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28 novembre 2022

Vol au-dessus d’un nid de coucou. Quand j’étais hospitalisée en psychiatrie. [Imelda]

vol au dessus d'un nid de coucou

J’ai eu envie d’écrire cet article. Parce que je garde un souvenir assez traumatisant de toutes ces hospitalisations. Parce que se retrouver privé de liberté lorsque l’on n’a commis aucun crime, cela reste impressionnant, cela peut sembler inhumain, injuste. Parce que le quotidien derrière les murs d’un HP n’est pas toujours mis en lumière. Parce qu’être en HP, ce n’est pas la joie, c’est en fait une véritable misère qui en dit long sur l’état révoltant des services de santé en France, notamment de la psychiatrie. Parce qu’en HP, on est seul face à soi-même, seul avec ses problèmes. Mais dans tous ces mois parmi les plus vulnérables des vulnérables, il y a heureusement eu des petits rayons de soleil. Heureusement, mais pas suffisamment.

« Souhaitez-vous être hospitalisée ? ». Toutes mes hospitalisations ont débuté ainsi. Je sais maintenant que répondre « non » au médecin qui vous pose cette question, c’est la garantie d’une hospitalisation sous contrainte, c’est-à-dire, sans votre consentement. Combien de fois me l’a-t-on posée cette question ? 3, 4, 5 fois ? A chaque fois, j’étais dans un état second, de crise, sous l’emprise de médicaments, en surdose…suite à une tentative de suicide. Avec la contrainte, il y a la nécessité de prendre des mesures pour mettre le patient hors de danger (envers lui-même, ou autrui).

Le médecin vous pose la question. Vous prenez la pilule bleue ou la rouge ? Répondez non, et le médecin signe un petit papier qui vous prive de liberté afin de vous garantir de rester en sécurité. Un proche peut également demander à ce que vous soyez hospitalisé sous contrainte, mon père l’a par exemple fait pour moi lors de ma première hospitalisation. Une longue hospitalisation sous contrainte nécessitera de passer en audience devant le juge des libertés. Oui, on vous prive de liberté, aux yeux de la loi, vous avez été dangereux, vous avez dérogé à l’ordre des choses, vous passez donc devant un juge au bout de quelques semaines.

Répondez oui, vous êtes libre. Sauf si le médecin décide quand même de vous emprisonner…pardon, hospitaliser sous contrainte, vu votre état alarmant de détresse.

J’ai été hospitalisée dans deux structures. L’une en province, l’autre à Paris. Quel que soit l’endroit, je pense qu’il est impossible de bien vivre une privation de liberté.

A chaque fois, des murs. Pour éviter les escapades, les mises en danger, on vous enferme entre de hauts murs. L’agent d’accueil a l’œil rivé vers la sortie, tu n’as pas intérêt à filer à l’anglaise, ou tes vêtements te seront confisqués et tu porteras l’odieux pyjama bleu de l’hôpital, comme une collerette de la honte. Une fois affublé.e de cet uniforme, impossible de passer incognito hors-les-murs. Et dans la cour de l’HP aussi. Porter le pyjama permettra à tes camarades hospitalisés de dire « ah, ça y est, il.elle a déconné, la punition est tombée ! » La pratique du pyjama bleu, une humiliation thérapeutique.

Les camarades hospitalisés, parlons-en. Je suis arrivée brisée dans ces structures, à chaque fois. Se retrouver confrontés à la faune d’un HP, et se dire « j’en suis », c’est bouleversant. J’ai pu croiser de tous les profils, certains me faisaient peur, je me reconnaissais plus volontiers dans d’autres. On a toujours peur de la différence…et de son miroir. Nous étions dans le même vase clos. Parce que nous avions tous des problèmes qui justifiaient d’être rassemblés au même endroit. Et aussi, parce qu’en France, il n’y a pas les moyens pour offrir mieux à toutes ces populations de malades, aux pathologies et besoins divers. Forcés à la cohabitation, un freak-show laissé à l’abandon par l’Etat.

