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20 mai 2017

Un architecte chez les fous

un architecte chez les fous

Tout comme la perception d’un espace construit ne peut se réduire aux dimensions métrées d’une pièce, le vécu de la folie ne peut se réduire à sa dimension pathologique.

C’est un peu comme si dans une phrase, on se concentrait uniquement sur les fautes d’orthographe sans s’attacher au sens, à la construction voire à la poésie des mots mis ensemble.

Vous pourrez toujours dire qu’un espace fait 3m par 3m, qu’il est bas sous-plafond, que les murs sont en pierre, vous ne saisirez jamais ainsi la perception que s’en fait une personne. De même, si on se limite à décrire la folie en termes de symptômes, d’hallucinations, on passe à côté de la perception du sujet habité par la folie.

D’ailleurs quand on entre dans une pièce, on a toujours conscience d’être à l’intérieur, qu’il y a un dedans et un dehors, on est rentré par quelque part, on a franchit le seuil d’une porte, on sait à peu près par où on est passé et où on est, on a une sorte de carte mentale.

L’espace physique est aussi un espace mental et symbolique. Certes les murs d’un espace ne bougent pas, mais on tourne autour, on le voit de loin, de près, on y rentre, on y monte, on reste un instant, on part, on revient. Prenons l’exemple de la tour Eiffel, c’est un repère dans la ville et une icône planétaire. Elle a une valeur esthétique, une logique structurelle ce n’est pas qu’un assemblage de ferraille.

Dans notre vie, on fréquente une multitude d’espaces qu’on investit mentalement, là où on travaille, nos lieux de loisirs et surtout là où on habite, son chez soi. Se sentir chez soi, c’est important, ça participe de notre équilibre, c’est donner une valeur au lieu, y mettre un peu de nous, ce n’est pas juste un toit sur la tête ou une appartenance nationale.

L’ancrage dans un lieu est important pour l’identité d’une personne et son équilibre mental. Quand on est déraciné, qu’on ne trouve pas sa place dans la société où on vit, on peut toujours dire à l’intéressé d’aller voir ailleurs mais le chemin le plus court c’est souvent la folie.

Partir loin, s’évader d’une réalité morose sans prendre l’avion, c’est ça la folie.

Quand on est habité par la folie, c’est le monde qui nous habite. Ce n’est pas un mouvement de l’intérieur vers l’extérieur mais l’inverse, le monde rentre en nous. Les filtres avec l’extérieur se dissolvent et on peut être envahi par des signes, par des voix, par des visions qui sont autant d’interprétations de notre cerveau du monde extérieur. Ces interprétations ne sont fausses que pour l’observateur extérieur mais ce n’est pas tellement à l’intérieur que ça se passe mais bien dans l’intéraction avec le monde extérieur. Il n’y a en fait plus d’intérieur, notre corps n’est plus, on est un pur esprit qui ne fait qu’un avec le monde.

On perçoit l’espace physique comme n’importe qui, les murs sont là, c’est juste notre corps qui a disparu.

Il faut donc redescendre sur Terre et rerentrer dans son corps qu’on n’a pourtant jamais quitté !

Pour vous faire redescendre, on a inventé les anti-psychotiques car comme ça se passe dans la tête, il faut arrêter la machine. Donc on vous bloque les émotions, les pensées voire l’énergie vitale à coup de médicaments qui sont en fait des tranquillisants.

C’est ainsi qu’on traite la folie aux urgences psychiatriques. Les médecins, pour vous protéger et protéger les autres, décident de vous sédater et de vous interner.

L’hôpital psychiatrique

L’hôpital occupe une place privilégiée dans l’image qu’on se fait de la folie. Personne ne veut finir chez les fous. C’est un lieu symbolique, c’est comme la prison, un lieu coupé du reste de la ville par de hauts murs austères. Ici, il y a bien un dedans et un dehors et une fois sorti on vous regarde autrement. Peut-être parce que vous savez, vous, ce qui se passe derrière les murs.

Vous l’aurez compris, pour faire tomber les représentations négatives sur la folie, il faut que l’hôpital cesse d’être un non-lieu, dont on préfère ignorer l’existence et ce qui s’y passe.

