« Lost in Translation » : l’art pour combattre la surmédication en psychiatrie
Angeline Ribrioux, étudiante en L2 Arts Plastiques, nous dévoile son travail sur la surmédicamentation en milieu psychiatrique, accompagné du témoignage de son amie Agathe (@moonmaelstrom).
Pour cela elle utilise le concept de traduction, de transposition. A partir d’une réflexion autour de la transposition de la substance psychique et de sa traduction médicale matérielle, elle prend le parti d’une difficulté de traduction de cette dernière qui mène à une perte pour le patient et une incompréhension entre ces deux entités patients-soignants.
Pour ce faire, elle représente les médicaments par des résistances qui ont chacune un code couleur en fonction du médicament représenté, alimentées par un circuit électrique représentant le système nerveux humain.
Cette réflexion qui a animé ce travail plastique est animée par une conviction profonde d’Angeline Ribrioux de lutter contre les surmédicamentations abusives et l’abandon des médecins psychiatres face à des moyens d’action trop limités et une demande croissante d’une population fragilisée à laquelle ils ne peuvent pas répondre, par la création artistique.
Témoignage d’Agathe :
« J’ai 24 ans, je suis malade depuis l’âge de 10 ans. J’ai été hospitalisée 22 fois en psychiatrie depuis l’âge de 9 ans, pour diverses raisons. A ce jour mon diagnostic est « trouble de la personnalité borderline avec dépression réfractaire et trouble anxieux généralisé, troubles du comportement alimentaire ».
J’ai été suivie d’abord en pédiatrie par des pédopsychiatres et psychologues puis à ma majorité j’ai eu du mal à trouver un suivi stable, mon état s’est nettement dégradé jusqu’à ce que je sois hospitalisée 3 à 4 fois par an pour une durée d’un mois à chaque fois environ, que je sois obligée d’arrêter mes études, de me faire reconnaître handicapée car qui embaucherait quelqu’un qui se fait hospitaliser tous les 3 mois et dont l’état est grave ?
Mes symptômes ont beaucoup évolué avec le temps. Dans l’enfance et la préadolescence, j’étais dépressive, suicidaire, j’avais des crises d’angoisses avec évanouissements, crises d’angoisses avec spasmes et machoires qui claquent, eczéma géant sur tout le corps, boulimie et hyperphagie.
A l’adolescence, j’étais suicidaire, dépressive, j’avais des crises d’angoisses avec crises de larmes, tremblements, étouffements. Je suis devenue anorexique boulimique, et mon humeur a commencé à changer subitement et souvent, je suis devenue plus impulsive, j’avais des comportements auto destructeurs (sexuels, mutilations, drogue).
A l’âge adulte, j’ai perdu le contrôle de mes émotions et de mes pensées. J’ai des pensées envahissantes et incontrôlables. Par exemple des visions de souffrance qui durent des heures. Je suis en dépression réfractaire c’est à dire que les médicaments n’ont plus aucun effet dessus. Je fais des crises d’angoisses à la moindre contrariété où j’ai mal au ventre et à la gorge et où j’ai l’impression que je vais mourir. Je fais des crises de déréalisation où je suis déconnectée de la réalité pendant des heures parfois des jours, totalement enfermée dans un mutisme très perturbant pour mes proches. J’alterne entre boulimie et anorexie, mon poids est très instable. »
Voici mon expérience des soins en psychiatrie (adulte) :
« Cela fait 5 ans que je suis suivie par un CMP (centre médico psychologique). C’est un centre où il est possible de retrouver des infirmiers, des psychiatres, psychologues et assistantes sociales. Alors oui sur l’étiquette ça a l’air très complet, mais la réalité des choses est tout autre.
Ma psychiatre me consacrait 15 minutes par mois pour évaluer mon état et faire les prescriptions. Sachant que rien que pour établir un diagnostic il faut plusieurs heures c’était compliqué, elle m’a donc traitée pour mes symptômes et pas pour l’ensemble de mes troubles « vous avez des insomnies ? Je vais rajouter ça. Vous avez des angoisses ? On va augmenter ça et rajouter ça. » Voilà en quoi consistaient les consultations, avec parfois une demande d’hospitalisation quand j’étais vraiment à bout.
Ainsi j’ai commencé à prendre beaucoup de médicaments. Parce que ces médicaments ne sont pas inoffensifs, surtout la famille des benzodiazépines, j’ai commencé à devenir de plus en plus accoutumée, à avoir besoin de plus grosses doses, de médicaments plus forts. D’ailleurs aujourd’hui j’ai développé certaines phases à la limite de la psychose tellement l’angoisse est forte et je prends des neuroleptiques car les benzodiazépines n’ont plus aucun effet sur moi.
