À propos de CHARGE de l’autrice Treize. [SNG]
(ceci n’est pas un essai critique mais plus un manifeste en coconsonance ; et fuck aux mots hors la nomenclature du dictionnaire que j’ai dû bricoler pour singulariser mon propos hors des cases, sinon j’aurais fait une BD.)
J’ai rencontré Treize sur la scène slam en 2018, alors que j’entreprenais moi-même (sans trop savoir ce que je foutais) un coming-out psychiatrique par ce biais de la scansion conjoint au témoignage BD, après des années de mutisme, durant et à propos de l’épopée qui m’enlise dans l’hôpital, du début de l’adolescence à mes 28 ans.
Les scènes ouvertes, comme leur dénomination le laissent ouïr, accueillent toutes les paroles, la mienne, celle de Treize ou de tout.e autre orateur.trice d’un soir, sans jugement, avec intérêt et attention, avec encouragement et complicité.
Treize, sur scène, c’est lancinament poétique, c’est enraciné, c’est encombre-membre, c’est haut-le-corps détouré qui hurle en secrets à bras nos cœurs.
À l’époque où nous nous découvrons sur les tréteaux des fonds de bars, je ne sais que très peu du parcours qui se délite en front à la voix poignante, bouleversée, bouleversante, depuis la grotte s’incisive jusqu’à la gorge un visage confusément grave et délicat, un doux regard traversé par l’histoire, contenue, envers et contre sa crue.
La poésie, le slam, le rap, nous les explorons, je le crois communément, sur un flow guerrier, une détonation langagière de la chair, excisée des méandres de l’effroi au bide. Nous nous employons au travail de réparation, d’apaisement sur parole de la faillite humaine éprouvée.
Élire domicile dans l’épouvantaïble moi.
Parce qu’il a tout catapulté de l’intérieur, le corps, intoxiqué par l’expérience de la terreur silencieuse, ses fonctionnalités brouillées depuis l’abysse des cocktails chimiques s’arque, s’incline, redevable en tous actes manqués, en non-dits, en prosternations humiliées.
Bourdonne la solitude de l’internement indéfini, l’impertinence de dénuder l’expérience taboue, au risque de représailles, au risque de sa peau. Le corps bouilli s’enflamme par la bouche, sa lèvre inférieure affranchie du baratin médicinal.
La poésie incendie l’espace, au grand chut de sidération.
L’oppression régie les tables de loi de l’H.P, dont les disciples rédigent les sanctions saintes à l’agile assimilation, digestion, puis incinération intra-muros. Entre nos murs du corps, les parois sont franchies sans justificatif, sans législation, sans soin du jus qui coule chez tout.e un.e patient.e qui séjourne à contre-gré.
Cette agression ascendante n’a pas de nom, ne peut s’interpréter qu’à l’éprouvement, qu’à l’adhésion démentielle du symposium médical qui parque d’aucuns autres corps pour rattraper au dressage, à la déformation, au bourrage de bonnes mesures la réunification de l’état normal.
Y a pas de témoins sinon ce corps qui trinque, qui se transforme, se monstruose, sinon quelques notes retranscrites en carnets qu’on s’essaie à tenir pour traces, ces traces aux membres griffés de haine, ses livres de frappe bourrelées ou dispersées à l’étage.
Se sauver sauf fauve et veuf.
Du deuil à l’aliénation, le rabaissement s’ordinaire, la vigilance continue, la tension côtoie l’ennui, l’attente et dilemme du constat diagnostic, ce pour quoi on ne sait pas ce qu’on fabrique ici, ni comment agir là, passiviter pour partir vite, sans récidive, s’effacer sans lacets du tabloïd.
Irrémissiblement perquisitionné.es de l’esprit en civière, la psychiatrie nous harnache par la maladie pour ne plus jamais nous relâcher au demeurant libres et léger.es, au risque de l’éclope irrévocable. Plus jamais vivre dans la fermeté du temps présent, resurgir d’incertain passé et prévenir hagard.e à tout à l’heure.
Le sursis ne constitue pas une vie approuvable, ce à quoi nous sommes condamné.e.s, réduit.e.s de profil en victime, de face rescapé.e.s ou crevettes (même empâtées) outrepassées entre les mailles. Alors, on se rebricole un quotidien malagile, rythmé par la houle de tiroirs parasites à trier, par les accès de peur et réminiscences qui crachinent en trombes dans l’agglomération.
D’hier à demain, si je vous dis qu’on chuchote psychiatrie, qu’on grignote psychiatrie, qu’on somnole psychiatrie, qu’on se morfond psychiatrie, que mon hospice embrume psychiatrie, qu’aujourd’hui-même, je bosse en psychiatrie…
Alors alien.é.e.s ; sans aucun doute.
Humain.e.s ? D’autant plus habilement peaufiné.e.s.
Merci Treize, inaliénable merci,
SNG
Découvrez la vidéo de la scène slam x Treize x Charge, du vendredi 17 février 2023 au Quinze.Bis by Gibert. Sur l’invitation de Treize et pour la sortie de son livre CHARGE, avec Audace, Vinz, SNG, Canard, Maiamed Ali :
Les références de l’ouvrage en question : Charge de Treize. Parution en format Poche, le 1er février 2024. (6.40€)
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