Moi, je me suis réveillé dans ce lieu après avoir été sédaté aux urgences. Je n’ai pas vu par où je suis rentré, je n’ai compris que j’étais à l’hôpital que lorsque ma mère m’a transmis ce petit dessin, je découvrais alors qu’on ne m’avait pas kidnappé, que j’étais à Soisy près de la Seine.

soisy sur seine

Je n’avais pas dit un mot depuis mon réveil, ils m’ont alors mis dans une chambre avec un lit et un seau et m’ont enfermé à double tour pendant deux jours je pense. Seul entre ces quatre murs, j’ai commencé à croire à une prise d’otage, on n’enferme pas les gens juste parce qu’ils sont fous.

Ils allaient me tuer alors j’hurlais mon nom de toute mes forces pour qu’on sache qui j’étais. Dans cette chambre d’isolement, je n’étais qu’un agité de plus, dans l’engrenage d’un soin psychiatrique pris dans ses propres logiques où le manque de moyens et de formation fait qu’au lieu de vous demander votre nom et de vous rassurer, on vous boucle entre quatre murs car les murs auraient une fonction contenante.

Les murs ne parlent pas, il n’y avait pas la charte du patient hospitalisé à lire, j’aurais aimé des mots, pas des murs, n’importe quel mot mais pas ce silence signifiant mort et abandon thérapeutique.

On m’a sorti de là quand j’ai découvert un magazine sous le matelas et que je me suis mis à découper des mots pour faire des phrases et à les passer sous la double-porte pour qu’on vienne m’aider.

Faire des phrases comme quand j’écris maintenant pour qu’on ne banalise pas cette souffrance. La souffrance n’était pas en moi, je n’étais plus moi, je souffrais le monde, ce monde qui m’avait enfermé sans raison apparente.

Je délirais pour un monde meilleur et voilà comment le vrai monde m’a répondu.

C’est triste, tout comme ce qui a suivi, la disparition des pensées du fait des médicaments, de toute capacité à réfléchir au point de ne plus pouvoir faire des phrases. On vous bloque toutes les pensées et les émotions, on ne les trie pas. On dit que si on arrête brutalement le traitement, les pensées incohérentes reviennent.

Je n’ai pas essayé par peur de retourner à l’hôpital. Ne pouvant plus m’exprimer, j’ai plongé dans le désespoir, mon corps est tombé malade, je ne ressentais plus rien et mon espace vital s’est rétréci au point de ne plus sortir du lit.

Soigner c’est redonner un espace à la folie, c’est permettre à une personne de se reconnecter avec son corps et avec le monde. L’enfermement et les médicaments ne soignent pas la folie, ce sont des outils au service d’un projet thérapeutique, à priori celui de redonner à la personne les rênes de sa vie.

La ségrégation spatiale des fous s’accompagne d’une ségrégation mentale. Changer les regards c’est aussi participer à faire tomber les murs.

Il ne s’agit pas de détruire les lieux de soins, il s’agit d’en ouvrir les portes, de décloisonner, de les rendre humains, de créer un espace capable d’accueillir un état de conscience altérée.

Accueillir la folie, c’est pouvoir rassurer, avoir une parole apaisante, être une présence, un repère. L’architecture, par son agencement et ses couleurs, ne saurait à elle seule assurer ce rôle.

Mais tout comme on pourrait être en droit de demander un personnel soignant de qualité, disponible et bien formé, on pourrait imaginer de nouveaux lieux, ouverts sur la ville, ayant une certaine qualité architecturale pour accueillir les personnes en crise ou en difficulté, non pas uniquement des lieux de consultations mais aussi des lieux où la vie reprendrait ses droits.

One Comment on “Un architecte chez les fous

Mathilde Thomas
6 avril 2022 chez 21 h 48 min

Hello !
J’étudie actuellement en design de l’environnement avec une concentration en étude féministe, je m’interesse particulièrement à la manière dont la matrice de domination patriarcal à une influence dans le milieu de soin psychiatrique, par l’espace tangible. Merci pour ce magnifique texte, je me demandais alors qui en était l’auteur.e ?

D’avance merci,
Belle journée !

Mathilde Thomas

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