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20 novembre 2016

Antipsychiatrie vs psychiatrie

C’est quoi l’antipsychiatrie? Est-ce la volonté d’enrayer la psychiatrie ou un désir légitime d’inventer autre chose?

basaglia italie

« La liberté est thérapeutique »

Le mouvement anti-institutionnel, qui naît de l’action de Franco Basaglia, de son équipe et d’autres groupes en Italie, constitue un processus de transformation sociale exemplaire : à partir d’un milieu spécifique, la psychiatrie, et d’un problème particulier, la santé mentale, il devient – en tant que « pratique qui propage une culture » – le propulseur d’une demande plus générale de changement qui s’est manifestée à différents niveaux de la société. Les luttes aboutissent, à la fin des années 70, à la loi 180 de réforme psychiatrique et à la progressive fermeture des hôpitaux psychiatriques en Italie.

Dans sa conférence du 18 juin 1979 à São Paulo intitulée « les techniques psychiatriques : instruments de libération ou d’oppression », Franco Basaglia racontait ainsi son expérience:

« Nous avons constaté que, dès l’instant où nous donnions des réponses à la pauvreté de l’interné, celui-ci changeait totalement de position, il devenait non plus un fou mais un homme avec lequel nous pouvions entrer en relation. Nous avons alors compris qu’un individu malade a comme première nécessité non seulement le traitement de sa maladie mais de nombreuses autres choses : il a besoin d’un rapport humain avec celui qui le soigne, il a besoin de réponses réelles regardant son être, il a besoin d’argent, d’une famille et de tout ce dont nous-mêmes, médecins qui le soignons avons besoin. Voilà ce que nous avons découvert : le malade n’est pas seulement un malade, mais un homme avec tous ses besoins. »

Comme pour le capitalisme, nous sommes majoritairement conscients des travers de la psychiatrie mais nous ne sommes pas pour autant tous anti-capitalistes du simple fait qu’on ne voit pas d’alternative au système, there is no alternative disent-ils. L’exemple du capitalisme vert qui s’accommode du fait écologique pourrait se transposer à une friendly-psychiatrie qui s’accommoderait du fait psychique sans remettre en cause les fondements de la société.

Parler de changement social plutôt que de psychiatrie, voilà l’objet de l’antipsychiatrie, il ne s’agit pas vraiment d’abolir la caste des psychiatres mais de la resituer en tant que discipline du soin au sein d’un ensemble plus vaste qu’est la société. On ne soigne pas la souffrance psychique comme on soigne un organe défaillant, il faut également traiter les problèmes sociaux qui engendrent la souffrance qu’elle soit psychiatrisée ou pas. Car la souffrance psychique n’est pas le monopole des psychiatrisés ni de la psychiatrie.

Encore faut-il qu’on s’entende sur ce qu’est la psychiatrie. Est-ce que c’est la science chargée par la société de traduire la folie en maladie dans le but de l’éliminer? Est-ce qu’elle se résume à l’administration d’un traitement médicamenteux?

Il faut rappeler que le soin en psychiatrie regroupe tout un ensemble de métiers qui ne se résume pas à celui de médecin psychiatre. Celui-ci n’est d’ailleurs pas une vocation, puisqu’en France on devient psychiatre comme on devient dentiste, en fonction de son classement aux Epreuves classantes nationales de médecine. Le psychiatre n’est donc pas plus enclin que ses confrères de l’école de médecine au relationnel et à l’accueil de la souffrance psychique, d’où la nécessité de ne pas réduire la psychiatrie à une simple expertise neurologique et pharmacologique et de former nos médecins à la psy.

Renier la psychiatrie ça serait comme dire que la maladie psychique n’existe pas et que toutes les souffrances psychiques se valent. Ce qui est faux. Mais entrer en psychiatrie pour un patient, c’est aussi une mort sociale, c’est passer du côté des fous. Il faut soigner la pathologie mais il faut aussi réintégrer le mouvement de la vie qui a été perdu en entrant dans la maladie. Le rôle du psychiatre n’est pas de rappeler à son patient qu’il est malade mais de recréer le lien perdu avec le monde réel notamment dans la psychose. Rappelons ici que le délire psychotique est souvent une tentative de guérison.

Il faut réinventer la psychiatrie comme Tosquelles, en son temps, lorsqu’il créa la psychothérapie institutionnelle. L’institution n’est à entendre ici comme institution asilaire mais comme structure ouverte capable d’accueillir la souffrance psychique et non pas de la réprimer.

S’opposer aux institutions est une aspiration légitime de l’homme libre mais cela n’empêche pas la création de structures sociales plus horizontales plutôt que de lâcher chacun à son sort et à sa souffrance.

Peut-on vraiment guérir la psychiatrie en la rendant plus humaine ? A l’heure actuelle, la question est plutôt de savoir si on doit la maintenir sous perfusion ou si on la laisse mourir à petit feu.

Le danger qui se présente à nous, c’est qu’en fermant tous les lits d’hôpitaux, on risque de voir disparaître la fonction soignante.

C’est la logique du soin à moindre coût, où la relation soignante dans le temps disparaît au profit d’un soin d’urgence comme si on ne pouvait pas éviter les crises à travers un accompagnement médical et social de qualité. Si on veut lâcher les malades dans la nature et qu’ils deviennent autonomes, il faut préparer les conditions de leur intégration dans la société.

Et si on veut désinvestir le soin parce que les hôpitaux sont inhumains, encore faut-il trouver des solutions communautaires pour ne pas abandonner l’individu à sa souffrance, comme Basaglia en son temps.

« Nous avons commencé, par exemple par nous demander à quel moment on pouvait faire sortir un patient. La discussion ne se déroulait plus seulement entre nous, les médecins, mais avec les personnes du quartier où le malade devait aller habiter. Ainsi le citoyen du quartier pouvait se rendre compte que les besoins du patient n’étaient pas différents des siens. Quand il s’agissait de faire sortir une personne pauvre, qui n’avait pas d’argent ni maison ni famille, beaucoup de gens se rendaient compte qu’il étaient ou qu’ils auraient pu être dans une situation semblable. Cela donnait lieu à une identification entre le bien portant et le malade, identification qui était un début d’intégration du malade. »

« Au fur et à mesure que le nombre d’internés diminuait, nous nous sommes employés à créer en ville, des centres de santé mentale. Nous avions une structure extérieure très souple où l’on traitait la maladie hors de l’asile. Nous nous sommes aperçus que les problèmes ayant trait à la dangerosité du malade allaient en diminuant. »

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