Psychose d’État : non au fichage à l’hôpital
Début mai, alors que la société française s’émouvait du « fichage » par les autorités sanitaires des personnes blessées lors des mouvements sociaux (comprendre les gilets jaunes) à travers le fichier « SI-VIC » – système d’information pour le suivi des victimes, mis en place après les attentats de 2015, on apprenait également qu’un décret allait permettre aux autorités de croiser les données de la base HOPSYWEB relative aux hospitalisations psychiatriques sans consentement et le FSPRT (Fichier des signalements pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste).
En clair, les gilets jaunes sont fichés lorsqu’ils vont à l’hôpital tout comme le sont les psychiatrisés dans le cadre de la « prévention de la radicalisation à caractère terroriste ».
Cependant, personne ne soupçonnerait un gilet jaune d’être un potentiel terroriste contrairement aux psychiatrisés.
Le cyberflicage de la psychiatrie
Dans les deux cas, les fichiers utilisés sont nés de la menace terroriste. On s’en souvient, la réponse à cette menace à été la mise en place de l’État d’urgence, titre récemment repris par deux psychiatres dans leur livre sur l’état de la psychiatrie.
L’état d’urgence en psychiatrie ce n’est pas l’État d’urgence et pourtant…
A force de jouer sur les mots, à force d’amalgames, on en vient à croire que l’acte fou des terroristes est le symptôme d’un trouble mental. Et que par conséquence, les fous furieux, les agités, sont de potentiels terroristes.
On nage dans la psychose. Non pas celle des sujets qualifiés de psychotiques par la psychiatrie mais bien la psychose au sens général, celle de toute une société traumatisée par le terrorisme. Nous voilà méfiants, apeurés, attentifs à tout ce qui pourrait être un attentat, un bagage abandonné, une cathédrale qui brûle. Et l’État, perméable à cette inquiétude collective et à cet état d’alerte permanent, tente naturellement de prévenir un futur attentat.
La psychose d’État atteint maintenant la psychiatrie. Il faut ficher, fliquer, pour contrôler l’incontrôlable.
Le problème c’est que les personnes hospitalisées sans leur consentement en psychiatrie sont tout aussi perméables à cette psychose collective. Notre société a peur des attentats et la sensibilité exacerbée des personnes relevant de la psychiatrie n’échappe pas à cette peur. Du coup, la peur envahit les hôpitaux, les patients ont peur, les soignants aussi…
On finit en psychiatrie lorsqu’on perd le lien avec la société.
La psychiatrie, lieu d’asile et de répit, doit permettre au patient de retrouver ce lien avec la société. Malheureusement, le lieu même où il se retrouve privé de liberté le condamne à l’exclusion par la société.
Le patient psychiatrique se retrouve en service fermé, à avaler des médicaments qui altèrent ses facultés intellectuelles tout autant qu’ils les réhabilitent.
Et le lien social dans tout ça? C’est le rôle des soignants que d’apaiser la peur, de recréer un lien de confiance, de rétablir la communication avec le monde extérieur. Le patient délirant, envahi par ses idées, reprend peu à peu contact avec les autres.
Pendant ce temps, dehors, il est suspecté de radicalisation par les autorités.
La psychiatrie, stigmatisée pour son rôle de contrôle social des déviants, est en crise. Et souvent, loin d’être thérapeutique, elle se fait maltraitante. Et pourtant, c’est souvent le dernier lieu de répit pour les personnes désocialisées et en prise avec une grande détresse intérieure.
La folie c’est aussi un symptôme du social.
C’est un sujet délicat, pour moi, car terrorisme et psychiatrie étaient au cœur de mon délire lorsque j’ai été hospitalisé en 2017.
C’est comme si j’étais un révélateur des malaises de la société, comme un fou qui révèle cet inconscient collectif, à la fois troublé et troublant.
Alors en crise, je me retrouvais dans un train aux Pays-Bas poursuivi par ma cousine et bientôt la police. La police néerlandaise arrête le train pour m’emmener voir un psy. Ne souhaitant pas descendre du train, je commence à dire que je ne suis pas un terroriste. Le policier m’aide à descendre et me dit « You are Fucking Crazy ». Je trouve ça violent. Je vois un psychiatre qui, après discussion, me laisse repartir avec ma cousine.
Le lendemain, j’ai paniqué lorsque j’ai appris que ma famille venait me chercher, alors j’ai appelé la police. J’ai cherché le meilleur motif pour se faire arrêter et j’ai dit en anglais « I am a terrorist of love, my heart is a bomb ». J’étais réellement amoureux, mais pas un « terroriste tout court ».
La police néerlandaise a déboulé en 20 minutes et m’a globalement bien traité, ils m’ont mis au cachot toute la nuit comme la chambre de soins intensifs de l’hôpital sauf qu’avec une caméra de surveillance. J’ai voulu dialoguer car je souffrais psychiquement, ils m’ont enlevé la bible quand j’ai commencé à déchirer les pages, puis enlevé le matelas, coupé l’eau et la lumière, peut-être pour que je dorme, mais pour moi c’était une vraie torture intérieure. Un psy a bien été appelé, il m’a vu deux secondes et est reparti. Le matin, interrogatoire, moi qui essayais d’appeler le consulat de France, et puis libéré lorsque ma famille a confirmé mon passé psychiatrique, la justice néerlandaise ayant mis comme condition le rapatriement d’urgence.
Arrivé en France, la police est venue me chercher lorsque j’ai appelé la police néerlandaise pour avoir les enregistrements vidéo de « ma torture ». S’en suit la contention d’office à la Pitié Salpêtrière et une hospitalisation sous contrainte. J’ai alors cru que les policiers s’étaient déguisés en soignants et ils m’ont mis en chambre de soins intensifs, m’ont piqué avec de l’Haldol avec les renforts. Après une semaine en service de réanimation à cause de l’Haldol, je réintègre le pavillon fermé où ça parle beaucoup Coran, il faut croire que sociologiquement on était nombreux à être d’origine arabe. Je vous rassure, j’étais le seul « terroriste potentiel » et j’avais du mal à expliquer à l’un des patients pourquoi j’ai longuement crié « Adama Traoré » et « Allah Akbar » pendant ma semaine de chambre d’isolement.
Quand je vous dis que la psychose est collective…
JOAN