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27 octobre 2016

Le portrait d’un Directeur des soins

Comme Directeur des soins, fais-toi tirer le portrait par Comme des fous en répondant à ces 5 questions.

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Quelles sont tes inspirations dans la vie et à quoi tu aspires?

Ce qui m’inspire depuis quelques temps, c’est de prendre la voie vers la philosophie et l’éthique. Mes lectures sont variées et je découvre peu à peu les différents auteurs et leurs courants philosophiques.

J’ai découvert aussi il y a quelques mois le plaisir de parler l’italien, à l’occasion d’un voyage dans ce magnifique pays et de mon apprentissage récent de cette belle langue.

J’aspire à terminer ma vie professionnelle. Ce sera le cas dans tout juste deux mois. Et j’aspire bien sûr aussi à vivre cette troisième partie de ma vie en profitant pleinement de chaque instant.
J’envisage, en plus des mes différents hobbies, de me tourner vers l’écriture, en lien avec la philosophie que j’étudie le plus assidûment possible.

J’ai déjà écrit quelques articles sur mon blog dsirmtcom.wordpress.com.

Comment décrirais-tu ton métier et pourquoi tu l’aimes?

J’exerce le métier de Directeur des Soins dans un centre hospitalier public. Je travaille dans la fonction publique hospitalière depuis 1977 où j’ai commencé comme agent des services hospitaliers. Je suis ensuite devenu infirmier, cadre de santé et enfin Directeur des Soins en 1999.

Le métier de Directeur des Soins a cette particularité d’être précédé d’un passage obligé par une fonction de soignant (infirmier, manip radio, kiné…). Nous forgeons donc d’abord nos valeurs professionnelles au contact direct des usagers des soins et de leur entourage. Cela favorise et encourage l’humanisme, l’altruisme et l’empathie, ainsi que l’humilité devant le combat mené par les personnes soignées contre leur maladie ou lors de la fin de vie.

Les différentes politiques de santé, tous gouvernements confondus, ont peu à peu démantelé le Service Public Hospitalier, créé en 1970 et dont il ne reste plus grand chose à présent.

L’hôpital public, comparé à celui que j’ai connu dans mes premières années professionnelles, est devenu essentiellement un monde économique et financier.

La tarification à l’activité (les hôpitaux reçoivent leur budget en fonction des actes réalisés et du respect de bornes de durée d’hospitalisation) a modifié le statut du patient/usager en le transformant en patient “rentable” ou non. Selon les actes, selon les pathologies associées, le patient “rapporte” plus ou moins à l’hôpital. Des services ont dû être fermés car il n’étaient pas assez “rentables”.

Le regroupement des hôpitaux, d’abord sous la forme de communautés hospitalières de territoire laissées à l’appréciation des établissements, puis des groupements hospitaliers de territoire (GHT créés en 2016) s’imposant cette fois à tous les établissements publics de santé, a induit et induira encore des mutualisations, toujours pour satisfaire l’appétit insatiable de recherche d’économies. Là encore, des services fermeront. L’accès aux soins sera toujours possible, mais au prix de distances parfois bien grandes.

Le métier de Directeur des Soins, qui avait vocation à son origine à coordonner les services de soins et à améliorer la qualité des soins au travers des projets de soin, est devenu de plus en plus difficile à exercer. De nos jours, il consiste essentiellement à la recherche des équilibres extrêmement instables entre sécurité des soins et économies financières. Réduire la dépense hospitalière a peu à peu rogné les valeurs professionnelles citées plus haut, par le poids immense de la contrainte de faire autant voire plus, avec la réduction progressive des moyens : baisses d’effectif, fermeture de services…

Aujourd’hui, à l’heure où je m’apprête à quitter l’hôpital public, mon souhait serait que les gouvernants comprennent un jour enfin qu’une politique de santé ne se fait pas sur un quinquennat. Elle doit voir très loin, sur plusieurs générations, et cette politique a besoin de bien plus de moyens que ceux octroyés aujourd’hui.

Cela aurait certes un coût important au début, mais les effets progressifs de la prévention, du meilleur remboursement de soins, comme pour la vue ou les dents par exemple, produiraient leurs fruits dans un moyen terme : meilleur niveau de santé global, donc moins de maladies et moins de coûts d’hospitalisation et/ou de soins, moins d’arrêts de travail, et surtout beaucoup plus de qualité de vie. Il a par ailleurs été démontré que le nombre d’infirmiers avaient une corrélation avec le taux de mortalité dans les hôpitaux.

