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29 août 2024

Mère bipolaire, je donnerai tout [lucie_ptit_lu]

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DÉSIR RE-FOU LAIT

Je ne peux pas être plus honnête envers moi-même que pendant mes phases maniaques.

Mes désirs refoulés remontent à la surface : c’est le cas du désir d’enfant.

Et pourtant, si vous saviez ô combien je considère habituellement qu’enfanter serait un fardeau pour moi, et que je moquais des parents gagas de leurs nourrissons !

Pourtant, parfois, je me surprends à lorgner du coin de l’œil à admirer mon homme. Ses yeux changeants, verts, gris et bleus, sa barbe rousse et blonde éparse, et son ventre dodu qui pourrait laisser penser qu’il est lui-même déjà enceinte. Et c’est quand émane la beauté de son âme que je craque, et je me laisse rêver avec lui d’un mini-nous.

Des heures entières à plaisanter en nous imaginant des parents cocasses, mélangeant nos qualités et nos défauts, transmettant nos passions et nos valeurs. On imagine quelle blague nous concocterons pour l’annoncer à notre famille.

J’imagine agir systématiquement pour effectuer tout ce qu’il y a de moins conventionnel.

J’arracherai les cheveux des parents si leur rejeton ennuie ma progéniture. Je le présenterai à mes chattes et leur arracherai les poils aussi si elles sont méchantes ! Je m’imagine déjà tirer mon lait maternel pour que je puisse dormir pendant que Papa nourrira le glouton.

Je m’imagine lire tous les bouquins existant sur la maternité et participer à des ateliers chelous de femmes enceintes. J’abuserai de ce privilège pour réclamer du chocolat et des massages de mes jambes. J’imagine nos voyages, et cet enfant que je porterai en bandoulière.

Je serai à l’écoute quand il me parlera de la tease, la drogue et les rapports sexuels non protégés. Je lui signerai les mots d’excuse pour qu’il sèche les cours qu’il jugera inutiles.

Je l’imagine me reprocher tout ce qu’on finit par rapprocher à ses parents. Je l’imagine plus intelligent que nous deux, et différent de tout ce que l’on aura imaginé.

Mais nous ne lui apprendrons rien, tandis qu’il nous apprendra tout.

L’AMOUR CONTRE LA PEUR

Je m’imagine aussi craquer, regretter, m’en vouloir, ne pas pouvoir assurer autant que je l’aurais voulu. Être une mère bipolaire potentielle, c’est aussi se connaître parfaitement, avec de longs épisodes de stabilité, mais jamais à l’abri d’une rechute.

Comment l’expliquer à son enfant ? Quelle culpabilité va me ronger quand je n’arriverai plus à me lever pour embrasser mes enfants ? Quel discours pourrais-je leur tenir quand j’aurai perdu ma foi, ma joie et mon espoir ? Pourquoi Maman se transformera-t-elle un jour en super héroïne et pourquoi mon enfant la verra partir dans un camion rouge ? Pourquoi errera-t-elle dans la maison, le regard fixe parfois ? Je m’imagine lui écrire tous les livres pour expliquer sa naissance, sa maman bipolaire, et les livres expliquant le monde pour qu’il les lise en mon absence.

La maladie fait de nous des parents qui font un choix encore plus conscient que d’autres. Plus organisés, on anticipe. Plus de communication avec nos conjoint.e.s et notre famille pour les coups durs. Nous devons même anticiper l’adaptation de notre traitement avant la grossesse.

Tant d’enfants sont conçus au hasard et maltraités, et nous, nous avons peur, alors que nous sommes prêtes à nous battre contre ce qui ne peut être vaincu ? Être Maman ou Papa bipolaire, ou ayant un autre trouble psychique, amène à une mûre réflexion. C’est ce qui nous rendra d’autant plus attentifs à nos enfants et à notre bien-être.

DU FARDEAU AU CADEAU

Mon enfant, si tu décides de ne pas t’incarner dans nos vies, je veux que tu saches que tu existes déjà pour nous, ici, maintenant, et à jamais. On ne t’attend pas, on n’est pas pressés, Papa est plutôt jeune !

Mais si tu t’incarnes, j’aurai signé avec toi le plus bel engagement, la responsabilité éternelle d’avoir mis un enfant au monde. Que Dieu m’entende à travers ce texte, et qu’il me rappelle mon désir d’enfant quand je me sentirai de nouveau stable, misérable et incapable.

Qu’il préserve mes ovaires et les têtards de mon chéri. Je veux entendre un troisième rire chez moi. Je veux que mon enfant raconte à son école à quel point il est fier de sa maman bipolaire et que tous ses copains et copines viennent faire de grandes fêtes à la maison.

J’ai foi en une sorte de Dieu, ou une sorte d’instance supérieure. Alors enfanter est l’expérimentation ultime de ce pouvoir créateur qui nous a été légué en tant qu’êtres humains.

Mais je suis tellement réaliste quant à ce que représente la totale responsabilité d’un être humain, que j’en suis triste.

Est-ce que moi, j’y arriverai ? Mais le trouble ne sera jamais ce qui m’empêchera d’élever mon enfant. L’amour que notre famille lui portera le comblera, car c’est tout ce qu’il faut à un humain. Je n’ai pas peur d’enfanter dans ce monde, car je lui construirai un environnement à notre image avant qu’il ne se le construise lui-même.

LA RÉALITÉ DOUCE A MÈRE

La réalité est douce-amère. J’ai déjà 34 ans et mes ovocytes déclinent avec l’âge. Je survis avec l’AAH. Mon trouble bipolaire n’est pas encore entièrement stabilisé comme je le souhaiterai.

 Mon compagnon de vie n’a pas trouvé le métier de ses rêves ni trouvé son chemin spirituel pour vivre pleinement le bonheur de son existence .

Pourtant, je refuse aujourd’hui qu’on stigmatise les parents bipolaires. On donnera tout pour nos enfants. Peut-être même plus qu’une personne sans trouble, car nous vivons avec une maladie incurable. On connaît la souffrance et l’impuissance de notre entourage, le fait de revoir tous ses plans de vie à chaque rechute. On connaît l’incertitude, le désespoir, l’hospitalisation.

Alors que je n’entends plus jamais quelqu’un, ou que je ne lise plus jamais qu’avoir un parent bipolaire est un enfer dans les gros titres des journaux.

Si enfer il y a, c’est l’humain qui le créé, pas la pathologie. Il y a des parents sans trouble psychique qui sont des monstres. Et il y a beaucoup de parents avec diverses maladies, ou bien qui ont un trouble psychique, ou qui ont des revenus modestes : et pourtant ils élèvent merveilleusement bien leurs enfants.

Mon foyer actuel n’est que joie, rire, entraide, adaptation et respect de l’autre.

Alors, décriez tant que vous voulez cette maladie, jamais vous ne pourrez dénier la puissance de l’amour d’un parent bipolaire, parce que nous aimons passionnément.

En connaissance de cause, « tout ce que j’ai à décider », c’est de mettre au monde un mini-nous. Si mon désir d’enfant est un jour si fort, alors je m’imagine être capable d’élever un enfant possiblement handicapé, ou adopté, et d’être mère au foyer, là où hier rien ne me séduisait moins que ce métier.

Je ne serai pas une mère bipolaire, je serai une mère qui donnera tout pour son enfant.

Il sera de toutes mes forces aimé par-delà les montagnes que je soulèverai pour lui.

Maman se bat déjà pour qu’un jour tu puisses vivre.

lucie_ptit_lu

Et toi ton désir d’enfant / maternité / paternité avec un trouble psychique ça passe comment ?


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