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22 décembre 2019

Sur la réponse psychiatrique et l’anti-psychanalyse

basaglia italie

J’aimerais mettre en débat la question de la réponse psychiatrique aux états de conscience altérée et celle de la psychanalyse.

Je suis tombé sur une pétition de Sophie Robert, signée notamment par la député Martine Wonner, qui réclame une justice sans psychanalyse et qui démarre son propos ainsi :

« Nous affirmons que la psychiatrie est une discipline médicale, fondée, comme la psychologie, sur des connaissances scientifiques, devant s’exercer dans le respect du patient et la recherche de son mieux-être, conformément au code de santé publique et au code de déontologie des professionnels de la santé mentale. L’exercice de la psychanalyse à titre privé, pour des requêtes d’ordre existentiel ou philosophique, n’est pas critiquable, sous réserve que cela n’ait pas de conséquences pour la santé physique ou psychique de la personne. Face aux troubles mentaux, cependant, d’autres exigences s’imposent. Notre premier devoir est de proposer un accompagnement adapté, fondé sur les preuves et les données acquises de la science. »

Partons du début : la réponse psychiatrique aux troubles mentaux. Quand quelqu’un décompense ou fait une crise relevant de la psychiatrie, on le fait hospitaliser rarement de son plein gré, surtout la première fois. Toute personne troublée, ne se sachant pas troublée, est dans ce que le monde qui l’entoure appelle le déni. Plongée dans sa réalité, la personne commence à paniquer et entraîne la panique chez les autres. Pour éviter qu’elle se mette en danger ou en cas de tentative de suicide, on l’envoie en psychiatrie, pour la protéger.

Premier problème, la personne paniquée a peur et la réponse à ceci serait de la rassurer, prendre le temps de l’apaiser avant même d’envisager l’injection ou la prise d’un calmant. Mais la réponse psychiatrique, c’est la mise en protection, on coupe la personne de son environnement anxiogène. Bonne idée, si c’est pour l’apaiser ou la faire dormir un peu. Ce qui se passe, en réalité, c’est que le principe de sécurité prévaut sur le bien-être du patient. S’il arrive agité aux urgences, on l’attache avec des sangles. S’il arrive agité à l’hôpital psychiatrique, on le met en chambre d’isolement, pour le couper des autres patients et éviter tout débordement. Qu’est-ce qui autorise à priver quelqu’un de sa liberté d’aller et venir et à l’enfermer sans chercher à le raisonner ? La psychiatrie et l’expertise du psychiatre.

Oui, la personne est malade. Oui, il faut la soigner. Mais pourquoi l’enfermer alors qu’elle flippe à mort ? Ayant vécu cette expérience et le traumatisme de l’enfermement, je dirais que ce qui manque c’est le dialogue et la tentative de nouer un lien dès l’accueil. C’est comme si on attendait que les médicaments injectés de force fassent leur effet avant d’entamer le soin ou, en tout cas, le dialogue.

Le dialogue, ce n’est pas très scientifique, mais c’est ce qui soigne dans les troubles mentaux. Effectivement, les médicaments peuvent apaiser l’anxiété, c’est scientifique, ils peuvent aussi arrêter la machine quand on cogite trop, mais ce sont des réponses à l’état de crise. La psychiatrie semble n’être là que pour gérer la crise, comme elle peut. D’où l’impression d’être traités comme des bêtes sauvages, clairement comme des fous, à l’hôpital. L’ambition thérapeutique de l’hospitalisation a été mise de côté.

Comment ça serait, alors, de traiter les patients comme des êtres humains et de les faire parler dans un but thérapeutique ? En fait, ce n’est peut-être pas scientifique, mais ce qui soigne en psychiatrie c’est de pouvoir mettre des mots à ce qui nous arrive, sortir de ses pensées parfois autodestructrices, pour recréer un lien avec le monde et avec les autres. Se sentir accueilli et en sécurité avec un thérapeute et puis évacuer la souffrance psychique.

Le deuxième problème, c’est quand le rôle du psychiatre se limite à faire des certificats médicaux et les meilleures prescriptions médicamenteuses adaptées à chaque patient. Il y a un moment, après la crise, où il faut recoller les morceaux et remettre du sens à ce qu’on vit. Prendre des médicaments à vie sans accompagnement thérapeutique, ça n’a pas de sens.

