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15 décembre 2021

« Mon expérience au sein de l’institution psychiatrique », T. A

thomas augereau

« J’ai eu deux expériences au sein de deux institutions psychiatriques. La première fois j’y suis allé de moi-même. La seconde fois c’est un membre de ma famille qui m’y a mis. Ce texte a pour but de faire un retour de ces expériences singulières, au sein d’un lieu d’enfermement, vécues par un révolutionnaire du XXIème siècle. Il y a bien des jeunes qui emploient ces termes alors pourquoi s’en priver ? 

Révolutionnaire sur le plan moléculaire, mais pas seulement, aussi car je viens de lire « Les nouveaux ESPACES de liberté » de Negri et Guattari. Donc révolutionnaire dans le sens de se battre pour trouver un travail qui puisse nous enrichir. 

« Seul un immense mouvement de réappropriation du travail, en tant qu’activité libre et créatrice, en tant que transformation des rapports entre les sujets, seul un dévoilement des singularités individuelles et/ou collectives, écrasées, bloquées, dialectisées, par les rythmes de la contrainte, engendrera de nouveaux rapports de désir susceptibles de « retourner » la situation présente. » 

Depuis que j’ai vingt ans j’ai toujours refusé de poursuivre mes études à la fac d’économie car l’idéologie néolibérale me déplaisait. J’ai donc préféré m’autoformer par le biais de mes expériences associatives et entrepreneuriales. S’ajoute à cela, des compléments de formation comme un Brevet Professionnel, une Validation d’Acquis de l’Expérience et les fabriques de sociologie qui allaient plus dans le sens de mes valeurs et qui m’ont permis de me situer dans un environnement professionnel et pédagogique. 

En France mes premières expériences furent précaires mais guidées au départ par mes passions. Ce furent des expériences politiques solides car elles ont mis en jeu différents éléments de créativité, d’engouement collectif mais aussi de nombreuses remises en question. Celles-ci étaient faites dans des lieux qui ne m’appartenaient donc pas, et que nous squattions car nous faisions partie de ces dépossédés, non propriétaires et tributaires d’occupations passagères. Que ce soient les MJC (-Maisons des Jeunes et de la Culture-), les salles de concert, les parkings et les gymnases publics mis à disposition gratuitement. Tout y était négocié en luttant pour les avoir le temps d’un week-end, d’une journée, d’une semaine et quelques rares fois pour de long mois carnavalesques pour l’événement le plus réussit. Même la presse nous la squattions. Nous étions un peu des gitans qui essayaient de s’intégrer à l’espace public privatisé par certains. De cette première expérience durant laquelle je n’ai jamais eu un seul contrat de travail, j’ai appris à gérer les dépenses et les recettes ainsi que la communauté de manière collective. Il m’aura fallu beaucoup de temps et de moments de réflexions en collectif et en individuel pour mettre les bons mots sur ces actions : luttes de dépossédés. 

Chaque micro tendu était, à l’époque, une manière d’exprimer nos existences de minoritaire. En tout, plus d’une participation à 30 événements dans trois départements limitrophes et de nombreuses dates à travers la France qui ont favorisé à ce que des gens se côtoient, que des amitiés se soudent, que des talents se découvrent et que plusieurs autres prennent le relais. Lancer un mouvement, il fallait le faire quand même… 

S’en est suivi de plusieurs petits boulots et contrats précaires, jusqu’au jour où j’ai entrepris de traverser la frontière pour aller voir si l’herbe y était plus verte ailleurs. En effet, elle l’a été ! 

Premier CDI signé à 31 ans, dans un autre pays que le siens, à plus de 600 km de son chez soi. Enfin un peu de sédentarité dans le travail, bien que mon expérience nomade me poursuivra dans mon style de vie en Van pour ne pas payer un loyer exorbitant et pour pouvoir profiter un peu d’un lieu stable dans lequel insuffler un moment pédagogique fort. Enfin, son chez soi, c’est presque une blague ! 

J’ai beaucoup plus déménagé que ressenti un chez moi. Enfin ça vaut le détour un métier qui plaît, mais ça laisse tout de même des expériences d’enfermement. 

On a tous nos problèmes, mais mon changement moléculaire s’est accompagné de nombreux conflits avec des proches qui ont abouti à ma première expérience dans un hôpital psychiatrique. 

J’ai fait une espèce de voyage cosmique, une espèce de transe ou je continuais mes expériences pédagogiques mais en totale liberté, sans contrainte institutionnelle. Ce voyage me conduisit par mes propres soins chez un médecin, puis aux urgences. Aux urgences, ne surtout pas hausser trop le ton sinon vous vous retrouverez comme moi attaché et sous cachetons qui me paralysèrent la bouche durant deux jours. Tout ça bien-sûr sans avoir le droit d’appeler un proche à moi qui aurait peut-être pu m’aider à mieux vivre cette situation. Après une nuit aux urgences, les infirmiers me proposèrent d’aller « me reposer » dans un hôpital psychiatrique. Pouvais-je refuser dans l’état dans lequel j’étais ? Bien-sûr que non ! 

