Lee a vu « 12 jours »
Visionné un samedi matin à 9h25, au milieu de 8 spectateurs.
Une violence contemplée
Ce film pour moi est un putain de paradoxe.
Entre cette justesse des sons, ces portes qui claquent,
Ces bruits de clefs, de pas, de pieds qui trainent…
Et ces images contemplatives…
Yann Arthus Bertrand est à l’HP avec son kodak.
L’herbe qui n’est plus sous les pas répétitifs.
On montre alors le beau, ce qui ne fâche pas…
Ce à quoi on s’attend de l’hôpital je crois.
Je ne sais pas ce à quoi on s’attend… J’y suis allée, je n’ai pas vu ça.
C’est des bouts, des bribes, des morceaux de la vie à l’hôpital.
Du vide et de l’impersonnel pour laisser la place au silence et à l’angoisse.
Si c’est un documentaire alors où est la réalité montrée ?
Les mots ne sont pas montrés.
Ceux qu’on met à nu pour deshumaniser…
Ce panneau : Bureau infirmier/sortie…
Où sont ces infirmiers qui physiquement ouvrent la porte, ou pas ?
On fait quoi de …
« C’est pas moi qui les oublie, c’est moi qu’ils oublient, ils me brident »
« Mon avenir recule »
« Pourquoi les gens sont malades ? »
« C’est pas parce qu’ils me donnent des médicaments que ça va tout résoudre »
« Il n’y a plus eu de débordation »
« – Vous êtes atteint de troubles psychiatriques – oui bah ça c’est tout le monde »
On voit des juges des libertés et de la détention…
Ces juges qui ont l’air perdus, « merde qu’est-ce que je fous là ? A quoi je sers ? Je dois juste appliquer la décision du médecin… Les procédures sont respectées… »
J’ai été une fois hospitalisée sous contrainte il y a cinq ans.
Au bout de huit jours j’ai vu un juge des libertés et de la détention…
En tant que patiente, malade, qui n’a pas le choix de retourner à l’hôpital puisque…
Puisque transportée en ambulance,
Puisque mes affaires dans ma chambre d’hôpital…
Puisque toujours ma chambre réservée…
Comme si c’était prévu que la décision ne puisse être contestée…
Comme si l’on ne pouvait pas dire non aux certificats médicaux.
On voit bien les juges mettre leurs papiers tous droits et les ranger dans les dossiers avant d’entendre les patients. C’est bouclé d’avance.
Et bah non. Ou alors je suis la seule je ne sais pas…
Où est cette psychiatrie de l’ordinaire, où est la part de jugement du juge ?
Des juges d’application des peines, pas des libertés.
J’ai vu ce juge, je ne l’ai pas regardé une seconde,
J’avais honte, je me sentais humiliée, incomprise, fautive…
Et j’ai dit, avec mes gros grands beaux mots, avec ma façade et un sourire faux,
J’ai dit que j’étais en mesure de sortir, qu’il me fallait un dehors,
Que je pouvais retourner en cours, qu’on m’avait mise abusivement en isolement…
Dire à un psychiatre qu’une décision qu’il prend est complètement conne vaut visiblement plusieurs jours d’isolement.
Critiquer faussement des propos que l’on a pu avoir,
Savoir ce que les gens veulent entendre,
Ne pas mentir mais omettre des faits,
Montrer que l’on se sent compris et écouté par le juge…
Alors j’ai eu raison de la décision du médecin,
Le juge m’a entendue,
D’un coup je passe de l’isolement aux soins en ambulatoire.
Ah non, une journée en hospitalisation libre pour la forme.
Alors oui, parfois le juge va contre l’avis du médecin…
Mais il ne faut pas être complètement sédaté,
Avoir préparé un discours,
Etre sûr de soi,
Savoir jouer la comédie,
Bien dire qu’on va travailler une fois dehors,
Parce que oui, la seule preuve de montrer qu’on va mieux c’est le travail évidemment…
Même si ici on voit qu’à force, ils ne sont plus en capacité d’écouter,
Et qu’en n’écoutant plus,
« Bon, voilà, très bien… »
les patients non plus n’écoutent plus.
« d’accord, oui, merci beaucoup… »
Et ces jugent à qui on donne l’injonction de prendre une décision sans qu’ils n’aient été formés à la santé mentale… Ils sont impuissants… paumés… Ils se décomposent au fur et à mesure de l’entretien ces juges, presque davantage que les patients…
C’est montré, c’est là, on le voit ça…
On ne voit pas l’après entretien avec le juge,
L’hospitalisation sous contrainte on l’entend, on ne la voit pas non plus, ça me dérange…
Les entretiens avec les médecins, les infirmiers, le personnel d’entretien, les aides-soignants, les art-thérapeutes, les familles, les jardiniers… et les patients de la « folie ordinaire » ?
Soit ils n’ont consenti à être mis en danger par ces images, soit ils ne font pas parti des hospitalisations, ni de la contrainte… Ni des libertés… Ni des murs ou des portes…
Quel consentement des patients dans un film sur les hospitalisations sans consentement ?
Et hospitalisation sous contrainte implique-t-elle contention et isolement ?
On entend la sidération liée au processus de contention…
On en fait quoi ?
Et les tentatives d’humour des « fous », pas le temps d’y répondre ?
Parce c’est parfois la seule chose qui les laisse humains et libres.
Cette liberté serait de trop…
Où sont les échanges entre les patients, les rires, les engueulades, les pauses café clopes,
Les infirmiers qui accueillent, qui rejettent, qui patientent, qui courent ?
Les douches de telle heure à telle heure, les repas silencieux ou mouvementés,
Les « MEDICAMMENNNTS ! » criés dans un couloir,
Les fous doux perdus dans un secteur où ils vivent leur première expérience en psychiatrie comme une violence.
J’ai pu voir les profils des différentes personnes filmées réunis dans une même unité en hospitalisation…
Jamais on ne les voit ensemble… comme si ils ne pouvaient eux, pas être une unité…
Une infirmière en blouse blanche en flou derrière le plan rapproché du patient chez le juge…
C’est le seul humain soignant que l’on aperçoit.
Et sérieusement, la fin sur un plan à la Rain Man ?
Je dégueule son contemplatif et le non engagement…
La non critique positive ou négative.
Comme s’il n’y avait personne derrière la caméra, à part une fois pour offrir un café.
Comme si la caméra n’écoutait pas.
La caméra montre les maladresse et l’errance des patients,
C’est ça qui a fait rire les spectateurs de la salle,
Je ne veux pas que ça soit ça qui soit drôle.
Je n’aime pas le côté choisi et construit, bien joli et imbriqué.
Alors j’écris pas joli et déconstruit et sans queue ni tête pour dire tout le bien que je pense de lui à Depardon.
Bon ok, ya des belles images… On a été sages ?
Claire Antoine