Le discours d’un président aux usagers de la psy
Discours fictif d’un(e) président(e) en campagne.
Mes chers compatriotes,
Laissez-moi vous raconter une anecdote : l’autre jour, alors que j’entrais chez le boulanger pour acheter un pain au chocolat, un jeune homme m’interpelle et me dit d’un ton sérieux : moi aussi je suis schizophrène. Il m’expliqua qu’à force de nous entendre répéter dans les médias, nous les politiciens, que nous ne sommes pas schizophrènes, il avait tourné le dos à la politique et à ce monde plus fou que lui.
A mon tour, je vais vous avouer ma folie. Oui, je suis fou, assez pour croire que je peux redresser notre pays et fou pour croire que l’avenir de ce jeune homme sera en société et non pas une vie d’errance solitaire.
Si je suis élu à la tête de l’Etat, je ferai du bien-être mental le premier indicateur de la richesse de notre pays. Un peuple heureux et en bonne santé, voilà ce à quoi nous devons tendre. Aujourd’hui, on voudrait nous faire croire qu’on ne plus vivre heureux, que la science et la technologie progressent au détriment de notre bonheur, qu’il y a toujours plus malheureux que soi. La détresse de la société s’exprime dans le nombre de personnes fréquentant les services de psychiatrie de notre pays : 2,4 millions à ce jour.
La souffrance psychique et la violence de nos modes de vie n’est pas qu’une affaire privée, elle est partout, aussi bien à la maison qu’à l’Assemblée, au travail comme dans la rue. Trop souvent elle condamne à l’isolement et au rejet social. Notre société fabrique des malades au rythme qu’elle les rejette. Le suicide, la souffrance au travail, les addictions, les troubles du sommeil, les dépressions, nous sommes tous concernés de près ou de loin par la santé mentale.
Si je suis élu à la tête de la Nation, je ne fustigerai pas les personnes qui bénéficient de la solidarité nationale par l’allocation pour le handicap ou le remboursement de leur traitement. Je serai le président de tous les français et le garant de notre bien-être mental. La santé mentale est à la fois un enjeu majeur de santé publique et un projet de société, c’est un enjeu social autant que sanitaire.
Je tiens à m’adresser à vous, usagers de notre système de soins, qui trop longtemps, avez été exclus de la citoyenneté et traités comme des fous. Si je pouvais me faire votre voix, je dénoncerais avec force le cynisme avec lequel on laisse sur le bas-côté ceux qui ne suivent pas la cadence. On jette les gens comme des mouchoirs parce qu’on estime qu’il ne sont pas adaptés et ainsi ils couvent des souffrances qui conduisent épisodiquement à des violences terribles sur soi et sur les autres et qui alimentent la psychose générale. Je tiens aussi à dénoncer la psychiatrisation de nos modes de vie, la mise sous médicaments dès la plus tendre enfance, et la prospérité de l’industrie pharmaceutique aux dépends de l’assurance maladie.
Si je suis élu président, j’agirai pour une indépendance effective des institutions sanitaires et des chercheurs vis à vis des laboratoires pharmaceutiques. J’encouragerai la diversité des recherches au-delà du domaine des neurosciences pour inclure la recherche et la formation par les usagers eux-mêmes.
De nos jours, si vous avez le malheur de tomber malade, on ne vous expliquera pas que, par souci d’économie, les professionnels de santé n’ont plus le temps de vous écouter, de faire leur métier avec passion car ils sont invités à respecter des protocoles pour vous remettre d’aplomb ou du moins pallier votre souffrance plutôt que de la comprendre.
Si je suis élu, je ferai disparaître les chambres d’isolement et autres pratiques traumatisantes de contention synonymes de pratiques asilaires d’un autre temps. Je financerai le développement d’initiatives hors les murs, d’infrastructures de petite taille sur le modèle des maisons de répit et de rétablissement sur tout le territoire pour réduire les inégalités géographiques d’accès à l’aide thérapeutique mais aussi aux ressources pour se réaliser au sein de la société.
Si je suis élu, je mettrai en place une politique ambitieuse de prévention en santé mentale pour limiter les conséquences sociales pour la personne, son entourage et la société. L’apprentissage et le soutien psychologique dès le jeune âge devront permettre à chacun de pouvoir venir en aide à celui qui en a besoin. Le bien-être mental commence par un mieux-être collectif qui s’apprend à l’école.
Je mettrai en place une politique d’information, d’éducation et de valorisation à destination du grand public pour que la fragilité psychique cesse d’être une honte sociale.
Le mieux-être mental ne se limite pas au rétablissement d’une maladie, il comprend l’amélioration de l’environnement social dans lequel on évolue, par de meilleurs relations interpersonnelles mais aussi par plus de justice sociale et climatique.
Nous devons faire l’effort d’ouvrir les lieux de la psychiatrie pour dé-diaboliser la folie. Je consoliderai les dispositifs d’accompagnement pour permettre aux personnes en difficulté de s’insérer socialement que ce soit par l’emploi ou toute autre activité sociale épanouissante. Nous devons réussir à valoriser les talents de chacun pour co-construire une société inclusive où il fait bon vivre.
Dans ce chemin, nous devons nous appuyer sur une plus grande participation citoyenne aux instances démocratiques. J’encouragerai la démocratisation des Conseils Locaux de Santé Mentale qui sont des instances de concertation et de coordination entre les élus, la psychiatrie et les habitants, pour l’inclusion sociale, le logement, les loisirs, le travail.
Je conclurai sur la nécessité de vaincre cette peur de la maladie psychique trop souvent alimentée par l’amalgame qu’en font les médias avec la violence, voire le terrorisme, et dont les politiques sécuritaires et liberticides menées jusqu’ici ne sauraient être la bonne réponse. Bienheureux celui qui aurait la bonne réponse à ce sujet mais contentons-nous dans un premier temps de ne plus traiter les personnes concernées comme des fous et nous pourrons alors construire un dialogue salutaire pour l’ensemble de la société.
Je vous remercie.