Il faut donc cesser l’hémorragie des effectifs et réviser le goulet réducteur du numerus clausus de certaines professions de santé.

J’ai aimé ce/ces métiers car leur essence même était la relation humaine. Mon maître Saint-Exupéry le dira bien mieux que je ne saurai le faire :

“La grandeur d’un métier est peut être avant tout d’unir les hommes, mais il n’y a qu’un luxe véritable et c’est celui des relations humaines. »

J’ai vécu luxueusement, mais avec des richesses que nul ne peut acquérir par des biens matériels.

Je quitte ce métier fier de ce que j’ai accompli et honoré par toutes ces personnes que j’ai directement ou indirectement contribué à soigner et à accompagner.

Que penses-tu du monde de la santé mentale?

J’ai connu le monde de la santé mentale dans les années 1990 (même si j’y avais fait un stage dans les années 1980 lors de ma formation d’infirmier). J’étais cadre aux urgences et les premières équipes de psychiatrie venaient d’être intégrées dans le service.

Choc des cultures majeur : les temporalités d’un urgentiste et celle d’un psychiatre sont totalement opposées. Le temps pour l’urgentiste est celui de trouver un lit ou de faire sortir l’usager le plus vite possible pour accueillir le suivant : il n’a pas de temps à perdre. Le temps pour le psychiatre est celui de l’alliance thérapeutique, de l’étayage, des mots à dire et des silences à entendre : il a tout son temps, voire même, il doit prendre tout son temps.

Au début des années 2000, j’ai intégré un hôpital dont l’activité était majoritairement psychiatrique. Ici aussi, il fallait du temps. Les réunions notamment en étaient un parfait exemple. Une réunion d’une heure en soins généraux avait son ordre du jour et se structurait sur celui-ci. En psychiatrie, si la réunion durait une heure et avait bien un ordre du jour, il fallait immanquablement un temps de palabres, la “vraie” réunion ne durait que vingt minutes, après quarante minutes de discussions improbables.

Dans cet hôpital, héritier d’un asile datant de plusieurs siècles, on continuait de faire tout à la place des patients. Ceux-ci restaient des semaines, parfois des années. Certains étaient là quasiment depuis leur naissance, suivis d’abord en pédopsychiatrie puis passant en service adulte.

Les agents me disaient : “On tient les malades à bout de bras”. Je n’avais qu’une envie, leur dire : “Lâchez-les”, en me faisant ainsi l’humble successeur d’un Pinel délivrant les malades mentaux de leurs chaînes. Il se passera encore bien des années avant que les choses ne changent ici, sauf à ce qu’un tsunami économique oblige à réduire encore les services, à défaut d’instituer de véritables soins psychiatriques modernes.

Qu’est-ce qu’on peut tirer de positif de la folie?

Passons d’abord par l’étymologie du mot “Folie”. Ce mot vient du du latin follis, soufflet, ballon, le fou étant comparé à un ballon, à une vessie gonflée (Dictionnaire Littré). Ne dit-on pas un “vent de folie” ?

La folie n’est qu’un état comparé. Il n’est possible de parler de folie que par référence à un état dit “normal”. Hors cet état n’est que le reflet d’une culture de société. Il n’y a pas encore si longtemps, une personne homosexuelle était considérée comme malade mentale. Je me souviendrai toujours d’une émission télévisée intitulée “Les Dossiers de l’Ecran”, diffusée le 21 janvier 1975, où pour la première fois on parlait d’homosexualité en tentant de la sortir de ce carcan pathologique. Quarante-et-un ans plus tard, les miasmes sont encore là, lorsque la rue s’emplit de gens “normaux” voulant abroger le mariage homosexuel.

Nous sommes tous fous, ou en tout cas nous devrions l’être. Car être fou, c’est s’ouvrir à une autre pensée que celle pré-déterminée par la culture et l’éducation. Je ne renie pas ces deux fondements des sociétés, mais je veux affirmer qu’il faut toujours avoir l’esprit en questionnement.

Bien sûr, je ne nie pas la douleur que peuvent éprouver les personnes “folles”. Mais une grande partie de cette douleur tient à notre aveuglement de “normal”, à ne pas vouloir poser notre regard autrement. Citons encore une fois Saint-Exupéry :

“Si tu diffères de moi, frère, loin de me léser, tu m’enrichis”.

