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10 février 2018

Si j’étais invisible [Alex]

Si j’étais invisible, je pourrais écouter les gens parler sans qu’ils me voient. Je pourrais monter dans les avions, les trains, aller où je veux, j’en profiterais pour faire des blagues. Rentrer dans une pièce et disparaître. Il faudrait que le pouvoir d’invisibilité soit autant que je veux. Que je puisse apparaître et
disparaître à ma guise.
Ce qui est intéressant c’est d’écouter des conversations qui ne me sont pas destinées. Je pense que je prendrais l’avion pour le Vietnam. Je profiterais d’être invisible pour ne pas payer l’avion. Et là-bas je voudrais être bien visible pour que ma famille me voie. Je n’y suis allé qu’une fois en trente-huit ans à cause du prix.
Avec ce pouvoir je pourrais y aller deux fois par an, pour le nouvel An vietnamien par exemple.
Je pense que j’agis souvent selon l’image que je renvoie. Si on est invisible, plus besoin de se coiffer, de se raser et de s’habiller. Mais alors, si je suis invisible est-ce que j’existe ?
L’un de nos cinq sens majeurs est la vue. Il faudrait exister par l’odorat, le toucher, l’ouïe. Exister par le goût cela est possible, mais bon.
Alors un monde où je suis invisible est de la pure science-fiction. Alors existerait-il un monde où tout le monde serait aveugle ?
On développerait nos quatre autres sens. Bien sûr c’est encore de la science-fiction, je prends le cas où ce serait la grande crise financière pire qu’en 1929. Pour résoudre la crise il y aurait une guerre mondiale. En ce moment ce sont les Américains qui n’ont plus d’argent. Qui va attaquer les États-Unis ? Ceux qui ont de l’argent et qui prêtent aux États-Unis, c’est-à-dire la Chine, l’Inde, les Saoudiens par exemple. Bon le conflit devient mondial. On se lance dans une guerre bactériologique. On propage un virus qui tue ou qui rend aveugle. Donc tout le monde est invisible.
Pour se dire bonjour les aveugles se touchent les deux mains. Avant la troisième guerre mondiale certains voyants se serraient la main sans se regarder. Le sens du toucher est développé.
Pour trinquer ensemble, non seulement on choque ensemble les verres, mais on fait phalanges contre phalanges.
Il n’y aura plus de voitures. Tout sera automatisé.
Il est vrai que si tout le monde est aveugle, je suis invisible.
Au lieu d’engendrer des chanteurs de la Star Ac’ et des téléfilms américains, on privilégiera les sculpteurs, les vrais musiciens, les masseurs-kinésithérapeutes. L’industrie d’Hollywood sera complètement fermée. L’ère du paraître sera finie. La grande couture ne se souciera plus des couleurs flashy, mais des matières agréables à porter et à toucher.
Alors le fait d’être invisible est intéressant seulement si on peut réapparaître.
Le problème de la cécité peut être guéri si on fait de la chirurgie oculaire. Mais le problème c’est qu’un chirurgien a besoin de ses yeux pour opérer. Alors pendant la guerre bactériologique, les chirurgiens ophtalmo ont été placés dans des bunkers.
La guerre se finit car les épidémiologistes ont des antidotes pour empêcher les gens de mourir mais pas de devenir aveugle.
Dans chaque grand pays, on a deux ou trois chirurgiens ophtalmo qui rendent la vue à quelques personnes élues par le peuple. Il y a de nouveau des pilotes de ligne, des médecins, des coiffeurs, des artistes peintres.
Mais la plupart des gens sont aveugles. Les gens ont des enfants voyants. Ces enfants ont été élevés par des aveugles, ils n’ont pas connu la télévision, le cinéma, les jeux vidéo. Ils connaissent le piano, le yoga, la cuisine, la sculpture. Ils sont les yeux de leurs parents. Ce sont les yeux de la planète.
Si j’étais invisible, je pourrais aussi faire un voyage en avion que tout le monde meurt et que je reste seul sur une île déserte, sans radio, sans téléphone. Je serais invisible, puisque personne ne me verra.
Je ne sais pas si j’arriverais à survivre. Cela sera difficile.
Je crois que dans la vie, j’ai besoin du regard de l’autre. Quand on me dit quelque chose je change mon comportement : je suis vexé, je suis heureux, je ris, je suis triste, je suis rancunier. Mais l’Autre avec un grand A m’aide à vivre.
Je pense que si je suis malade et que j’ai du mal à m’insérer dans la vie socialement, professionnellement et affectivement, c’est que j’ai un problème comportemental vis-à-vis des autres. J’arrive à vivre avec. Alors je ne veux pas être invisible. Je veux exister dans le regard de l’autre. Le regard de l’autre fait souvent mal, mais il nous aide à vivre.
Je crois que si j’étais invisible, je n’existerais pas. Je laisserais des traces de dents dans un pomme, je froisserais des draps, je déformerais un pouf…
Je fais le vœu de rester visible. Il n’y aura plus de guerre mondiale. Ceux qui meurent restent visibles dans nos cœurs et dans nos mémoires.

Alex Tran, concerné par des troubles psychiques

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