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17 septembre 2018

Portrait de Rafa83

rafa83

Comme Rafa83, fais-toi tirer le portrait par Comme des fous en répondant à ces 5 questions.

Quelles sont tes inspirations dans la vie et à quoi tu aspires?

Les deux seules personnes qui m’aient inspirée, qui ont forgé ma personnalité, ne sont plus de ce monde.

Le premier c’était mon papa, c’est l’homme idéal introuvable, l’artiste talentueux mais incompris, celui qui n’a pas sa place dans cette société où le rêve, la douceur et le beau n’ont pas leur place, tellement incompris qu’il a échoué en psychiatrie, pour schizophrénie… il faudra encore m’expliquer comment un homme de 50 ans se découvre schizophrène un beau matin, après avoir travaillé et élevé 5 enfants.

La seconde c’est ma grande sœur, belle, flamboyante, de ces femmes qui ne passent pas inaperçue. Moi à côté, je n’étais rien ou pas grand chose, timide, petite, boulotte… mais je l’aimais et c’était mon modèle. C’était ma Marylin Monroe et comme elle, elle n’a pas supporté le temps qui passe, les flétritures de l’âge et elle a tiré sa révérence.

Maintenant, je n’aspire à rien si ce n’est au calme et à la sérénité… j’ai envie de flâner, de musarder, de photographier, de rêver… je ne veux plus avoir mal, je ne veux plus avoir d’émotions, de peurs et d’angoisse…

Certains diraient que c’est ennuyeux, je répondrais que c’est apaisant. Je me lance dans la contemplation.

Comment décrirais-tu ton métier et pourquoi tu l’aimes?

Je n’ai plus de métier depuis 10 ans. J’étais assistante commerciale, tout se passait bien (ou pas), j’aimais mon métier jusqu’à l’extrême, jusqu’à en oublier ma vie privé, jusqu’à ne vivre que pour mon travail, rapportant du travail chez moi la nuit.

Ca a tenu une quinzaine d’année et puis badaboum, l’anorexie, peut-être ma manière de dire: stop, ce n’est pas la vie que je veux.

J’ai été tellement bien à ce moment là, j’étais surpuissante, sûre de moi, je me pensais belle et attirante, j’ai eu, pendant quelques temps, tout ce dont je rêvais et j’ai encore du mal à me dire que c’était un mensonge de la maladie.

Je n’ai pas compris quand j’ai été hospitalisée, pas compris qu’on me dise que j’étais en danger alors que je me sentais si bien.

D’hospitalisation en arrêt de travail, je me suis retrouvée en invalidité et là je me suis écrabouillée.

Je n’avais plus rien. Mon boulot c’était ma vie. Mon anorexie mon anti dépresseur.

Depuis, je survis, j’ai tout perdu, je saute de dépression en dépression…

J’attends la retraite pour me dire que je ne suis pas en arrêt de travail mais à la retraite…

Que penses-tu du monde de la santé mentale?

Beaucoup de bien… et autant de mal.

Si la psychiatrie ne s’ouvre pas, ne s’appuie pas sur d’autres acteurs, elle se fourvoie et se perdra.

Si la psychiatrie se résume à enfermer les malades et ne cherchent pas à les en sortir, en leur faisant confiance et en les accompagnant… autant mettre fin à leur souffrance.

J’ai fais plusieurs séjours en HP dont un dans un CHU. Les malades étaient triés par secteur géographique.

Autant dire que je n’oublierais jamais ces gens, du schizophrène qui hurlait en regardant le ciel et voyait Satan apparaitre en passant par l’autiste qui mangeait mon savon, le drogué en manque qui menaçait tout le monde à la dame déprimée qui m’a agrippé la main pour que j’appuie sur la sienne dans laquelle elle tenait un couteau appuyé sur sa poitrine…

Je ne les ai pas oublié, sans doute sont ils encore là bas… ou pas…

Moi j’observais, j’avais le malheur de ne pas avoir de médicaments, j’avais les idées « à peu près claires », j’attendais qu’on veuille bien me sortir de là.