Les personnes hospitalisées dans mon établissement psychiatrique m’ont donné leur richesse de cœur et d’âme. Beaucoup m’appelait par mon nom, et je considérais cela comme un honneur. De mon côté, je me faisais un devoir de les appeler par leur nom, pour qu’ils soient d’abord des personnes, des être humains, avant que d’être des malades mentaux.

J’ai eu d’ailleurs la chance extrême, dans le cadre d’actions culturelles dans les hôpitaux, de créer une chorale avec des patients de psychiatrie, des résidents de maison d’accueil spécialisée et d’établissement pour personnes âgées, et des agents dont moi-même. Il n’y a avait plus de Directeur des Soins, plus de “malades” ou de “vieillards”. Il n’y avait que des choristes. Nous avons fait deux représentations publiques dont je garderai à jamais le chaleureux souvenir.

Pourrais-tu devenir un jour ministre de la santé mentale et sinon qu’est-ce que tu lui demanderais?

J’aurais été très honoré d’être appelé à être ministre de la Santé Mentale. Mais je crains que si cela avait été le cas, j’aurais dépensé tous les budgets possibles et imaginables.

La santé mentale a besoin de temps. Le rétablissement en santé mentale ne peut se faire comme pour l’ablation d’un organe défaillant, de la réduction d’une fracture ou de la pose d’une prothèse. Le temps en psychiatrie est un médicament irremplaçable.

La santé mentale a besoin d’être humains en relation et donc de personnel formé. Elle a besoin de n’être pas limitée au seul soin sanitaire, mais doit s’ouvrir et s’enrichir de tous les partenaires possibles : structures médico-sociales, associations dont celle pour les personnes ayant des troubles mentaux, groupes d’entraide mutuelle où les patients se retrouvent…

La santé mentale a aussi besoin d’un nouveau regard. Il s’agit ici d’ouvrir l’esprit, d’ouvrir “la cage aux oiseaux” de nos préjugés. Il faut déstigmatiser, démythifier, démystifier. Nous sommes un peu dans le même mécanisme que celui décrit par Elisabeth Kübler-Ross dans les étapes du deuil.

Le déni : celui qui a fait cacher les “fous” dans les asiles, ceux qu’on ne voulait pas voir.
La colère : celle qui a fait considérer les “fous” comme dangereux et qui a produit des lois pour les enfermer encore plus.
Le marchandage : celui qui fait qu’on ne voudrait pas que les “fous” sortent trop tôt, où qu’ils viennent trop nombreux s’installer dans la cité, “chez nous”.
La dépression : celle qui engendre la détresse de devoir être contraint de côtoyer le “fou”.

Et voilà la phrase que je souhaiterais, si j’étais ministre de la Santé Mentale, faire partager au plus grand nombre : l’acceptation. S’accepter l’un l’autre : toi, le “fou”, et moi, le “non-fou”. Henri Laborit, psychiatre inventeur du neuroleptique Largactil, disait :

“Nous ne sommes que les autres”.

Parce que les autres nous construisent, parce que les autres nous aiment ou ne nous aiment pas, parce que les autres nous enrichissent en nous faisant sortir un peu de notre “Moi”.

Alors donc, le “fou” et le “non-fou” ne sont qu’êtres complémentaires et surtout jamais opposés.
“Soi-même comme un autre”. Je terminerai en citant le philosophe Paul Ricoeur :

“L’éthique, c’est le désir d’une vie accomplie, avec et pour les autres ; dans des institutions justes.”

Si j’étais ministre de la Santé Mentale, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour rendre les institutions plus justes, en termes d’égalité et d’équité.

Accomplissons donc nos vies ensemble, avec et pour les autres, toi le “fou” et moi le ”non-fou”, parce qu’un jour ce sera peut-être moi qui deviendrai le “fou” ou qui le suis déjà sans le savoir.

2 Comments on “Le portrait d’un Directeur des soins

[…] Je tiens donc à les remercier chaleureusement et vous invite à découvrir mon portrait sur leur blog à cet adresse : https://commedesfous.com/portrait-directeur-soins/. […]

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[…] via Le portrait d’un Directeur des soins — Comme des Fous […]

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