Personne ne disait ouvertement sa pathologie, à moins d’avoir tissé un lien de confiance avec un autre patient. On se doutait bien, en voyant certains cas, que les maux de certains étaient plus graves, les douleurs peut-être plus aigües et profondes que pour d’autres. Certaines affinités peuvent se tisser au fil des conversations (malades, oui, mais l’hôpital psychiatrique n’enlève rien du besoin d’aller vers l’autre, du besoin de contact.) J’ai bien évidemment modifié tous les prénoms de mes ex-camarades, combiné des profils, créé des chimères, pour brouiller les pistes.

Il y avait Béatrice, la trentaine, petite, un t-shirt qui disait très justement « cute, but psycho ». Elle avait un œil crevé « je me suis crevé l’œil pendant une crise avec une punaise parce que j’étais très triste» . Manifestement en souffrance, souvent à taper dans les murs ou à l’isolement. Il y avait David, hospitalisé depuis vingt ans, cheveux gris et gras, toujours en pyjama bleu et crasseux, il cherchait des mégots mouillés dans la cour pour avoir une petite taffe, et se faisait un plaisir de lâcher des pets odorants dans l’ascenseur blindé par les patients désireux d’aller en pause clope (ça le faisait marrer). Il y avait Agnès, je me demandais ce qu’elle fichait là, une belle brune, brillante, cultivée, qui demandait tout le temps à sortir, mais se faisait souvent sermonner par les infirmières « Vous savez bien que ce n’est pas possible et que ce ne serait pas raisonnable ! ». Il y avait Jane, les cheveux bleus, borderline comme moi, 19 ans, les poignets lacérés de cicatrices de scarification ou pire, un peu artiste, très talentueuse, très sensible, une histoire familiale douloureuse. C’était une jeune femme très sombre, souvent seule dans sa chambre à faire des achats compulsifs avec son téléphone. Il y avait Thibault, il s’amusait à escalader les murs le soir venu pour aller chercher de l’alcool. Il avait séquestré son petit frère pendant une crise. Il y avait Fabien, la soixantaine, un sicilien sanguin, plein de feu et de problèmes, en rupture avec ses filles. Il avait été commerçant prospère dans le Sentier il y a longtemps, et avait tout perdu. Il restait seul avec ses crises, il faisait tout péter lorsqu’il s’énervait contre l’équipe soignante. Il y avait Edouard, 20 ans, maigrichon, blondinet, une gueule d’ange, de petit étudiant sans histoire, gentil, poli, une petite voix. Là pour une grosse dépendance à l’alcool et une dépression grave. Il y avait Clothilde, toxicomane et borderline, en quête permanente de shit, elle en faisait entrer on ne sait comment. Une fois, je l’ai vue souffler un nuage de beuh sur la tête d’un médecin, on aurait dit un dragon en furie.

Il y avait Geneviève, une petite vieille au dos courbé, squelettique, cheveux gris, longs, le teint basané par de nombreux jours dehors. Elle passait son temps à hurler « C’EST BON » en fumant ses gauloises puantes. Il y avait Christian, un petit papy moustachu en fauteuil roulant, veuf, ancien tennisman, volontaire du club de bridge, qui avait voulu en finir, car trop seul et triste dans son logement. Il y avait Clémentine, deux têtes de plus que moi, forte, cheveux au carré, une grosse voix tantôt chaleureuse, tantôt terrifiante. Elle était amoureuse de toutes les patientes du service. Une fois, je l’ai retrouvée dans mon lit, j’ai eu peur, elle voulait m’embrasser et me disait « je t’aime ».

