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7 février 2016

« Explaining My Depression to My Mother », Sabrina Benaim [ENG/ESP/IT/FR]

[FR]

Expliquer ma dépression à ma mère : une conversation.

Maman, ma dépression prend plusieurs formes. Une journée, elle est aussi petite qu’une libellule dans la paume d’un ours.

Le lendemain, elle est l’ours.

Ces jours-là, je fais la morte jusqu’à ce que l’ours me laisse tranquille.

J’appelle les mauvais jours : « Les jours noirs. »

Maman dit : « Essaie d’allumer des chandelles. »

Mais quand je vois des chandelles, je vois la chair d’une église, le vacillement d’une flamme, des étincelles d’un souvenir naissant…

Je suis debout à côté de de son cercueil ouvert.

Ce moment où j’apprends que tous les gens que je connaîtrai dans ma vie vont mourir un jour.

Par ailleurs, maman, je n’ai pas peur du noir. Peut-être que cela fait partie du problème.

Maman dit : « Je croyais que le problème était que tu ne pouvais pas sortir du lit. »

Je ne peux pas, l’anxiété me tient en otage dans ma maison, dans ma tête.

Maman demande : « Elle arrive d’où, l’anxiété? »

L’anxiété est la cousine en visite, qui arrive de l’extérieur et que la dépression s’est sentie obligée d’inviter à la fête.

Maman, je suis la fête. Seulement, je suis une fête à laquelle je n’ai pas envie d’être.

Maman demande : « Pourquoi n’essaies-tu pas d’aller à de vraies fêtes, voir tes amis? »

Bien sûr, je fais des plans. Des plans de sorties auxquelles je n’ai pas envie d’aller.

Je fais des plans parce que je sais que je devrais avoir envie d’y aller, je sais qu’à d’autres moments j’aurais eu envie d’y aller.

Mais ce n’est pas amusant de s’amuser quand tu n’as pas envie de t’amuser, maman.

Tu vois maman, chaque nuit l’insomnie m’étreint dans ses bras et me plonge vers la cuisine. Dans la lumière de la cuisinière l’insomnie me fait croire à cette idée romantique que la lune est ma compagne parfaite.

Maman dit : « Essaie de compter les moutons. »

Mais ma tête ne sait que compter les raisons de rester éveillée.

Alors je vais prendre des marches, mais mes rotules tremblent et se cognent comme des cuillères en argent tenues par des bras forts avec des poignets branlants.

Elles résonnent dans mes oreilles comme des cloches d’église maladroites qui me rappellent que je suis une somnambule marchant sur un océan de joie dans lequel je ne peux pas me baptiser.

Maman dit : « Le bonheur est un choix. »

Mais mon bonheur est aussi vide que la coquille d’un œuf percé.

Mon bonheur est une forte fièvre qui va casser.

Maman dit que je suis tellement bonne pour faire tout un plat avec rien et me demande soudainement si j’ai peur de mourir.

Non, maman, j’ai peur de vivre.

Maman, je me sens seule.

Je crois que j’ai appris, quand papa est parti, comment changer la colère en solitude et la solitude en « occupée »

Donc quand je dis que j’ai été super occupée dernièrement, je veux dire que je m’endormais sur le divan en écoutant SportsCenter pour éviter d’affronter le côté vide de mon lit.

Mais ma dépression me ramène toujours à mon lit jusqu’à ce que mes os deviennent les fossiles oubliés du squelette d’une ville engloutie.

Ma bouche, un jardin d’os, de dents brisées à force de se mordre elles-mêmes.

L’auditorium vide de ma poitrine se pâme dans les échos d’un battement de cœur.

Mais je ne suis qu’une touriste indifférente ici.

Je ne saurai jamais vraiment où j’ai été.

Maman ne comprend toujours pas.

Maman, ne vois-tu pas que moi non plus?

source: http://gatineau.rougefm.ca/rachelcustin/story.aspx?ID=2189268

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