J’arrivais donc dans un hôpital où les patients m’accueillirent avec bienveillance. Heureusement qu’ils y en avaient qui faisaient gaffe aux autres. C’est surtout grâce à la force du collectif de psychiatrisés que j’ai su que comme j’étais venu de moi-même, je pouvais sortir à ma demande. Beaucoup de rencontre durant ces deux jours d’enfermement. J’y ai su que l’hôpital pouvait garder des personnes ayant été interdites de territoire. J’ai appris à faire semblant d’avaler des cachetons dont je ne savais pas les effets. Vous comprendrez que ceux qui m’avaient bloqué la bouche ont suffi à me remettre de mon délire. Car il fallait être éveillé pour ne pas souffrir encore plus. J’y ai fait des sessions freestyle avec certains, des partis de ping-pong avec d’autres, fumer de gros pétards en scred, vu des situations de délire aussi. Rencontré des gens très intelligents, de classes sociales différentes, de genres différents. J’ai vu qu’à la différence de ce que peuvent dire certains journalistes critiques de cultures urbaines, des gens de quartiers populaires y font de longs séjours également. De très très longs pour certains qui y finissent comme des légumes du fait des doses de cheval qu’on leur administre. 

Enfin j’ai fini par négocier ma sortie, en disant que j’avais vécu un épisode artistique fort ou je créais des situations dans l’espace public. En ne manquant pas de partager aux psychiatres mes connaissances sur des psychanalystes comme Félix Guattari. Connaissances qui me permettaient d’échanger avec eux sur les méfaits de leur institution, que ça soit sur le plan de l’architecture des lieux, ou du manque de prise en charge artistique par le personnel de l’établissement. 

Ma deuxième expérience fut plus longue car elle dura un peu plus d’un mois. Cette fois-là mon errance artistique fut beaucoup plus intense. Elle dura cinq jours ou j’allais de villes en villes diffuser ma révolte. De Besançon à la Seine St Denis, d’Aix en Provence à Montpellier, de gare en gare, d’auto-stoppeur à l’accueil de certaine personne chez elle, d’aéroport à des squat improvisés dans des hôtels de luxes. Bref l’aventure fut belle et bonne. 

Mon hospitalisation se déroula sous les yeux d’une infirmière au CMP (centre médico-psychologique) qui me « suit » encore aujourd’hui alors qu’elle a bien moins de connaissance dans la psychanalyse institutionnelle et dans l’art-thérapie que moi ! Où est la logique ! Les psychiatrisés sont-ils mieux formés aujourd’hui que ceux qui sont sensés les soigner !? Catastrophe ! L’institution psychiatrique est-elle en train de tomber elle aussi ? 

Je fus conduit à l’hôpital en taxi ! La classe. Arrivé là-bas, et étant dans le service adulte, je tombais à la table de psychiatrisés que je trouvais bien endormis. Ceci m’énerva et lors d’une discussion avec le médecin je lui dis un peu trop fort que je pouvais m’énerver contre certains patients si on me laissait encore manger en face d’eux. Chose que je n’aurais jamais dû dire car cela me valut une semaine à l’isolement enfermé dans une chambre comme un prisonnier. Avec une seule sonnette pour appeler les infirmiers qui ne venaient même pas toujours me voir. C’est la solitude qu’il faut affronter dans ces moments-là. Pour trouver des occupations je cassais la manette des rideaux avec laquelle je construisais un arc non pas parce que j’étais original mais pour ne pas devenir plus fou que je ne l’étais. Je lisais aussi tous les mots gravés sur les murs de nombreux patients qui avaient dû être enfermés avant moi dans cette chambre. Le jour de la fin de mon isolement, je ne manquais pas après m’être fait quelques potes de psychiatrisés, de m’échapper de l’institution. J’escaladais donc le grillage et je me rendais à la sortie de l’hôpital en scred. J’allais en stop d’Uzès à Montpellier. Bref je continuais ma grande balade artistique situationniste en rencontrant de nouvelles subjectivités à qui, au passage, je grattais quelques sous pour manger. Arrivé à Montpellier, j’allais y voir des potes dans notre hangar favori. Je couchais chez l’un d’eux et après discussion avec lui je me disais que j’allais retourner à l’hôpital de moi-même le lendemain. Celui-ci m’amena à l’hôpital de Montpellier où je me fis ramener en taxi une nouvelle fois à Uzès. Une fois revenu, je ne manquais pas de me faire pleins de copains psychiatrisés qui avaient su pour ma fugue. Après on ne m’enferma plus jamais car j’avais dit aux médecins que cette réaction était dû à mon enfermement. J’avais aussi changé de secteur. J’étais dans le secteur jeune. Oui en psychiatrie on est souvent mené d’un service à l’autre sans savoir pourquoi. Les infirmiers te font signer des papiers pour te faire gober des médicaments légalement. Les fois où j’ai lu ces papiers je ne comprenais que dalle à ce qu’on allait m’administrer. Tous les matins rendez-vous à 8h pétante pour ta petite gélule à la queuleuleu avec tes amis psychiatrisés. S’en suivent pas mal d’actions de ma part pour réagir à mon enfermement. Poèmes écrits sur les tableaux qui descendaient l’institution psychiatrique, collage de journaux appelant à la révolte, vol en compagnie d’œuvre d’art, tagage au dentifrice dans ma chambre…  

