« Aidez nous à nous rétablir! », Alain Karinthi
Merci à Alain pour cette contribution!
En psychiatrie comme en psychologie, le rétablissement (terme traduit de l’anglais recovery) fait l’objet de controverses en France; sa compréhension par les professionnels fait souvent l’objet de résistances. Concrètement, cet état de fait se traduit pour nous, personne vivant le trouble, en difficultés de vie supplémentaires. Pour faire bref, pour construire notre rétablissement, nous ne pouvons dans la plus grande majorité des cas faire sans les soins, mais la position des soins dans l’organisation des ressources d’aide est objectivement problématique.
Le rétablissement, pour nous, c’est un processus qui se déclenche dans le vécu d’une personne atteinte de troubles psychiques, vivant de manière singulière la souffrance psychique, qui permet in fine de vivre de façon harmonieuse, quelle que soit la méthode qu’elle va employer pour y parvenir. Ce n’est pas seulement des techniques, et un but, mais bien un cheminement vers et dans cette harmonie, une construction d’équilibres et de déséquilibres perpétuels au fur et à mesure de nos choix de vie, formant une vie normale, menée par une personne atteinte de troubles psychiques,( « un psychotique »), même les plus sévères: schizophrénies diverses et variées, troubles bipolaires sévères avec des passages maniaques, et autres troubles anxio-dépressifs dits majeurs.
C’est notre cas, c’est le cas de beaucoup d’entre nous, et cela paraît juste impensable pour la France entière qui nous entoure. Pire, pour nous, les soignants en grande majorité sont aussi convaincus qu’il est impossible de se rétablir, du moins pour une bonne si ce n’est la majeure partie d’entre nous.
Pour nous, le rétablissement, c’est vivre une vie satisfaisante ou avoir la conviction d’être en train d’en construire une: c’est avoir espoir en une vie satisfaisante. Cette vie satisfaisante se définit de la même façon que pour la population générale avec les mêmes critères (inclusion sociale et professionnelle, bien être, autonomie, accès aux soins, capacités de mobilisation de ressources existantes, satisfaction des besoins élémentaires, etc…). Il s’agit d’un processus qui vise à rétablir un mode de relation dans lequel notre particularité (souffrant psychique) n’est plus le centre de notre identité, face à un monde, une société, un environnement avec qui la relation est, ou a été parfois si difficile, si troublée. C’est rétablir et maintenir un mode de relation de qualité où le critère de la maladie n’est plus prépondérant dans notre inscription sociale. Notre capacité à nous inclure (apprentissage/construction d’une expertise de gestion de soi) et la capacité de notre environnement à nous accepter peuvent permettre un point de rencontre, une véritable porte d’entrée de l’inclusion sociale. La solution pour nous est surement pour nous, personnes vivant avec une maladie psychiatrique sévère, de se prendre en main, lutter pour nos droits, espérer ensemble et s entraider, avoir le courage de témoigner pour que cela change.
Il existe aujourd’hui un fossé gigantesque entre les représentations, les présupposés, les peurs de la population et la réalité de ce qu’est le quotidien de ceux qui souffrent de troubles psychiques sévères, qui se rétablissent ou tentent de le faire, souvent encore envers et contre tout. D’un coté les personnes présentant des troubles psychiatriques sont 13 fois plus agressé et 100 fois plus victime de vols que la population générale, d’un autre coté, 80 % de la population française attribuent les actes criminels à des « fous » alors que les statistiques sont formelles c’est la consommation d’alcool et non la maladie psychiatrique qui est le facteur principale de violence et de crime.
Le rétablissement est une réalité, un possible, quels que soient les troubles psychiques, quelle que soit leur gravité, quelle que soit leur expression symptomatique. Des données probantes, via des études de cohortes situe entre 30 et 50 % le taux de rétablissement dans la schizophrénie. Les études qualitatives montrent que le rétablissement est un cheminement éminemment personnel, ne peut être prescrit, déclenché, ou forcé; il peut en revanche être soit accompagné, soit freiné ou empêché.
Dans l’imaginaire collectif, le quotidien d’une personne diagnostiquée schizophrène, bipolaire est incompatible avec le fait d’être un responsable associatif ou politique, un employé, un bénévole, un chef d’entreprise, un cadre ou un parent voire même un ami. Mais sachez que c’est la réalité de beaucoup d’entre nous, qui gardent leurs troubles clandestins, de peur pour de voir leur vie brisée par les préjugés. D’autres, plus nombreux encore sont empêchés dans leurs ambitions, par la stigmatisation puis l’autostigmatisation qu’accompagne l’inscription dans un parcours psychiatrique.
Les institutions de soins psychiatriques en France reconnaissent mal notre possible rétablissement. Dépositaires d’un savoir médical, revendiquant le monopole d’expertise de ce qu’est la psychose, elles dénient aux personnes qui la vivent toute compétence et les maintiennent, les “stabilisent”, tout en obéissant aux peurs irrationnelles de la population générale, ce qui les amènent à enfermer et garder enfermé bien plus que nécessaire de plus en plus de personnes, les privant ainsi de leur liberté, au nom de la… Sécurité ! Ces pratiques entravent les possibilités réelles de rétablissement. Si l’on va mieux, c’est que l’on n’était pas vraiment malade ! La réalité de nos souffrances et de nos efforts, l’identification à ceux qui se sont rétablis, c’est cela que nous revendiquons.
L’alliance thérapeutique n’est pas une fin en soi, ni la voie royale, et la façon dont elle est souvent recherchée rend l’accompagnement parfois contre-productif. C’est d’ailleurs là, souvent, dans le renversement du rapport au soin que se joue le point de départ de la reprise du pouvoir sur nos vies:
Le rétablissement se construit autour du savoir que le patient-usager acquiert sur lui-même et sur les services d’aide mobilisables, dont la médecine. Ceux qui se rétablissent ont repris le pouvoir sur leur maladie, sur leurs symptômes par la connaissance de soi et la construction de stratégies personnelles; ils ont vu leur relation aux médecins se transformer.
Nous appelons la psychiatrie à une révolution, en termes de posture thérapeutique, révolution toujours contrariée par les peurs et méconnaissances de la population. Le pronostic de handicap définitif hérité de l’étiquette médicale limite nos vies et résonne comme une condamnation à mort, mort personnelle et sociale.
Sombre tableau du présent… Mais il est permis d’espérer: plusieurs expériences existent, qui visent à créer des approches et des accompagnements favorisant le rétablissement. Ces projets, encore minoritaires, sont divers: ils ont en commun de valoriser l’espoir de rétablissement et l’expertise de vécu, ainsi que la recherche de données scientifiques probantes sur l’efficacité de nouvelles manières d’accompagner les personnes ayant des troubles psychiques dits sévères. Nous avons besoin de tous ces projets et de toutes les données qui documentent leurs effets, pour faire évoluer au mieux et au plus vite, la connaissance, les mentalités et les pratiques.
Aidez-nous à nous rétablir et laissez-nous avoir de l’espoir !
Alain Karinthi, médiateur de santé pair diplômé, équipe lilloise de suivi intensif dans le cadre du programme Un chez soi d’abord.
Gaullier
27 janvier 2023 chez 1 h 12 minMerci de m’avoir permis de lire ce document . Une éclaircie du vécu de mon petit fils de 17 ans aux multiples pathologies