La réponse psychiatrique tournée uniquement vers la situation de crise ou la prévention des crises, c’est oublier que le reste du temps on a toute notre tête et que la crise n’arrive jamais par hasard. Ce reste du temps, ce temps hors-crise, est parfois long et on a souvent l’impression d’être abandonnés à notre sort. Débrouillez-vous entre les rendez-vous mensuels avec le médecin, faîtes votre vie.

Faire sa vie, c’est compliqué quand on a perdu tout lien avec le monde extérieur, qu’on est isolé, et sédaté par les médicaments censés prévenir la rechute.

D’où ma question, la réponse psychiatrique actuelle aux troubles mentaux est-elle suffisante ? Le travail sur soi pour dompter ses symptômes ou chercher l’origine de la crise n’est-il pas essentiel ?

A la sortie de l’hôpital, le seul conseil qu’on nous donne c’est de ne pas arrêter le traitement médicamenteux.

La psychiatrie hospitalière ayant abandonné son rôle thérapeutique, il faudra donc trouver un accompagnement un peu plus poussé pour permettre à chacun de reprendre pied. Pour trouver un logement ou un travail, vous pourrez aller voir l’assistante sociale ou le case manager. Et pour le reste, on vous recommandera la réhabilitation psychosociale ou la remédiation cognitive pour reprendre confiance en vos capacités. Pour ce qui est de la thérapie, il faudra de préférence qu’elle soit cognitivo-comportementale, car ce sont des méthodes approuvées par la science, à chaque comportement problématique sa réponse.

Et l’anti-psychanalyse dans tout ça ?

Ce qui semble déranger les anti-psychanalyse, c’est son caractère non-scientifique. Si tu veux parler et travailler sur toi, va voir un psychologue plutôt qu’un psychanalyste, diront-ils.

De manière grossière, ce qu’on reproche à la psychanalyse, c’est de sexualiser les relations interpersonnelles, de rejeter la faute sur les mères et de tenter d’expliquer l’autisme autrement que par une approche neurobiologique.

Cette approche neurobiologique est promue également pour les autres troubles, avec la recherche en neurosciences comme bras armé. On voudrait expliquer les troubles mentaux à travers la défaillance de certains gènes ou du système immunologique.

Moi, ça me dérange, parce que je suis convaincu que les explications de mon trouble sont plutôt d’ordre psychosocial et relationnel. Certains diront que ça ne sert à rien de chercher les causes psychosociales pour les troubles psychotiques car la psychanalyse de papa Freud ne soigne que les névrosés.

Cependant, quand la psychiatrie neuroscientifique n’apporte aucune réponse à tes questions et te prédit une médicamentation à vie car c’est une maladie chronique comme le diabète, il y a de quoi être insatisfait.

Je n’ai jamais fait de cure psychanalytique avec le divan ou en face à face. Je ne sais pas si ça marcherait. Je ne sais pas si l’approche psychanalytique vaut pour l’autisme.

Mais je sais que dans mon cas, certains concepts sont très éclairants comme celui de la Forclusion du Nom du Père. Au-delà de la théorie, j’ai la chance de faire du psychodrame analytique. C’est cette pratique psychanalytique, que je fais chaque semaine avec 6 thérapeutes, qui me fait penser que la psychanalyse est opérante, qu’elle m’aide à aller mieux et pas que sur un plan philosophique.

Aux partisans d’une psychiatrie neurocomportementale, je voudrais leur demander de ne pas sacrifier le relationnel à la seule technicité basée sur une connaissance scientifique des médicaments.

On pourra dire que pour faire du relationnel, nul besoin de psychanalyse, il suffit de faire preuve d’humanité et d’empathie. Mais dans les faits, quand l’agitation d’un patient est assimilée à de la violence alors que c’est lui qui flippe le plus, on peut s’interroger sur l’appauvrissement de l’enseignement en psychiatrie et la perte de sens de ces métiers ainsi que sur la disparition des espaces de réflexion sur les pratiques et aussi de la notion de collectif soignant.

La maltraitance en psychiatrie n’est pas le fait uniquement de tortionnaires, c’est la résultante d’un appauvrissement de la culture de soin, c’est le renoncement thérapeutique au profit d’une gestion au quotidien des flux de patients et des situations de crise.

On peut sacrifier la psychothérapie institutionnelle héritée des penseurs du soin psychiatrique qu’étaient les Tosquelles, Bonnafé et Oury, on peut sacrifier la psychanalyse bourgeoise de papa Freud mais alors proposez-nous du sens, du relationnel et de la vie. Si c’est juste une question de priorités, de manque de temps et de moyens alors prenez le temps de réfléchir collectivement et axez l’enseignement sur le relationnel, et pas juste sur des techniques réadaptatives et les médicaments. Nos cerveaux ne sont pas des circuits informatiques à réparer. Nous sommes comme vous, des êtres complexes que la seule science ne peut arriver à comprendre.