Et il y avait moi. 26 ans, mère solo, célibataire, borderline, hospitalisée suite à une TS médicamenteuse, en pyjama bleu après une évasion remarquée, maigre, en souffrance, en pleurs, je ne voulais pas être là. Privée de téléphone à la demande de la psychiatre. Au départ, on m’a placée dans une chambre solo, avec des murs jaunes. Puis on m’a déplacée dans une autre chambre, que je partageais avec une autre femme. Nous avions un petit lavabo derrière une cloison. La salle de bain et la salle de douche étaient communes, nous les partagions avec les autres. Il était possible d’y aller sur des créneaux dédiés. Il m’est arrivé que la douche soit dans la chambre, mais cela est un luxe. Les douches, comme tout le reste, doivent être prises dans les règles, à heures fixes. Tout est réglé comme du papier à musique. Le quotidien est ritualisé, tout est compté, observé, noté…

Le matin, vers 7h, l’équipe infirmière vient taper aux portes « Mme Machin, c’est l’heure ! Bonjour ! ». Puis courte toilette, et file d’attente. Il faut faire la queue. Il y a en fait deux queues. La première pour le traitement. Cachet 1, cachet 2, tercian, un peu d’eau pour faire passer. Puis la seconde, il faut prendre le petit plateau, se servir parmi les plats réchauffés ignobles de l’hôpital. Manger, débarrasser. Chambre. Même manège le midi et le soir.

Et une règle !

Ne pas déranger pendant les transmissions du matin, de l’après-midi, et du soir. Les transmissions ! Ces réunions qui paraissent interminables, durant lesquelles il ne faut pas déranger le personnel soignant. Toute l’équipe est réunie, psychiatres, infirmiers, éducateurs, toute personne intervenant dans le service. On parle des patients, on prend les mesures, on ajuste, on fait le bilan. Nous sommes des animaux que l’on observe…ou des malades. Selon les jours, je me sens l’un ou l’autre, l’un plutôt que l’autre, tantôt bête, tantôt patient. L’équipe doit demeurer imperturbable. Pas le temps de répondre aux sollicitations, le patient qui aura le malheur de taper à la porte se fera réprimander.

Le psychiatre. Selon les profils, rendez-vous une fois par jour ou par semaine, selon les besoins. A chaque fois, j’attendais ces rendez-vous comme Noël. Faire quelque chose, enfin ! Que l’on s’occupe de moi ! Pendant trente minutes, une heure, qu’on m’aide ! Malheureusement, le psychiatre ne gérait qu’un moment, une crise. Le travail ne se ferait une fois sorti de l’hôpital, et il serait long….

A l’hôpital psy, on est très souvent dans sa chambre, seul. A cogiter, se maudire, pleurer, dormir. Dormir, on le fait beaucoup. Soit pour oublier nos tourments durant quelques minutes, quelques heures, chercher un peu de répit dans les bras de Morphée. Soit parce que le traitement est tellement lourd que le corps ne trouve plus que ça à faire pour le supporter. On est seuls, à porter tout cela. Dans la cour, une clope au bec, à attendre que les heures passent. On discute parfois avec les autres. Mais ces amitiés ne seront pas pérennes. Vous vous imaginez, se revoir ailleurs que dans cet aquarium ? Et le fameux « Vous vous êtes rencontrés où ? vous avez l’air super potes !» « à L’Hôpital Psy ! » Parfois aussi, les autres patients nous sont insupportables. Soit parce que leur pathologie les rend trop envahissants, étouffants, soit parce qu’on ne peut plus les supporter, parce qu’à l’intérieur, on souffre trop. Les autres sont parfois de trop dans la souffrance psy, et la solitude reste la solution la plus supportable.

A l’hôpital psy, lorsque l’on commence à aller mieux, on vous propose progressivement des perm’ (permissions). Accompagnées par un membre de l’équipe infirmière, ou par un proche. Avec un but précis : aller au parc, aller au bureau de tabac, faire des achats, rentrer chez soi, faire une visite. Une heure, deux heures, douze heures avec autorisation de dormir chez soi, quarante-huit heures avec un proche lorsque vous êtes proches de la sortie. Ces perm’ sont vécues comme des petits pas vers un mieux-être. Mais parfois, elles peuvent être violentes. Passer du monde (en)fermé de l’HP au vrai monde, bruyant, véritablement fou, plein de gens normaux, de tentations, c’est violent. Retourner chez soi alors que le dernier souvenir que l’on ait de la maison, c’est la visite des pompiers lorsque vous étiez en surdose de médicaments, c’est violent. Mais qui dit perm’ dit : sortie bientôt. C’est dans les clous…

