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3 août 2020

Le fou, héros malgré lui de la résistance

Si certains refusent de percevoir l’allocation adulte handicapé (dite AAH), parce qu’elle les assimile aux fous, parce qu’elle les assigne au statut social de « COTO », parce qu’elle est aussi stigmatisante, parce qu’elle est une étiquette dont on se défait difficilement, parce qu’elle semble donner en quelque sorte le métier de psychiatrisé ; il me semble qu’elle peut être vue aussi comme une opportunité de résistance à cette lourde machine qu’est l’administration psychiatrique.

Percevoir, l’AAH c’est sortir d’une forme de normalité rassurante, c’est peut-être pour certains se résigner à faire partie de ce monde. Parce que l’AAH nous place sur le bord de la route, peut-être qu’elle exclu quelque part. Mais elle est aussi l’opportunité d’une autre vie. Elle permet une autonomie, une sortie d’un diktat du travail. Elle rend possible une vie parallèle, en marge mais néanmoins, elle libère du travail. Et si l’évolution de chaque personne qui la perçoit, la victoire réelle des mouvements d’usagers passe aussi et surtout par l’intégration pleine et entière des fous dans la société en tant que citoyens pleins et entiers, en tant que personne admise dans sa différence, le chemin semble encore long. D’autant plus long qu’une part des personnes concernées par des troubles psychiques (de tous ordres) restent dans la difficulté quand il s’agit de travailler comme tout un chacun.

Alors oui, intégrer les fous dans la cité constitue un enjeu majeur pour les mouvements d’usagers et les avancées demandées à nos sociétés, mais cela parait compliqué. Je crois impossible de passer par le travail et le salariat pour faire avancer les causes liées à la psychiatrie et à la folie. Gagner sur ce terrain me parait une stratégie dangereuse pour nous, très dangereuse pour l’image de la folie et pernicieuse politiquement. Il est dangereux de croire que le travail est accessible au plus grand nombre et dangereux de nous salir l’image déjà terne de la folie par des échecs dans un monde du travail devenu d’une violence fatale pour certains hypersensibles. Ce travail déjà toxique pour les non-psychiatrisés, déjà nocif humainement ne me parait pas être un moyen de faire avancer les regards à une échelle large. Peut-être que certains d’entre nous y parviennent et c’est tant mieux. Mais il s’agit là d’une part des personnes concernées et non leur totalité. Grand est le risque d’en laisser sur le bas côté, grand est le risque d’échec global d’une stratégie d’assimilation du fou ou de la folle par le travail salarié ordinaire.

Le monde du travail et faire entrer les « patients » dans l’entreprise et/ou le salariat me parait une stratégie de moyen de déstigmatisation et d’acceptation de nos personnes dans nos différences totalement vouée à l’échec. Et si le travail constitue un but en soi, un objectif pour l’intégration des personnes, alors là, nous avons perdu le sens politique de notre combat et de notre lutte pour les droits. La place dans la cité, dans le monde, dans la vie commune ne doit pas passer par une intégration professionnelle même si elle fait rêver certains. La société doit accepter le fou dans sa différence, dans son incapacité parfois à se conformer aux normes établies et le travail en fait partie. Révélateur des défaillances à intégrer de nos systèmes basés sur l’économie, le fou rappelle par son essence la part de vivant, d’aléatoire de nos êtres et tend à dessiner les limites du possible, de l’admissible sur l’être humain. Oppressé, l’homme résiste face aux systèmes capitalistico-inhumain qu’on nous propose, qu’on nous impose. Il est l’archétype de l’homme résistant, celui qui sans se dresser en résistance dessine les limites de l’inhumanité de ce monde. Et plus, qu’en sera-t-il si le fou, non seulement par sa forme de résistant naturel et natif de nos systèmes politiques, se dresse volontairement et assume son statut de trublion. Peut-être soulèverait-il les montagnes de la dénonciation d’un système qui finalement rend fou, les fous et les autres. Héros malgré lui d’une résistance à l’inhumanité de nos mondes.

Et si en systémique familiale on dit que le fou se fabrique pour répondre au fonctionnement d’un système où il s’intègre avec une spécificité pathologique en sorte que le système familial continue de fonctionner. S’il se désigne fou de lui-même inconsciemment pour permettre au système de perdurer. Est-il possible de penser que le groupe social des fous soit une réponse sociale à un fonctionnement particulier de la société et qu’il puisse être considéré comme un rouage essentiel au sociétal, un élément qui puisse rendre compte des failles du mécanisme global de ce monde.

7 Comments on “Le fou, héros malgré lui de la résistance

muratphotomarche
3 août 2020 chez 17 h 50 min

Votre point de vu est fort intéressant. Si la place du fou, assigné ou revendiqué, à la marge de la société est essentiel au fonctionnement de cette société, comment changer cette société en ne changeant pas cette place? J’ai longtemps été dans l’exclusion sociale et je ne faisait que subir les événements. Alors je ne veux plus de cette place stigmatisée!

