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25 mars 2020

Voyage en folie

dr mamour

Ces vacances-là, il est difficile de ne pas s’en souvenir toute sa vie.

J’avais prévu de faire les vacances traditionnelles entre copains, un road-trip en Espagne, les vacances rêvées et tant attendues. Je les attendais d’autant plus que je sortais d’une lourde dépression, qui m’avait clouée au lit pendant tout l’hiver. J’avais perdu goût à tout, et voyais le monde à travers un filtre noir que je peinais à enlever. A cette période, je ne comprenais que trop bien le vers de Baudelaire « quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle ».

Pour m’en sortir, mon médecin m’avait prescrit des médicaments que je prenais docilement chaque soir. Peu à peu, je sentais qu’ils faisaient effet, et je retrouvai progressivement mon état normal. Je me sentais bien, très bien, et même un peu trop bien.

A l’arrivée du printemps, je commençais à retrouver ma forme physique et mentale, et au rythme des bourgeons qui commençaient à éclore, de nouvelles idées et projets émergeaient de toutes parts. Toute l’énergie que j’avais laissé hiberner pendant l’hiver revenait de manière décuplée. Le printemps correspondait aussi à mon anniversaire, je fêtais ma naissance et sentais en même temps que je renaissais. Je m’amusais à retrouver ces petits plaisirs que l’on connait tous, mais que j’avais oublié durant mon hibernation: chanter sous la douche « toute la musique que j’aime », danser le Mia devant mon miroir, mettre des vêtements pleins de couleurs… Je n’avais jamais touché un bonheur aussi pur, sans limite, c’était de la drogue naturelle, c’était dingue, c’était fou…

Et oui, c’était le mot, c’était « fou ». Je faisais ce qu’on appelle un épisode « maniaque ». Pour ceux qui ne connaissent pas, un épisode maniaque est ce qui s’oppose à la dépression: alors qu’une dépression est un trop bas d’énergie, un épisode maniaque est une explosion d’énergie où l’on se sent pousser des ailes, où l’on est comme sous extasie sans prise de substance, où l’on se prend pour un sur-homme, ou dans mon cas, pour une sur-femme.

Lorsque mon entourage a réalisé ça, au lieu de m’envoyer en road-trip en Espagne, ils m’ont envoyé en confinement à Sainte-Anne. Deux styles, deux ambiances.

Je comprends que par rapport à tous les voyages que vous allez raconter, celui à Sainte-Anne est celui qui fait le moins rêver. Mais dans le genre « destination unique au monde » je pense que je marque un point.

J’ai décidé de vivre ce voyage en Folie comme une touriste curieuse qui se prête au jeu. J’espérais ne pas vivre cette expérience tous les 4 matins, fallait donc que j’en profite.

Au début, c’était un choc, je ne vais pas vous mentir. Compte tenu du fait que je me considérais comme la reine du monde, j’avais du mal à comprendre pourquoi ils me mettaient en pyjama bleu, m’enlevaient mes bijoux et tout moyen de communication avec l’extérieur, et trouvais que c’était un traitement peu adapté pour une reine.

Comme vous pouvez l’imaginer, pour descendre de mon trône et revenir dans le monde réel, je n’ai pas pu éviter la case médicaments ainsi que l’état léthargique que l’on connaît chez les patients en psychiatrie. Mais j’aimerai aussi aborder des aspects plus plaisants, que l’on n’évoque trop peu dans ce type de récit de voyage.

On ne voit d’un hôpital psychiatrique que ses murs blancs, ses chambres sombres, ses médicaments à forte dose… Mais si l’on regarde bien, il y a aussi un jardin dans lequel on peut se balader, méditer, prendre l’air frais. L’hospitalisation est aussi un moment où l’on est confinés, coupés du monde extérieur, soit le moment idéal pour prendre du temps pour soi, lire, écrire, dormir…

On fait de belles rencontres, parfois atypiques certes, mais qu’est-ce qu’on cherche d’autres en voyage que d’être dépaysé? Toutes les expressions « on s’amuse comme des fous », « plus on est de fous plus on rit » ne viennent pas de nul part, et prennent sens plus que jamais dans un hôpital psychiatrique.

Et surtout, ne croyez pas! Moi aussi j’ai eu droit à mon amour de vacances, à ma romance sans lendemain!

Tous les jours, j’attendais la visite de mon jeune et bel interne… Julien … le Docteur Mamour de Grey’s Anatomy version psychiatrie.

Quand on est hospitalisé, les occupations sont rares, la solitude est grande, et l’ennui peut l’être aussi. De la même façon qu’il est nécessaire de sortir faire les courses en plein confinement pour ne pas devenir fou, il est tout aussi important d’avoir un Docteur Mamour durant une hospitalisation en psychiatrie, pour ne pas devenir encore plus fou. Sans le savoir, il jouait un réel rôle essentiel dans ma santé mentale.

On parlait littérature, il me conseillait des livres. Je le faisais rire car je faisais la « fofolle », j’avais le droit, j’étais là pour ça.

Ça aurait peut-être été une belle romance si je l’avais rencontré durant mon road-trip en Espagne, sous un coucher de soleil avec une jolie robe à fleurs. Mais non, je l’ai rencontré à Sainte-Anne, sous l’éclairage des néons, en pyjama bleu. Deux styles, deux ambiances.

Après deux semaines, j’étais triste de le quitter, tout en espérant ne pas être amenée à le revoir.

Je garde de ces vacances un souvenir ni positif, ni négatif, juste unique en son genre. Une parenthèse de mon existence, un endroit en dehors du monde que j’ai pris plaisir à visiter mais dans lequel je n’aimerai pas retourner.

Voilà pour mon voyage, et si vous y allez un jour, n’hésitez pas à m’appeler, j’ai quelques bonnes adresses à vous donner. 😉

Nana

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