Heureusement, à l’hôpital psy, il y a aussi de la lumière. Je pense notamment aux ateliers. Atelier contes, atelier art thérapie, relaxation, atelier cuisine, animés par des infirmiers, des intervenants, des psychologues. Pas suffisamment de créneaux, mais au moins cela a le mérite d’exister. Pas assez de temps pour le mieux-être, pas assez de budget. Mais au moins, l’espace d’une, deux heures, créer, s’évader, quitter ce noir intérieur qui dévore tout… Il y a aussi une petite salle parfois, avec des livres, de la musique, accessible certaines heures. Mais pas tout le temps, quel dommage ! J’ai aussi déjà vu une petite cafétéria, gérée par les infirmiers, où chacun peut venir boire un petit café, un petit sirop, moyennant quelques centimes. Un peu d’humain, de l’humain, enfin ! De l’humain, de la lumière, il y en a. Je l’ai vu. De mes yeux vu ! En HP, c’est possible ! Un exemple me vient en tête, lorsque j’ai été hospitalisée, j’ai commencé à avoir une obsession pour le chant lyrique. Alors je faisais des concerts improvisés à mes pauvres compagnons d’infortune. Ils trouvaient toujours que ma voix était incroyable, et ont toujours été incroyablement bienveillants envers toutes mes fausses notes. Ca créait du lien. Les clopes aussi créaient du lien. Tous en souffrance, tous en mal de nicotine, tous avec ce besoin d’inhaler la fumée dégueulasse, et tous en rade de clopes ! En HP, trouver des clopes est un sport national. Les plus chanceux auront des amis pour leur faire la livraison, ou accès à leur carte bleue lors des permissions. Sinon… Ce sera la chasse aux mégots. Il m’est déjà arrivé de fumer des choses franchement douteuses à base de mégots reconstitués. On fume tellement à l’HP. Il n’y a pas grand-chose d’autre à faire. Fumer, attendre que ça passe, refumer, et attendre, dormir, manger, prendre son traitement… Une fois, on a pris ma petite enceinte portative, et de 19h30 à 21h, on a fait la fête dans la cour. Tout le monde, dans la cour, en train de « faire les fous » sur les démons de minuit et partenaires particuliers. Tous les tubes y sont passés, le temps d’une soirée pleine de poésie, entre les murs laids de la bétaillère, oublier avec la musique, et ces gens, si proches dans la souffrance. Les soignants ont noté « rassemblement festif » sur la fiche de transmission. C’était vraiment la fête, oui. Oublier, se sentir humain, se sentir heureux, joyeux, comme tout le monde…

Le plus grand des bonheurs pour moi, à chaque fois fut le lien créé avec une infirmière que je voyais de temps en temps. Je l’ai prise dans mes bras en partant. Je l’ai remerciée pour sa gentillesse, sa douceur, sa fermeté parfois, et son écoute. Une infirmière qui aura pris un peu de temps, du temps qui lui manque, ce temps après lequel elle court entre les traitements, les transmissions, les repas, les crises des uns et des autres… Merci madame, grâce à vous, je me suis sentie humaine…

Je pense avoir fait le tour de mon expérience en HP. Ce n’est que mon expérience, cela n’engage que moi, mon vécu, mes traumatismes. Je ne veux plus jamais y retourner. La lumière ne brillait pas suffisamment fort certains jours, pour me faire oublier les cris, l’humiliation d’être enfermée, le pyjama bleu et l’infantilisation… Le fait de se sentir traité en criminel, mis au ban de la société, parmi les invisibles, parmi les laids, les fous. Sentir que l’Etat ne nous veut pas, ne nous considère pas, nous parque. Qu’il ne différencie pas, qu’il nous envoie à la bétaillère… et que les soignants sont en première ligne, victimes eux aussi du manque de moyens.

Mais, comme disait un type dans un film que j’aime bien, la vie trouve toujours son chemin…

Imelda

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