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13 octobre 2019

« Un mètre pour la schizophrénie », Nicolas Rainteau

schizophrénie nicolas rainteau

Un mètre c’est la distance pour une poignée de main. Un mètre pour réduire la distance sociale, et se mettre à portée d’un travail, d’un appart’, d’un pote, d’une copine!

Accepteriez-vous de travailler avec une personne atteinte de schizophrénie? D’être son colocataire, son voisin, son copain, sa copine? Le recommanderiez-vous pour un travail ou bien louer un appartement?

Quelle serait votre réponse à ces questions? Si vous ne savez pas, avez un doute, alors prenez le temps de lire ces lignes. Voici l’échange que j’ai eu il y a quelques jours avec Margaux, une usagère de l’hôpital de jour qui venait de passer un entretien d’embauche.

« Cela s’est très bien passé, j’ai pu parler de tout de manière très franche et très ouverte. C’était un peu compliqué au début et j’étais assez stressée, mais je suis plutôt confiante, je suis hypercontente.

– Génial, du coup, vous avez pu évoquer votre diagnostic de schizophrénie avec eux?

– Oh là là! Non, faut pas déconner! Ça, je le garde pour moi, cette maladie fait encore trop peur, je risquerais de ne pas être embauchée. »

Malheureusement, Margaux a raison. Aujourd’hui, ce ne sont pas les symptômes de la schizophrénie qui pourraient l’empêcher de retravailler. En effet, depuis plusieurs mois, elle va bien. Les voix qui s’en prenaient à elle ont disparu et les idées de persécution se sont petit à petit atténuées.

Et puis Margaux n’a pas ménagé sa peine, parce que le traitement ne fait pas tout. Entraînement aux habiletés sociales pour retrouver la facilité d’interagir avec les autres et être capable d’affronter un entretien d’embauche. Travail sur la mémoire, la concentration, l’organisation de la pensée. Toutes ces capacités insidieusement touchées par la schizophrénie et qui demandent aux patients une volonté de tous les instants pour reprendre le dessus. Mais, à force d’acharnement, Margaux était prête le jour J. Et ce boulot qu’elle a décroché est la juste récompense d’un courage trop souvent sous-estimé pour vivre avec une maladie comme la schizophrénie.

Vous l’aurez compris, ce qui aurait pu l’empêcher d’obtenir ce travail, c’est ce mot : « schizophrénie ». Non pas le florilège de symptômes de cette maladie, mais bien l’étiquette qui lui est associée. Dangerosité, violence, double personnalité, imprévisibilité, incompétence. Autant de stéréotypes négatifs associés de manière erronée à la schizophrénie, et ayant pour conséquence une volonté de mise à distance sociale.

C’est au jour le jour que cette étiquette se dresse, tel un mur infranchissable, face aux projets, aux envies et aux rêves d’hommes et de femmes qui n’aspirent qu’à avancer malgré la maladie.

Un seul mot peut-il avoir un tel pouvoir? Les résultat d’une étude menée par notre équipe semblent abonder dans ce sens. Nous avons utilisé un protocole expérimental fondé sur les coordinations motrices. Chaque participant a été invité à effectuer une tâche de synchronisation consistant à aligner un point à l’aide d’un joystick à un autre point se déplaçant sur un écran. Avant le début de la tâches, il était précisé au participant, sur l’écran, si celui-ci allait interagir avec un sujet souffrant de schizophrénie, un sujet souffrant d’un trouble de l’intégration neuro-émotionnelle (terme proposé pour remplacer celui de schizophrénie) ou un sujet sain. Les trajectoires du point à suivre étant préenregistrées et similaires dans les trois conditions, les participants n’ont donc pas interagi avec des personnes réelles (mains ont cru le faire).

Ainsi, de manière significative, lorsque les sujets pensent interagir avec un patient atteint de schizophrénie, cela dégrade la qualité de la synchronisation motrice. A l’inverse, l’utilisation d’un autre terme ne dégrade pas la qualité de la synchronisation motrice. Nous avons donc montré que le simple fait de lire le mot schizophrénie sur un écran d’ordinateur avait le pouvoir de modifier le comportement de manière inconsciente et incontrôlable. Cela aurait pour conséquence une dégradation des interactions interpersonnelles. Face à ces résultats, on ne que donner raison à Margaux de ne pas avoir révélé son diagnostic lors de son entretien.

