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9 juin 2017

Vous autres – épisode 2

Embarquez chaque vendredi avec Agathe pour le feuilleton : « Vous autres ».

agathe martin

Vous avez manqué le premier épisode?

Episode 2

C’était la cinquième fois que j’entrais dans ces lieux inhospitaliers, clos et sales. Il devait maintenant être 11 heures du matin. Du moins, c’était ce qu’indiquait l’horloge quasiment illisible parce que trop noire de poussière de ce hall d’entrée. J’attendais là, qu’on m’emmène à ma chambre. Puis, il y aurait le repas. Puis, il y aurait l’attente de la pause cigarette. Puis, il y aurait la pause cigarette dans le « jardin ». Puis, il y aurait encore l’attente, mais l’attente de plus rien, celle qui dure tellement longtemps qu’on ne sait plus à quoi elle mène. Peut-être à rien finalement, car ce n’est plus de l’attente en fait. C’est devenu de la lassitude, de l’ennui profond.

– Monsieur Stallmann ? On y va.

Me dit-elle avec une voix doucereuse, proche de la désobligeance et de l’humiliation. Elle me tendait sa main de surcroît, juste histoire de montrer mon inaptitude. Comme si ma folie me rendait incapable de marcher seul.

Mon pyjama bleu était trop court au bas des jambes, on voyait mon absence de chaussettes. J’étais boudiné dans le haut et mes chaussures noires allaient assez mal avec cette tenue. Rien qu’à me voir vêtu comme ça, on pouvait me prendre pour un fou. Qui aurait l’idée de mettre un pyjama sordide avec des chaussures de ville ? Mais c’était pour mon bien, il fallait me réadapter psycho-socialement en m’habillant de la sorte…

L’infirmière, ou ce que je supposais en être une, car elle ne s’était pas présentée, m’entraîna dans une chambre pas trop délabrée mais assez lugubre et assez sale, surtout les draps. Elle me remit une clef, celle du placard où entreposer mes affaires.

– Gardez-la bien surtout, ne la perdez pas.

Me dit-elle. Ça aussi, il était prévisible que je ne sache pas le faire…

– Oui, oui, je la garde. Merci.

Répondis-je en tentant de la raccompagner, pour ne pas subir ses gentilles recommandations pour enfant de moins de cinq ans trop longtemps.

Elle sentit mon retrait et mon agacement, et finit par partir, non sans m’avoir rappelé qu’on mangeait dans une demi-heure, au réfectoire. Ce qui est étrange car j’aurais bien mangé à 15h dans la salle de bain. Pour ajouter à l’humiliation, j’avais reconnu cette infirmière, déjà présente lors de mon dernier séjour ici. Elle aussi m’avait reconnu. Mais elle avait fait mine de rien, pour je ne sais quelle raison obscure, il ne fallait surtout pas de relations humaines normales dans un hôpital psychiatrique, mais bien des comportements incompréhensibles pour l’hospitalisé et surtout rien d’humain ou d’engageant pour le personnel. Il ne s’agirait pas de se réhabiliter psycho-socialement par des comportements normaux et sains. Entre mon accoutrement et ces échanges tout aussi surréalistes l’un que l’autre, qui se devaient de m’accompagner vers la vie « normale », j’avais encore du chemin à faire ne serait-ce que pour me souvenir de ce que vivent les gens dehors.

La porte finit par se refermer sur cette femme avilissante et je me retrouvais enfin seul. Je rangeais rapidement le peu d’affaires que j’avais sur moi dans l’armoire, les mettait sous clefs. Après le repas, je chercherais à téléphoner pour que quelqu’un de la vie réelle vienne m’apporter des vêtements, des cigarettes et de quoi subsister décemment ici. Alors, une sonnerie retentit, celle du repas. Je vérifiais alors ma chambre, et me rendit dans ce fameux réfectoire que j’étais censé avoir oublié depuis la dernière fois.

Une petite foule s’amassait devant la porte de la cantine. Certains étaient assis au sol. D’autres parlaient fort en tenant des propos incongrus. Deux personnes discutaient vers la fin de cette file pas très ordonnée. Je m’approchais, restant debout et ne cherchant pas trop à lier contact même si il allait falloir se faire des amis pour subsister sans cigarettes et sans café ces quelques temps avant que quelqu’un de l’extérieur ne puisse venir me voir et m’amener tout ça.

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