Déconfinement, doit-on s’affoler ?
Récemment, on a pu lire des psychiatres affolés qui craignent de voir arriver une vague de décompensations psychologiques dans l’après corona virus immédiat. Des gens, déjà suivis en psychiatrie et d’autres, qui tiennent tant bien que mal et qui tirent sur leurs ressources psychiques pendant le confinement, seraient amenés à craquer pendant le déconfinement.
Non, ce n’est pas un virus qui va nous rendre fou. Même si apparemment, parmi les nouveaux patients psy, ceux qui ont décompensé pendant le confinement, c’est souvent lié au contexte du corona virus, à la saturation d’information, à l’isolement forcé.
Pourquoi cette perspective du jour d’après, où on se retrouvera tous, est-elle anxiogène ?
Vous avez tous envie de revoir des amis, des proches éloignés, ou même votre psy, d’avoir une contenance affective ou un soutien psychologique.
Il n’y a pas de quoi avoir honte d’être resté enfermé chez soi pendant deux mois, tout le monde a partagé ce vécu et ce sentiment de solitude et d’isolement.
Alors pourquoi les gens angoissent et même les psychiatres ?
Est-ce le retour à la normale qui fait peur ? Est-ce dû au fait que le quotidien ait été bousculé voire immobilisé ? Le manque de soutien pour vivre cette torpeur du quotidien sera-t-il la cause de craquages psychologiques ?
Côté psychiatrie, on a aussi lu que l’interruption du suivi par les psys, pendant le confinement, pourrait conduire les patients au long cours à arrêter leur traitement médicamenteux.
Est-ce là la seule chose qui préoccupe les psychiatres qui passent dans les médias ? Est-ce que leur métier se résume à contrôler les humeurs et les angoisses par leurs prescriptions médicamenteuses?
La peur est aussi grande du côté des patients de devoir sortir pour se rendre à une consultation et d’attraper le virus en salle d’attente ou pendant le trajet.
Certains redoutent de devoir reprendre les transports en commun pour aller au travail, d’autres redoutent également de les prendre pour aller voir le psy.
Mais alors, que se passerait-il si on arrêtait d’aller travailler ou d’aller voir le psy ?
Pour les uns, on perdrait toute ressource économique, pour les autres on décompenserait ?
Il ne s’agit pas d’opposer les travailleurs aux patients psy, car beaucoup de travailleurs sont au bord du craquage, ou déjà fous, et que « patient psy », ce n’est pas une catégorie sociale.
Ce n’est pas parce que le travail ou le suivi psychologique s’est transformé ou interrompu à cause du confinement que la vie de chacun s’est arrêtée.
Mais, avons-nous changé ? On nous dit que le monde ne sera plus comme avant, plus de bisous, qu’on marchera dans la rue avec une vigilance accrue, qu’on portera des masques. C’est comme si le futur se résumait à la fin de la crise sanitaire, à des mesures de protection et d’hygiène renforcées.
Le monde d’après ce n’est pas que la crainte de voir des gens atterrir en psychiatrie. Si on a survécu sans les psys, ça ne veut pas non plus dire qu’ils ne servent à rien, qu’ils ne sont pas essentiels à la société.
Ceux qui ne décompenseront pas, malgré le corona, ce sont ceux qui ont eu un contexte favorable de confinement, qui ont eu cette contenance affective, qui ont pu souffler et apaiser leurs angoisses.
Non, ce n’est pas le virus qui rend fou. C’est le manque de soutien social, le manque de solidarité entre nous, le désespoir, c’est-à-dire la façon dont on vit le confinement quand on n’a pas non plus de résidence secondaire où aller se préserver.
Si nos dirigeants nous répètent que c’est juste une crise sanitaire et que ce n’est pas la fin du monde, rien ne nous empêche de constater que nous ne sommes plus comme avant et la planète non plus.
Le point de vue pessimiste serait de dire qu’il va falloir se serrer la ceinture pour relancer l’économie.
Mais d’un autre côté, on peut se réjouir du résultat de deux mois de confinement sur la santé de la planète, quand les voitures, les avions, les usines s’arrêtent, la planète se refait une santé.
C’est vrai que le confinement c’est déprimant au bout d’un moment, mais ça nous a quand même permis d’inventer de nouvelles manières de rester en lien, je pense à la radio à distance de la Colifata France, et de constater que lorsque la machine économique tourne au ralenti, l’écosystème se porte mieux.
Il est aussi vrai que beaucoup n’ont pas la chance de vivre le même confinement que nous, que les soignants se démènent comme des fous pour lutter contre le virus et n’ont pas eu le temps de souffler.
L’hôpital public les a pressés comme des citrons et ça ne sera pas sans conséquence sur leur santé. A nous de les soutenir au-delà des primes ou des chaleureux applaudissements mais aussi de nous rappeler que l’hôpital n’a pas été à la hauteur de nos besoins.
Qu’il soit psychiatrique ou général, l’hôpital et ses urgences ne sont plus à la hauteur depuis bien avant la crise du corona. Ce ne sont pas que les tests et les masques qui manquent, ce sont aussi des soignants en quantité et en qualité pour réhumaniser la machine hospitalière et aussi des dirigeants qui ne soient pas là que pour gérer les flux ou les sous mais pour soigner l’humain.
La menace de finir à l’hôpital, d’être relégué à la condition de patient psy, c’est-à-dire de patient potentiellement non-réanimable en cas d’infection par le virus, c’est peut-être ça qui nous tient bien confinés.
Pour déconfiner le futur, c’est cette structure sociale et cette déconsidération de la santé mentale et de la psychiatrie qu’il faudra remettre en cause car, pour moi comme pour d’autres, il est hors de question de remettre un pied à l’hôpital tant qu’il fonctionnera comme ça, cet hôpital où la vie d’un patient psy n’a pas de valeur, où on l’exclut des soins autres que psychiatriques.