Pour ma part je préfère faire de l’entrisme dans le monde du travail pour faire bouger les choses de l’intérieur en disant: « Je suis fou et normal. » Il est vrai que je ne suis pas militant et que je m’inscrit dans la règle social en étant médiateur de santé pair. Je me trouve ainsi à cheval sur le fil du rasoir entre le monde des inclus et celui des exclus. Cela aiguise mon regard tout en me laissant la liberté d’être parfois en état limite.

Ou peut-être que je n’ai rien compris à votre billet!

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muratphotomarche
3 août 2020 chez 18 h 09 min

Un point de vu intéressant sur la folie et le travail.
Le refus du travail est-il une résistance à la société capitaliste?
L’entrisme dans le monde du travail est-il un moyen de faire bouger les choses de l’intérieur?
Revendiquer l’incapacité au travail est-il contre-productif dans le sens où ça stigmatise et assigne le fou à la marginalité?
Travailler revient-il à entrer dans le moule d’une société déshumanisante?
Vaste débat!

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Pierre-Louis GOIRAND
4 août 2020 chez 7 h 38 min

Percevoir l’AAH c’est accepter son statut de malade mental, sortir de la société, vivre en marge. en paria.
Percevoir l’AAH c’est s’auto-stigmatiser … Et tirer le diable par la queue jusqu’à la mort.
Super projet de vie quand on est un jeune adulte !

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Fina
19 août 2020 chez 21 h 43 min

Euh et oh c’est bien gentil tout ça mais moi qui vient juste de la percevoir (enfin après des démarches administratives extrêmement difficiles et éprouvantes pour moi) mon AAH c’est ce qui vient de m’éviter de finir à la rue alors oui cette aide j’en dépends. Vitalement. Je suis loin extrêmement loin d’être la seule dans ce cas là. Je comprends bien toutes ces réflexions sur la dureté du travail j’en partage certaines mais pour choisir ça selon une idéologie faut vraiment pas avoir de problèmes de sous ou être prêt à finir par dormir dehors pour défendre ses convictions je crois que c’est juste du pragmatisme que plein de gens ne fassent pas ce choix. On accepte rarement de vivre de l’AAH par conviction politique que l’intégration au système et à son monde du travail est la meilleure solution, mais généralement par manque cruel d’option meilleure accessible. Si vous en connaissez je suis preneuse. Idéalement faudrait qu’existe autre chose qui laisse pas sur la route tant de gens comme le système de l’AAH le fait en effet mais si on oublie l’utopie pour se centrer sur les choix concrets de survie qu’on doit faire là tout de suite maintenant on a pas vraiment mieux si on est inapte au travail qui reste j’en conviens une contrainte sociale extrêmement vive pour être perçu comme quelqu’un dont l’existence a une valeur dans cette société hélas. C’est nul mais tant que c’est comme ça parvenir à bosser en tant qu’handicapé si on y est apte c’est souvent de la nécessité. Même psychologiquement beaucoup ont énormément de mal à vivre à l’heure actuelle sans la reconnaissance sociale que ça apporte. Alors est ce qu’il faut construire d’autres possibles oui bien sûr que oui mais culpabiliser les gens réels qui ont des « troubles mentaux » (du moins selon comment la psychiatrie les perçoit) qui acceptent les aides, de bosser, l’intégration si on veut tout ça pour faire vivre un imaginaire révolutionnaire romantique du fou idéalisé ça non. Je suis désolée ce n’est pas aidant du tout. Comme tu l’as dit ne pas être considérée comme un être humain (pas par tous du moins et pas au niveau égal aux autres) j’ai pu l’assumer m’en servir comme postions d’ou résister à certains éléments destructeurs de cette société mais je l’ai pas choisi. Je l’ai longtemps subi douloureusement. Beaucoup sont pareils. Tout ça me parait bien trop théorique et déconnecté de nos vies réelles et besoins immédiats. En particulier le commentaire au dessus du mien qui prétend qu’avoir l’AAH et l’accepter est s’autostigmatiser et se condamner à rester pauvre en moquant ce projet de vie de jeune adulte, je l’ai très mal pris en tant que jeune adulte qui a fait ce difficile choix de vie et que ça vient de sortir d’une pauvreté encore plus grande que je subissais depuis des années. Ne pas condamner les modes de vie des moins chanceux que soi sans savoir s’il vous plait, en l’état actuel des choses l’AAH m’a sauvée la vie et en sauvé certainement beaucoup d’autres, remettre en cause les acquis sociaux le peu qu’on en a c’est toujours extrêmement dangereux surtout pour les plus démunis et il est assez inquiétant que les gens progressistes et se voulant de gauche s’y mettent je trouve.