L’approche psychodynamique ou psychopathologique a le mérite de chercher à expliquer les cheminements de la pensée pouvant mener à la maladie dite mentale. Si la psychanalyse offre des clés de compréhension à des phénomènes en apparence irrationnels, ne peut-elle pas s’allier à la science au service d’une meilleure thérapeutique ?

Joan

4 Comments on “Sur la réponse psychiatrique et l’anti-psychanalyse

Jules
22 décembre 2019 chez 15 h 41 min

Bonjour,

Selon la convention droits des personnes handicapées de l’ONU, la contrainte en psychiatrie est une violation des droits de l’homme.

L’OMS publie des guides de savoir-faire pour éviter toute hospitalisation forcée et tout traitement forcé.
Aujourd’hui c’est en anglais:

https://www.who.int/publications-detail/who-qualityrights-guidance-and-training-tools?fbclid=IwAR0sIc2zyZ9M6o_uDbNtD6-va7oFb8j6UG5A0DXfxFBsoebToV5_gbc1BCY

Quant à la question de savoir si la psychiatrie est scientifique, j’ai plusieurs remarques:

1) La psychiatrie accepte-t-elle les critiques?

2) Les recherches et publications en psychiatrie sont-elles indépendantes financièrement des intérêts industriels?

3) Un concept comme la schizophrénie a été proposé en 1908 comme une maladie du cerveau incurable d’aggravation progressive. Cette maladie supposée n’a jamais été caractérisée biologiquement. Les personnes elles-mêmes et les études de long terme (8 études sont citées dans cet article: https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5980604/) ont prouvé qu’un pourcentage important de personnes qui arrêtent les médicaments n’ont plus besoin de consulter, soit spontanément, soit à la suite d’interventions psychologiques. Si la psychiatrie est scientifique, alors pourquoi entretient-elle au cœur de son édifice un concept erroné?

Si la psychiatrie est scientifique, alors pourquoi impose-t-elle des pratiques dont le bien-fondé n’est pas prouvé, en se basant sur des concepts erronés, à des personnes qui refusent ces pratiques? Si la psychiatrie est scientifique, alors pourquoi inverse-t-elle l’éthique médicale en affirmant ce qui est faux, en imposant des procédés dangereux et nuisibles, sans preuve, aux enfants et aux adultes, en violant la règle du consentement éclairé, et en présentant des pratiques de torture comme des soins? La science doit-elle être opaque dans ses pratiques? La science a-t-elle besoin de menacer des patients si ils ne se soumettent pas? La science doit-elle contraindre des personnes à l’exil pour échapper à ses prescriptions?

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Lotrach
22 décembre 2019 chez 22 h 32 min

Bonjour,
Je suis psychiatre d’orientation analytique et non fermé aux autres approches. Vous avez tout à fait raison sur la question de la disparition d’un lieu de parole en psychiatrie et je ne vois pas bien qui pourrait mieux le proposer que les praticiens de formation analytique, peut-être aussi les systémiciens. Depuis 30 ans que je fais ce travail je n’ai jamais trouvé qu’il ne fallait qu’une seule approche ni qu’une seule explication. Si ne faire qu’écouter, ne suffit pas, agir seulement, ne suffit pas non plus. Faire peser la responsabilité de la mère dans les troubles psychiques constitue à mon sens une grave erreur des psychanalystes qui ne sont pas près de s’en relever. Enfin il y a chez certains professionnels la conviction que seule leur théorie (psychanalyse ou autres) donne la bonne explication qui frôle le délire mystique et ce sont souvent ces personnes-là qui font le plus de bruit.
Pour ce qui est d’écouter une personne en crise, cela demande du temps et du personnel, ce que ne veulent pas comprendre les financeurs.
Bien à vous.

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Jonathan
24 décembre 2019 chez 11 h 09 min

Salut,

Jules décrit très bien la situation.
La psychiatrie est inféodées aux intérêts industrielles.
Mon père, mon frère et ma soeur on tous été internés de force, et sont maintenant sous traitement à vie. Ils ne sont pas guéris, ils sont contrôlable, soumis.

La psychiatrie est une police politique et spirituelle qui ne dis pas son nom.
Elle est comme la police, garante d’un « ordre publique ».
Aujourd’hui avec le nouveau DSM nous approchons le crime par la pensée.