Ce n’est pas la psy qui m’a sauvé, c’est mon médecin généraliste. Pourtant, j’en ai fait des centres spécialisés soit disant, des cliniques privées… il a juste fallu la bonne rencontre, un médecin généraliste. Elle m’a tenu à bout de bras pendant 10 ans. Sans elle, et qu’avec la psy, je serais retournée en HP ou pas, je m’étais juré de ne plus y remettre les pieds, plutôt mourir que de voir ce que j’y ai vu.

Qu’est-ce qu’on peut tirer de positif de la folie?

Tous ceux que j’ai rencontré dans mon parcours chaotique en psy sont d’une incroyable sensibilité.

On me dira comment savez-vous qu’un autiste est sensible ?

Je m’en rappelle de ce monsieur qui ne sortait jamais, n’a sans doute pas vu le ciel depuis 20 ans. En attendant, il gémissait la nuit, en attendant, il se mettait en colère quand l’infirmière lui parlait comme à un enfant, en attendant, il me regardait, me fixait et il n’avait pas le regard vide.

Quand je suis arrivé dans le service, beaucoup m’ont pris sous leur protection, je pesais 30 kg mais pas un ne m’a jugé mais tous à table me demandaient de manger un peu et me gardaient la meilleur part et essayaient de me convaincre quand je ne voulais pas passer à table.

Je n’ai pas oublié cette petite mamie qui me refilait systématiquement et sans un mot tous les gâteaux que ses enfants lui ramenaient.

Tous ces gens ont une histoire, ont un passé, pour moi, le monde, la société, sont trop durs pour eux, pour moi, pour mon papa.

La « folie » est un refuge, une protection, une coquille.

On nous dit « fous » alors qu’on se protège de ceux-là même qui nous disent fous, mais en quoi est-ce fou de ne pas vouloir ou pouvoir être dans les normes sociales?

Pourrais-tu devenir un jour ministre de la santé mentale et sinon qu’est-ce que tu lui demanderais?

Si je devenais ministre de la Santé, je commence d’entrée par restaurer les hôpitaux psy vétustes voire insalubres.

J’ai fait l’HP en CHU et une clinique psychiatrique, l’un c’était l’enfer, l’autre le paradis. Quatre personnes dans une chambre prévue pour deux, des murs moches gris et craquelés, la saleté, pas de sortie dans le parc possible s’il n’y a pas de soignants accompagnateurs, la gale en prime… c’est juste honteux.

Après, on peut discuter du nombre de soignants, mais avant tout prévoir des activités. Ca sert à quoi d’enfermer des gens si c’est pour les laisser tourner en rond entre deux repas…

Après les soignants, je suis partagée. Je comprends qu’il en manque, je comprends que c’est compliqué mais je vois aussi que lorsqu’on t’aboie dessus, te traite comme un bébé, tu n’as qu’un envie, c’est de les rabrouer… Je suis une calme, voire très calme, je ne me mets jamais en colère, j’essaye d’être le plus discrète possible, mais j’ai eu l’occasion de sortir de mes gonds, ce qui était une grande première pour moi.

J’imagine alors ce qui doit se produire dans la tête de ceux qui ont le sang plus chaud. J’avoue que lorsque j’ai fait appelé une infirmière en urgence par ma voisine de chambre, parce qu’une dame me cramponnait la main en me suppliant de lui enfoncer le couteau qu’elle cachait sur sa poitrine et qu’elle est revenue en me disant qu’elle viendrait après le petit déjeuner, soit dans une demi heure, j’ai hurlé et j’ai mis un tel ramdam qu’elle a finit par arrivé en me gueulant dessus. le ton est monté très très haut. Sauf qu’à un moment, j’ai senti la main de la dame m’agripper un peu plus fort et s’enfoncé. Bilan, elle a fini aux urgences et je n’ai jamais su si elle en était ressorti vivante, le psy avait interdit qu’on m’en parle.

Je n’oublierai jamais le regard de cette dame, je n’oublierai jamais la légèreté de l’infirmière.

Bref, il y a du travail, un énorme travail, mais le premier, c’est de reconnaitre les malades comme des êtres humains, comme des être sensibles…

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