« J’ai arrêté les médocs » [Avril Dystopie]
Et je vais bien (?)
En 2018, j’ai fait une « décompensation », « crise psychotique », « bouffée délirante aigue » : bref, pendant trois mois, je me suis pris pour Jésus.
Je me baladais en ville avec une robe à volants et des collants résilles bleu ciel, une béquille à la main pour soutenir les 35 kilos que mes jambes ne pouvaient plus porter, je gueulais des poèmes sur les places et je montrais mon cul aux caméras de surveillance, persuadé que j’étais au centre d’un film documentaire génial, dirigé par un type qui regardait toute mon ascension mystique dans une grande pièce sombre avec des écrans partout.
On m’a foutu en HP, une fois, trois fois, cinq fois, on aurait dit qu’ils avaient inventé des mots rien que pour moi, « discours logorrhéique » et surtout « patient dangereux, violent, en refus de soin » ce qui aurait pu me destiner tout à fait à une vie en institution si je ne m’étais pas enfui.
J’ai passé un mois chez ma mère, sous grosse dose d’anxiolytiques, petit à petit, la crise est partie, grâce à quelques gens aussi qui ont accepté de m’écouter et de me parler. J’ai vu une psychiatre qui m’a remis sous neuroleptiques, elle me disait « si vous arrêtez, je vous remets en HP », je dormais 16 heures par nuit, je ne ressentais ni tristesse ni plaisir, mais je l’ai eu mon année à la fac, « grâce aux médocs » qu’elle disait, comme si c’était la boîte de Quétiapine qui avait passé les partiels.
Et j’ai arrêté de la voir.
Et j’ai arrêté les médocs.
Ça m’a pris 6 mois. Ma médecin ne voulait pas me suivre, elle me disait la même chose « si vous arrêtez les médicaments, vous ne me laissez pas le choix, je vous remets en HP ». J’ai glané des infos, la brochure d’arrêt des médocs de Icarus. Mois par mois, je retirais une pilule, puis une autre.
Au nouvel an 2020, j’arrête la dernière pilule, je vis une semaine atroce, nausées, malaises, des plaques rouges sur tout le corps à force de me gratter, de longues nuits sans sommeil, à 4 heures du matin, complètement paniqué et désespéré, j’appelle le Samu, prêt à tout pour que ça s’arrête, un vieux médecin fatigué me dit « vous n’avez qu’à reprendre les médicaments monsieur ». Je regarde la boîte et je me dis « après tout ça, je ne peux pas abandonner comme ça. »
Et je tiens bon.
Et ça se calme.
Ça fait trois ans maintenant que je n’ai pas pris un neuroleptique.
Et je vais
Bien?
Je veux dire, j’ai eu énormément de chance, dans cette affaire. Je fais des études artistiques. Entouré d’inadaptés, au point de se demander « ça veut dire quoi neurotypique » et de profs qui croient en moi, qui pensent que j’ai un « truc ». En 5 ans, j’ai bougé trois fois de ville, je passe mon temps à pratiquer et à lire des livres. J’ai l’AAH, je n’ai rien d’autres à penser qu’à cette genre de grande quête artistique, et prendre le temps, de me faire à manger, de dormir à une heure décente. Un rythme soutenu, un cadre idéal, toujours manger à 12h, à 20h, arrêter les écrans à 23h, dormir à minuit. Du moins, on essaie. Comme ça t’as faim à 12h, t’as faim à 20h, t’as sommeil à minuit. Des fois. D’autres tu regardes le plafond. Des fois je vois des fenêtres dans le ciel, mon interrupteur me parle, y a des types qui n’existent pas qui dansent dans le métro. Jamais de clowns tueurs, très rarement des araignées géantes sur les murs. J’ai de la chance.
La plupart du temps, je pense que tout le monde me déteste, je parle trop vite, je n’écoute pas vraiment les gens et je ne regarde jamais vraiment le réel. Je vis dans ma tête, et heureusement, ce n’est pas un endroit trop désagréable. Comme tout le monde, ça m’arrive de vouloir oublier, en buvant de l’alcool, en fumant des joints, en regardant des séries ou en jouant compulsivement à un jeu vidéo. Et des fois j’ai envie de vivre, et je sors beaucoup.
Parfois, je fais des crises. Je ne dors plus, je pète un câble, je cours à 4 pattes, je ne dis plus rien de cohérent, je pleure ou je ris très fort et sans raison. Je fais peur à tout le monde. A ce moment là, soit je comprends tout seul qu’il faut me faire une cabane sous mes draps et disparaître pendant une semaine, soit un ami vient me chercher et s’occupe un peu de moi, et ça va mieux. Généralement, c’est quand je travaille trop, ou que je suis très stressé.
Au final, je me sens un peu comme tout le monde.
J’en ai lu des bouquins, sur mes troubles, les différents diagnostics qu’on m’a donné. J’ai appris cette grande prophétie psychiatrique qui dit que sans médocs, c’est sûr, je finirais fou à lier, j’enchaînerais les crises, je resterais « fixé ». Alors j’ai dit fuck et je suis allé vers la psychanalyse. Je me suis tapé un délire sur Carl Jung. J’ai trouvé un type très bien qui me laisse choisir mon tarif. On décortique les pensées et le passé, ça me donne des clés pour comprendre, des idées, je comprends un peu mieux mes biais, comment je fonctionne. Je comprends aussi que les angoisses sociales, les crises qui surgissent de nulle part, c’est un peu pareil pour tout le monde.
Nous sommes tous des animaux qui évoluons dans un monde fait pour des machines. Personne n’est fait pour bosser 8 heures par jour ou se cacher de la lumière du soleil. Seulement, certains s’y adaptent, et d’autres non. Je suis de ce « non ». Et une fois la stabilité relative trouvée, me permettant de me nourrir et de vivre malgré cette grande machine, tout ce que j’ai eu à faire c’était trouver d’autres gens faisant partie de ce « non ». Je les ai trouvés dans l’artistique.
J’ai eu de la chance.
Je ne prends plus de médocs depuis 3 ans et j’ai des bons et des mauvais jours, comme tout le monde. Je cherche ma place dans le monde en faisant des études à rallonge qui ne me mèneront peut-être nulle part. Comme tout le monde. Je finirai probablement à un endroit qui aura des bons et des mauvais côtés, dans une proportion variable, et j’aurai toujours le choix de partir et de rester. Comme tout le monde. J’ai des addictions et des faiblesses à la pelle, de mauvaises habitudes et des relations pas saines, à travailler, à déconstruire. Comme tout le monde. Et je vis avec, comme tout le monde.
Je croise toujours des médecins qui voient mon dossier et me disent « je ne peux pas vous prendre en charge si vous ne voyez pas un psychiatre » quand je venais soigner mon asthme. J’entends encore des gens dire que ma réalité vaut moins que la leur, que je ne suis pas lucide, que je suis fou ou que ce que je pense, ce que je dis, est irréaliste, biaisé, projeté. Et ils ont sûrement raison autant qu’ils ont tort. Il y a de grandes chances qu’un jour je retourne en HP ou je reprenne des médocs.
Mais pour le moment, je vais bien.
Sans médocs.
Malgré la grande prophétie psychiatrique.
Avril Dystopie
Rixte
3 décembre 2023 chez 18 h 47 minDystopique après de multiples dystonies, patience et recours amicaux , en sortir plus hardi au risque de retrouver au détour une image de soi peu modifiée et lassante