Mais il n’y a pas que le monde professionnel qui semble fermer ses portes aux personnes atteintes de schizophrénie. Trouver un logement à louer par exemple s’apparente parfois à un parcours du combattant. Pis encore, au sein même du monde médical, la mise à distance semble aussi de mise. Plaintes physiques moins prises au sérieux, rendez-vous plus difficiles à avoir, discours du patient trop souvent imputé au seul diagnostic psychiatrique. Moins de soins, moins de travail, moins de liens sociaux, moins de respect des droits. Nous parlons pourtant bien de personnes fragiles et vulnérables, pour lesquelles au contraire l’attention devrait être exacerbées.

La schizophrénie, de par ses symptômes, éloigne les patients de notre société. Il s’agirait donc de ne pas lui faciliter la tâche. Les patients atteints de schizophrénie tiennent tous les jours la distance face à la maladie, il s’agirait pour nous tous de trouver enfin la bonne face à eux.

Un mètre, c’est à peu près la distance pour une poignée de main. Voisin? Coloc? Ami? Collègue? Locataire? Commençons par ce mètre, le reste suivra.

Nicolas Rainteau, psychiatre à Montpellier, responsable d’un hôpital de jour axé sur le rétablissement des patients atteints de schizophrénie.

2 Comments on “« Un mètre pour la schizophrénie », Nicolas Rainteau

blogfunambule
1 juin 2020 chez 22 h 47 min

Hélas ! Et pourtant, ils ont tant à dire, à partager avec les autres toutes leurs richesses, leurs capacités, leur force de caractère ; car il en faut du caractère pour faire face à cette maladie, au nom tabou, imprononçable…

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mtpcolombierega
8 août 2023 chez 4 h 28 min

Je suis atteint de skyzo, de montpellier, super docteur, vraiment, il a engrangé beaucoup d’énergie, utile pour les patients, il faut des équipes complètes de Mr Rainteau!

Il ouvre tellement de portes qu’il est capable de faire revenir quelqu’un à la vie normale

trop souvent stigmatisé, la rechute dans l’estime de soi existe trop, c’est trop compliqué de retrouver sa vie normale, les « amis » disparaissent, la solitude, beaucoup de choses qui s’effacent, à cause de la maladie, que beaucoup d’evenement de la vie peuvent produire aussi, mais en tout cas pour la schizophrénie ca fait mal, double, triple voir sanction illimité… le début d’un nouveau monde, la découverte de quelques facettes de la vie, l’exclusion des « principales », la deception de l’obligation de devoir changer, devoir se battre, se separer, se rapprocher de choses ou d’evenement, tellement de changement dans la vie d’un schizophrène, que cela créé une distance avec les autres, les proches, la vie communes, est ce que le chemin de la vie commune est elle de nouveau possible??

la honte, la difference, la peur, la compréhension, l’évolution, l’impossibilité de la marche arrière …
cela permet de devenir unique comme voulu étant jeune, mais c’est dur mentalement … et on aimerait se reposer sur des personnes compréhensives

j’ai tellement changé que je n’arrive plus à rien, trop loin dans mes pensées, mes reflexions, que mes modeles de pensés ne sont plus fait aux taches simple et utile de la vie…

On (je ?) passe son temps à rever d’une vie nouvelle, meilleure, différente, en aillant tirer les bienfait, les conclusions de ces epreuves pour pouvoir en profiter, les partager, utiliser …

La vie ne se passe plus sur terre mais dans la tete, le besoin de faire mais surtout de comprendre et d’etre compris par les autres, d’etre unis et à la fois seul et grand, autonome comme quelqu’un de « normal »

A la fois heureux en ecrivant cela et inquiet du reste, que vais je devenir

J’étais très fort dans 2 ou 3 domaines, c’était mes moteurs, aujourd’hui je n’arrive plus à poser les premières briques de mes activités dans ces domaines, cela me parait impossible de reussir comme hier… besoin de retrouver le chemin de la reussite, de la victoire, de la balade de la vie, de retrouver une activité prenante et grandissante pour m’estimer .. mais je pense que ce serait un sacrifice « intellectuel » de m’y « perdre » en oubliant ce que la schizophrénie m’a appris dans le but d’être en roue libre sur une route heureuse,

Je garde cette page dans les favoris, je viendrais voir si quelqu’un veut en discuter … G

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