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Agathe
20 août 2020 chez 7 h 22 min

Il s’agit de romantisme si on veut, l’idée était surtout de dire que l’action individuelle du retour à l’emploi (quand il est possible, ce qui n’est pas toujours le cas et n’oublions pas ceux qui ne pourront pas), n’est pas une stratégie collective viable à mon sens. A moins que les personnes se déclarent concernées, et qu’elles modifient par là les représentations sociales de leurs collègues, je pense que l’action de déstigmatisation passe par une mobilisation collective de personnes qui y consacrent énormément de temps et d’énergie. Je tenais à dire que nombre de domaines de mobilisations collectives politiques ne peuvent advenir qu’avec des gens qui ont du temps et qui s’investissent dans un travail de fond conséquent. Or, peu de mouvements ont la chance d’avoir dans leurs rangs des personnes à même de subvenir à leurs besoin. Se battre sur le terrain de l’écologie par exemple, suppose de vivoter avec le RSA, se battre dans les troubles psy suppose de vivre avec l’AAH. Si l’on prend l’AAH comme un revenu minimum, beaucoup de possibles s’ouvrent face au travail salarié classique qui en plus d’être un risque en termes de santé pour la plupart d’entre nous reste une réponse souvent stigmatisante sur le lieu même du travail.
Il ne s’agit pas d’empêcher les gens qui veulent travailler de le faire, mais le salariat n’est pas la seule voie, il s’agit peut-être d’inventer sa vie, une vie viable sur tous les plans et positive pour soi et pour les autres. Après je comprends la nécessité de faire l’expérience de ses possibilités et limites pour les jeunes adultes, je l’ai d’ailleurs fait. Mais après 5 contrats de 2 ans et 5 hospitalisations à l’issue de ces contrats, je suis revenue de ce discours du retour à l’emploi qui ne me parait pas être une fin en soi, ni un moyen réel d’action. En bref, le retour à l’emploi des tous les handicapés psy, ne me parait pas porteur à grande échelle, il étouffe nos potentiels créatifs, et rien n’empêche les modes de travail alternatifs souvent plus épanouissants et plus agissants à une autre échelle. Mais chacun ses parcours de vie et je dis ça après plus de 10 ans de travail salarié « traditionnel ».

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Fina
20 août 2020 chez 11 h 54 min

Intéressant mais ça reste accepter une vie sous le seuil de pauvreté avec toute la stigmatisation et l’exclusion sociale allant avec c’est rude quand même, je ne te cache pas que si j’étais apte à travailler je le ferais à cause de ça. Oui je suis d’accord que c’est plus de la perspective individuelle que collective mais je pense pas que ce soit collectivement infaisable de tenter de créer des trucs mieux que ce qui existe pour nous tout en défendant les peu d’avantage qu’on a pour ceux d’entre nous qui ont pu en avoir, on peut être syndicaliste et vouloir la révolution en tentant d’y arriver ce me semble. Est ce que c’est pas un peu pareil? D’ailleurs quand j’y pense il y a bien des syndicats de chômeurs, est ce que des syndicats de fous ou plus largement d’handicapés pourraient se mettre en place? Je ne sais pas peut être que ça serait une solution pour à la fois porter ces perspectives pour une autre vie tout en défendant le peu d’aides existantes aujourd’hui. Non? Qu’en pense tu? Et d’ailleurs si je peux me permettre tu pense quoi de tout ce qui tourne autour de l’idée du revenu de base pour les gens comme nous? J’ai beaucoup de questionnements personnels sur ce sujet de si ça améliorerait notre condition ou pas alors l’avis de quelqu’un avec plus de dix ans d’expériences à se confronter au monde du travail comme handicapé psy ça m’intéresse sincèrement.

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Jean Gameau
18 décembre 2020 chez 6 h 39 min

je voudrais juste faire un commentaire sur tous ce que je viens de lire qu’il n’y a pas fous mais juste des gens que l’on rend fous et parfois la folie étend le dernier refuge pour exister n’en déplaise au normopathes personnellement j’ai longtemps refusée le statut de l’ahh jusqu’à ce que la nécessité m’y oblige ayant été reconnu inapte au travail à 79 % et n’ayant pas droit droit a la carte d’invalidité puisqu’il faut un taux d’incapacité de 80% j’ai quand même tenu un lieu culturel pendant 6 ans jusqu’à ce que la censure locale me le fasses fermer je suis actuellement depuis quelques mois sous un régime minimum retraite vu le temps que j’ai travaille je pense pouvoir continuer a survivre dans la limite des contingences sociales en continuant mon activité cérébrale et « artistique  » ?…..

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