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3 juillet 2019

Un monde sans psy ?

Une réflexion personnelle en écho au documentaire Un monde sans fous ? de Philippe Borrel.

Quand on ne va pas bien, on nous dit toujours d’aller voir un psy. Et souvent, par peur et par fierté, on n’y va pas.

Parce que demander de l’aide à un psy, c’est reconnaître qu’on a un problème. Et, dans notre société, mieux vaut ne pas montrer de fragilité surtout mentale car on pourrait nous prendre pour un fou.

Celui qui va chez le psy, c’est le maillon faible, celui qui ne supporte plus son environnement, non pas seulement parce qu’il a un problème dans sa tête mais peut-être aussi parce que collectivement, dans sa famille ou sa communauté, quelque chose ne tourne pas rond. C’est l’idée que chaque personne en souffrance incarne un malaise social. C’est une souffrance dans le sens où on est en rupture avec notre entourage et qu’on ne trouve pas notre place parmi les autres.

On imagine aussi qu’aller voir un psy c’est réservé à une élite, à ceux qui en ont les moyens et ça peut même être branché de dire qu’on va chez son psy.

Je ne te ferai pas ici l’éloge du psy, je voudrais plutôt interroger la peur et le rejet que peut inspirer tout ce qui est « psy » et imaginer un monde sans psy.

Un monde sans psychose, par exemple, mais avec des états de conscience altérée qui témoignent d’une histoire de vie où le psychotique ne serait pas l’incurable mais une personne en quête de changement, pour qui ses expériences, ses émotions et ses pensées ne sont pas que des symptômes d’une pathologie.

Un monde sans psychiatre mais avec des soignants de l’âme qui savent dialoguer, désamorcer une situation et user modérément de médicaments psychotropes avec le consentement éclairé de la personne.

Un monde sans hôpital psychiatrique puisque personne ne veut finir chez les fous et, du coup, plus de services fermés, ni de chambre d’isolement, ni de contention.

Un monde sans psychothérapie institutionnelle, serait-ce un monde où on s’arrêterait de penser les lieux de soins et où on se contenterait d’une explication biologique de la souffrance?

Est-ce que la maladie mentale est une maladie du cerveau inventée par les neuropsychiatres pour se faire de l’argent ?

Un monde sans psychisme, ne serait-ce pas aussi un monde sans rêves ni inconscient? Quelle place pour la psychanalyse, pour l’interprétation et la mise en sens du passé comme du présent, est-elle encore opérante et peut-elle nous aider à nous émanciper?

Et que faire de la psychoéducation ou de la réhabilitation psychosociale, sont-elles réellement des inventions pour redonner au psychiatrisé un pouvoir sur la maladie et une place dans la société?

Si on t’a dit d’aller voir un psy, c’est sûrement un psychologue, c’est peut-être une bonne chose que de pouvoir déposer ton vécu avec une personne formée à l’écoute, mettre des mots et dénouer une souffrance qui pourrait s’aggraver. Et quand c’est grave, on appelle le psychiatre, qui contrairement au psychologue, peut te prescrire des médicaments pour apaiser l’angoisse.

Dans un monde sans psy, le médecin généraliste serait en première ligne. Si tu fais une dépression sévère, il te prescrira des antidépresseurs et te conseillera d’aller voir un thérapeute. Du coup, tu tomberas sur des gens formés à l’écoute et aux relations interpersonnelles ou alors à des techniques plus comportementales pour t’aider à résoudre des situations bloquantes.

Quand on traite uniquement les comportements ou les symptômes « sans psy », on cherche à objectiver un problème et à le régler par un exercice, un protocole ou un médicament. La psy, elle, est un défi pour la science et la neuroscience car la psy s’intéresse à la personne et pas qu’au cerveau. La psy parle à l’humain pendant que le scientifique ne cherche souvent qu’à identifier, quantifier, diagnostiquer et éradiquer un problème.

Politiquement, c’est assez contradictoire, car on cherche à développer le pouvoir d’agir des usagers en santé mentale tout en dévalorisant ce qui n’est pas quantifiable comme le soin non-médicamenteux ou la parole. Les usagers doivent participer et s’exprimer dans des lieux où leur parole est niée. 

Et si on est capable de compter le nombre de chambres d’isolement ou de contentions mécaniques effectués, pourquoi ne pas simplement abolir ces pratiques et fixer un objectif de tolérance zéro en maltraitance?

Outre la peur du citoyen envers la psy, il y a la peur du personnel soignant envers l’imprévisibilité et la violence des patients. Car dans un monde sans psy, sans psychodynamique ni psychopathologie, il ne reste plus que la psychodynamite qui explose quand le temps, l’envie, la confiance, le sentiment d’être en sécurité et le collectif sont défaillants au sein d’une équipe soignante.

Un monde sans psy, ça coûte sûrement moins cher au Ministère de la santé, on s’appuiera alors sur les accompagnateurs, les aidants et pair-aidants, les facilitateurs, les conseillers d’insertion et animateurs comme pour oublier l’existence même de cette dimension psy qui reviendra sur le devant de la scène uniquement au prochain fait divers ou à la prochaine crise. Et là on dira d’un tel qu’il était fou ou qu’elle était folle et que c’est comme ça, il n’y a rien à comprendre ni à espérer de ces gens-là

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