Lotrach, vous êtes partis pris et ne pouvez voir que vous avez le nez dans la m….
La médecine est dans l’erreur depuis la controverse entre Béchamps et Pasteur. Elle cherche à soigner les symptômes plutôt que guérir les causes, industrie oblige…
Freud était lui aussi en controverse avec ses propres élèves Jung et Reich.
Il existe d’autres façon de pratiquer que la votre, bien plus efficaces, mais l’admettre signifierais pour vous admettre que votre discipline est au mieux inutile, au pire invasive et violente et que vos études ne sont qu’un ramassis de mensonges au services de l’industrie de la chimie.

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Alex
19 avril 2021 chez 0 h 33 min

Je découvre ce blog, qui me paraît très intéressant. Il est indéniable que le secteur de la « santé mentale » est en grave crise à l’heure actuelle.

Je pourrais noircir des centaines de pages sur le sujet, mais je vais me limiter à un bref résumé.

Une brève présentation : je suis un grand névrosé, dépressif chronique, ayant à mon actif 4 internements en HP, une cure de stimulation magnétique transcrânienne, et une dizaine de molécules différentes essayées. Je ne dis pas ca parce que j’en suis fier, mais pour présenter une position d’autorité qui va au-delà de la simple opinion. Tous ces traitements n’ont jamais réussi à solutionner quoi que ce soit, à vrai dire j’avais systématiquement des effets paradoxaux et indésirables (antidépresseurs qui aggravaient la dépression, akathisie et dyskinésie avec les neuroleptiques, robotisation et destruction des affects avec le lithium, benzodiazépines qui ne faisaient qu’endormir par moments une anxiété latente tout en créant une dépendance grave).

J’en ai conclu que les médicaments psychiatriques servaient, au mieux, à étouffer les symptômes d’un mal beaucoup plus profond. Certains psychiatres m’ont donné raison sur ce sujet…

On pourra me rétorquer que c’est ma mauvaise volonté qui a fait échouer ces traitements (c’est le vice de la psychiatrie que de pouvoir se gargariser de ses réussites et se défausser de ses échecs ainsi), mais la vraie explication est qu’ils n’ont tout simplement pas fonctionné ! En effet, j’étais favorable à ces traitements, j’en attendais même beaucoup, ayant, à l’époque, complètement adhéré à l’hypothèse neurochimique de la dépression.

J’ai vu de similaires échecs chez beaucoup d’autres patients. On manque de suivi à long terme des patients d’HP. Si on les suivait réellement, on se rendrait compte que le taux de rechute est immense, et que ceux qui s’en sortent s’en sortent généralement par d’autres moyens que les médicaments (la religion, assez souvent, de ce que j’ai observé). Ceux qui pensent que les médicaments sont miraculeux n’ont jamais fréquenté les hôpitaux psychiatriques…

Un livre récent, d’un psychiatre américain, « Good Reasons for Bad Feelings » (2019), est très éclairant sur la crise que rencontre actuellement la psychiatrie et son modèle « neurochimique » des troubles mentaux.

La psychanalyse présente un autre problème, qui est le freudisme. Autant je suis persuadé que la cure verbale et analytique est une très bonne chose, et sans doute la seule vraie voie de guérison définitive, autant il me semble que l’influence démesurée de Freud, a eu, et a encore aujourd’hui, des conséquences négatives. Tout ramener à l’oedipe et à la petite enfance, alors que de nos jours l’essentiel des traumatismes et des névroses se créent dans le système scolaire, est-ce bien raisonnable ? Tout ramener à l’oedipe et à la petite enfance devant un patient qui a été gravement affecté par une tragédie n’ayant qu’un rapport très distant avec cette période, est-ce bien raisonnable ?

La psychanalyse a été, de mon point de vue, gravement handicapée par Freud, et le retard pris dans ce domaine aura eu, de toute évidence, des conséquences dramatiques. Carl Jung, Viktor Frankl, avaient des apports tout aussi remarquables mais eux n’ont pas su se vendre autant que Freud, acquérir une influence aussi démesurée que lui.

Tout ça est triste pour tous les malades et leurs proches… Car c’est la confusion qui prédomine. Il ne faut pas s’étonner alors que de plus en plus, les malades se tournent vers des thérapies alternatives plus ou moins douteuses (sectes, guérisseurs, gourous, spiritualité) ou essaient de s’en sortir tous seuls, tant bien que mal…

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