La psychiatrie est le degré zéro du soin.
« J’ai une voix dans la tête qui me répète le discours psychiatrique et qui m’empêche de penser par moi-même. »
C’est quoi le soin ?
J’ai longtemps été conditionné voire colonisé par l’idée selon laquelle le soin serait la relation qui unit une personne souffrante à un professionnel de la santé.
Le soin serait manifeste dans la relation soignant-soigné, nom également donné aux réunions insipides qui ont lieu dans les lieux de soins psychiatriques.
Les arguments psychiatriques pleuvent dans ma tête : la psychiatrie sauve des vies, tu ne peux pas vivre sans médicaments et si tu arrêtes c’est l’hospitalisation à coup sûr.
Oui, la psychiatrie a le monopole du « soin psychique ».
Oui, mes pensées argumentent en faveur du soin alors que je déteste les psychiatres.
J’ai mes raisons de les détester, ils ont failli me tuer deux fois avec leurs injections, deux fois j’ai fini en réanimation entre la vie et la mort.
Dix fois, peut-être, j’ai été hospitalisé et mis à l’isolement. Je sais dans ma chair que c’était de la torture de me laisser délirer dans une chambre sans me parler, c’était un « abandon thérapeutique ».
Comme à mon habitude, quand je m’essaie à un texte théorique ou simplement rationnel, me voilà débordé et je finis par témoigner de mon vécu traumatique de la psychiatrie.
Certains s’ennuient quelques semaines dans les couloirs des HP (hôpitaux psychiatriques), gobent les médicaments et repartent faire leur vie, moi je tourne en rond dans ma tête et je m’accroche à la psychiatrie, car, elle et moi, nous sommes liés à vie.
Je suis de ces patients qui ne peuvent pas se passer de médicaments sous peine de perdre le sommeil ou de délirer, je suis de ceux qu’on force à se soigner et à prendre des médicaments pour éviter le pire, sans les accompagner vers une vie heureuse.
La psychiatrie m’entrave tout comme mes difficultés psychiques mais je distingue quand même en moi une part saine dans mon fonctionnement pathologique, j’entrevois que je pourrais aller mieux si la psychiatrie s’absentait de ma vie.
Prescrire des médicaments, ces béquilles pour continuer à avancer et ne pas se foutre en l’air, ou même prescrire des électrochocs en derniers recours, c’est le monopole du soin par la psychiatrie.
L’autre soin c’est prendre soin de ses émotions, pouvoir nouer des relations, communiquer, faire des rencontres, s’émerveiller ensemble et ne pas trembler face à l’inconnu aussi effrayant soit-il.
Le soin dans sa dimension émancipatrice sauverait ma vie car le soin c’est une utopie concrète que j’entrevois dans les yeux et l’amitié de ceux qui ont prise sur leur destin et qui m’aident à aller mieux.
Le degré zéro du soin, ce sont la psychiatrie, les médocs et les électrochocs.
Le premier degré du soin c’est pouvoir dialoguer pour s’émanciper comme individu et collectivement.
Le deuxième degré, c’est un degré d’humour face aux limites du soin et à la fatalité. Et à plus de deux degrés, on sera cuits par le réchauffement climatique avant même d’abolir la psychiatrie.
Le soin s’il n’est pas collectif et émancipateur, c’est de l’oppression.
Tout le monde n’a pas besoin de soins pour être bien, mais chacun devrait pouvoir être accompagné dans sa vie à la mesure de ses besoins sans devoir dépendre d’une ordonnance de médicaments pour aller mieux.
Le soin c’est un processus socialisant, non pas médicalisant. Avec ou sans le soutien des psychothérapeutes, prendre soin les uns des autres ne doit pas être une injonction à aller bien mais un chemin à prendre collectivement en tant que société.
Joan