travaillais pas, je n’étais plus un citoyen et qu’il fallait me faire payer ce retrait involontaire du système. J’avais une maladie, invalidante, handicapante, qui m’avait contraint dans les marges de la société. Et en plus, on me faisait payer humainement cet exclusion, cette marginalisation subie. Ils ne voulaient pas que je travaille, jamais ils n’auraient créé des conditions me permettant de faire quelque chose d’utile, mais en plus de ce refus de m’intégrer à une place que je pourrais tenir, ils me reprochaient de ne pas réussir dans des conditions pour moi impossible. Non seulement la société ne me faisait pas de place adaptée à ce que je suis mais en plus elle me condamnait pour incapacité à tenir dans un moule pas à ma forme. Ça me rappelait cette citation d’Einstein, sur le poisson rouge et l’intelligence. J’étais moi et on me demandait d’être quelqu’un d’autre pour être respecté et admis dans le sérail des gens convenables. Tout ça pourrait encore me révolter, mais j’y étais tellement accoutumé que ça m’attristait seulement. Je savais que notre monde ne changerait pas de mon vivant. Dans cette vie, on fabriquait des cases moulées, on formatait ensuite les enfants pour qu’ils puissent plus tard entrer au forceps ou non dans ces cases pré-moulées. Mais chez moi le formatage avait fait dérailler la machine. Et aucune case ne pouvait plus me correspondre. Je me retrouvais ad vitam aeternam dans la case prison du Monopoly. Pourtant, si l’on prenait le parti de dire que tous doivent être utiles et que l’on doit tirer bénéfice de chacun en construisant tous notre propre case à notre forme initiale, on en serait peut-être pas là. Le pire, c’est qu’aujourd’hui, je n’imagine pas le nombre de personne sans case disponible… De nombreux handicaps médicaux, sociaux, politiques, ethniques etc., font qu’aucune case ne correspond à une grande partie de la population.
Pour ma part, j’avais accepté d’être marginal subi, j’avais compris que ce monde ne voulait pas de moi. Ce n’était pas moi qui l’avait rejeté mais bien lui, et il me le reprochait. A l’usure, ce comportement du système m’avait fait admettre que j’étais biologiquement inadapté à cette folie furieuse du 21ème siècle, et la révolte que cette condamnation sociale sans procès avait générée m’avait rendu marginal par choix. Je ne voulais plus de ce monde. Alors oui, il ne voulait pas de moi, mais il m’avait trop écœuré pour que je puisse encore vouloir de lui. Du coup, j’étais marginal par choix et par contrainte, mais de fait je ne pouvais que l’être.
Demain, je serais peut-être ici, ou en prison, ou dans mon petit appart que dans sa grande bienveillance, ce monde qui me rejetait avait bien voulu me concéder moyennant une visite hebdomadaire d’un inspecteur de ma salubrité. Alors oui, j’admirais un peu cet ex-reporter de guerre, futur critique littéraire, parce qu’au fond peut-être avais-je encore un peu envie de faire partie de ce monde par moment.
phase3
8 octobre 2017 chez 13 h 02 minOui, la société ne fait pas tellement de cadeau.
Mais » Faire société » n’est-il pas le moyen de pallier aux handicaps de chacun ?
Ce serait cela l ‘ HUMANITÉ, la Vraie, sachant que la somme des individus qui la composent ne génère pas un SUPER HUMAIN (il faudrait pour cela éliminer ce que l’on appelle vulgairement défauts ou handicaps). Ainsi, on a plutôt un citoyen dans la moyenne et comme rien ne prouve qu’un groupe humain entier ne peut pas être dans l’erreur, se torturer ne sert à rien.
Soyons déjà heureux d’avoir passé la nuit.