Mon parcours hospitalier a contribué à cette montée en force des traitements. Je ressortais toujours avec une ordonnance plus longue, plus complexe, je prenais des correcteurs (antiparkinsoniens) pour contrer les effets secondaires de certains médicaments que je prenais en très grosse quantité, et il n’y avait absolument aucun travail autre que quelques séances de psychothérapie par ci par là (3 ou 4 par séjour) ce qui n’a aucun sens car une psychothérapie est un travail de fond qui doit être fait sur la durée.
Aujourd’hui, grâce à une sophrologue et une psychologue dans le privé, ainsi que le soutien d’une autre psychiatre en complément d’un nouveau CMP avec moins de patients et une psychiatre plus attentive aux médicaments et aux effets secondaires qu’ils engendrent, j’ai réussi à arrêter la majeure partie de mon traitement (je suis passée de 17 cachets par jour à 8 ), et j’ai entrepris un vrai travail sur moi qui m’aide de jour en jour à me stabiliser et à aller mieux. »
Bref état de la psychiatrie en France :
source : https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/rfas200401-art11.pdf
- « on assiste depuis une dizaine d’années à des évolutions importantes, tant dans le recours aux soins qui s’accroît que dans les modalités de prises en charge pour lesquelles les suivis ambulatoires et, dans une moindre mesure, les suivis à temps partiel se développent ; – on note une grande hétérogénéité de l’offre de soins, à la fois dans sa répartition géographique et entre types d’établissements (pathologies traitées) ou entre secteurs (modalités de soins, organisation). »
- « plus de 83 % des lits et places en psychiatrie le sont dans les hôpitaux publics et privés participant au service public hospitalier (PSPH). Seuls quatre départements ont une offre privée supérieure à 50 % du total. Le phénomène est encore plus net pour l’offre de soins à temps partiel (89 % dans les hôpitaux publics ou PSPH). Quant aux prises en charge ambulatoires, elles sont quasi exclusivement publiques. En effet, les établissements privés sous objectif quantifié national, du fait des contraintes réglementaires, gardent un type de fonctionnement caractéristique, avec des prises en charge en hospitalisation complète majoritaires par rapport aux hospitalisations à temps partiel (alors que le rapport est d’un à dix dans le public) 1 . »
- « Même s’il est difficile d’objectiver les besoins de soins en psychiatrie, on constate que le recours auprès de l’ensemble du système de soins s’accroît partout où il a pu être mesuré (secteurs, ville). On a ainsi pu évaluer à 56 % l’augmentation du nombre de personnes suivies par les secteurs de psychiatrie en dix ans (de 1989 à 1999) et à 19,4 % celle des consultations par les psychiatres de ville entre 1992 et 2001 (DREES, 2003). »
- « Au-delà des problèmes de santé mentale, la population des personnes suivies en psychiatrie, telle qu’elle a été repérée dans l’enquête « Handicap, Incapacités, Dépendance » de l’INSEE 1 , apparaît globalement en plus mauvaise santé physique que le reste de la population : ainsi l’on constate, chez les personnes hospitalisées, une surmortalité par rapport à la population du même âge, ainsi qu’une mobilité limitée. L’ensemble des personnes suivies régulièrement pour troubles mentaux déclare en outre, en plus des déficiences psychiques, davantage de déficiences physiques, motrices, métaboliques que la population générale »
- « D’une manière générale, les personnes suivies en psychiatrie apparaissent, par rapport à la population générale, confrontées à des difficultés tant sur le plan de la vie affective ou sociale que sur le plan de l’activité professionnelle. Ainsi, le célibat ou le divorce sont deux fois plus fréquents qu’en population générale. L’insertion professionnelle apparaît plus difficile, surtout pour les hommes. L’emploi protégé occupe une place très marginale (Anguis, 2003 ; Chapireau, 2002).
- « Les aides monétaires sous forme d’allocations sont fréquentes, concernant un malade sur trois, et davantage des hommes. Deux personnes sur trois ont une reconnaissance administrative de leur handicap et le coût social du handicap mental est considérable puisqu’une personne sur quatre qui consulte perçoit une allocation ou pension du fait de son état de santé (Anguis, 2003). »
- « Des difficultés d’observation En matière de santé mentale et même de psychiatrie, l’objet lui-même est, bien sûr, de contours incertains et d’observation difficile : – qu’il s’agisse de la mesure des prévalences des maladies ou symptômes pour lesquels la nosographie est parfois imprécise (diagnostics de dépression ou dépressivité par exemple) et évolutive et les biais nombreux, particulièrement dans les enquêtes en population générale ; – qu’il s’agisse des prises en charge qui s’avèrent être extrêmement diverses et qu’il est difficile de décrire de façon homogène (l’activité d’un CATTP peut dans certains secteurs s’apparenter à celle d’un hôpital de jour, les pratiques des professionnels sont éminemment variables…), pour lesquelles il est, de plus, encore impossible de repérer des trajectoires de soins des patients. »