Mais aussi beaucoup de discussions intéressantes entre psychiatrisés, des écoutes de musique en groupe, matage de télé, jeux de société…Les journées sont longues à l’hôpital et tu n’as droit qu’à quelques sorties quand ton état est considéré comme stabilisé à l’abilifail. Ce mois-là il n’y a qu’une infirmière qui se donna le droit de nous faire un atelier d’écriture. Le bagne ! J’ai eu un jour une prise de bec avec une infirmière qui ne voulais pas que je me lève de ma chaise pour aller chercher de l’eau par moi-même. Le comble de cette institution morte de l’intérieur ! 

La redescende médicamenteuse est dure car elle te fait déprimer à mort et les médecins attendaient cet état de faiblesse de ma part pour me prendre entre quatre yeux à huit contre un et me dire que j’étais diagnostiqué schizophrène ou bipolaire de type deux. Ils n’étaient pas d’accord entre eux. Mais sans ça le diagnostic était fortement abusé avec du recul aujourd’hui. Cette journée là je l’ai prise comme un châtiment. Impossible de dire quelque chose pour rétorquer car les médicaments m’avait mis chaos et dans une tourmente psychologique extrême. C’est le moment où tu commences à fermer ta gueule car tu te dis qu’il y a que ça qui pourra te faire sortir de ce cauchemar. Je n’aurais jamais dû accepter la piqûre obligatoire qui te met vraiment au plus bas de tes capacités mentales et physiques. Toute mon énergie s’en était retournée et même plus l’envie d’aller faire du sport ou quoi que ce soit. Je suis sorti de l’hôpital dans un état de déprime maximale. Quelle est donc le but de cette institution ? Ne doit-elle pas soigner les gens ? J’ai mis un an et demi à lutter pour changer de traitement dans un premier temps. Passer de la piqûre à l’aripiprazole. La piqûre obligatoire est faite pour que les patients prennent leurs traitements soi-disant. Moi elle me plomba psychiquement et physiquement en me laissant dans un état dépressif. J’ai beaucoup dessiné et marché à ce moment-là pour lutter contre cet état. Un an et demi de grande solitude aussi. Au début mon état ne pouvait pas me permettre de faire mes propres choix par rapport au médecin. Un jour, j’ai vu l’infirmière en urgence comme j’étais dans un état de déprime extrême. A la limite du suicide. Elle a prévenu le médecin qui a comme un robot réagit en me donnant encore plus de médicament. Des antidépresseurs, antidépresseurs que je n’ai pris qu’au début. Ce fut ma première révolte. Puis j’ai décidé de ne plus prendre la piqûre. J’ai raté mon rdv exprès et j’ai attendu que le CMP m’appelle pour leur dire que je voulais absolument changer de traitement. Première victoire. Le médecin m’a d’abord prescrit 20mg de l’aripiprazole. Dose que je me suis permis de réduire le deuxième jour au vu des effets. Pendant quelques mois j’ai baissé à 10mg, puis à 5mg et aujourd’hui je ne suis qu’à 2,5mg. A cause de ces traitements j’ai eu des problèmes gastriques et j’ai eu aussi des hémorroïdes. Re-sociabiliser avec les amis a été une longue route, ainsi que de retrouver ma confiance en moi afin de continuer ma lutte pour avoir un travail. 

Ce texte existe aussi pour dire que même si ces expériences ont été difficiles, n’en demeure pas moins qu’elles furent enrichissantes pour la lutte. Elles m’ont fait prendre conscience que j’avais beaucoup plus de légitimité pour parler des vrais besoins des psychiatrisés que les médecins qui ne sont même pas capables pour la majorité de tester les traitements sur eux-mêmes. 

Moi aujourd’hui j’ai ces expériences et j’en connais les effets. Avec mes connaissances en psychothérapie institutionnelle et en art-thérapie par le biais de mes auto-apprentissages, cela me permet d’ouvrir ma ganache. J’ai deux interrogations qui me viennent. Comment faire quand, son entourage ont un rapport assez proche de l’institution psychiatrique, leur faire ressentir que rien n’y est fait pour vraiment soigner les gens ? Et comment faire pour collectiviser nos expériences par rapport à cette institution pour la changer ou la réinventer ? Il n’y a pas que la gestion des entreprises qui doivent être reprises par les ouvriers mais aussi la gestion des hôpitaux par les usagers EUX-MÊMES. Pour une révolte des FOUS !! Et pour tous ces infirmiers, médecins, psychologues et autres professionnels du soin qui voudraient être de notre côté, pensez déjà à lutter pour vos conditions de travail. Afin que vous puissiez travailler dans de meilleures conditions et prodiguer des soins dans le respect des libertés des patients ! Après, seulement, nous pourrons discuter !! »

T. A – pour aller plus loin : intermittent-du-skatepark.com

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