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18 octobre 2016

« Pas de panique, je suis psychotique », Alain Karinthi

Merci Alain pour cette superbe contribution!

dont panic

Pas de panique, Je suis psychotique… car pas de panique, le monde, vous , êtes si fanatique!!

Je m’appelle Alain, j’ai 35 ans. Je suis travailleur pair dans une équipe mobile de psychiatrie pour des personnes sans abri, vivant avec des troubles de santé mentale, ici à Marseille, France. Ce qui signifie que je vis avec de graves troubles de santé mentale décrits par les médecins comme : une personnalité maniaco-dépressive ou désordonnée (ça dépend du spécialiste ! toute une affaire pour comprendre !), avec en guise de comorbidités, des troubles border-line, addictifs et un déficit de l’attention…

Mon travail est en partie d’organiser des groupes d’auto support, et de réfléchir à la construction d’une formation universitaire sur les « pratiques orientées rétablissement » (concernant globalement le médico-social, le sans-abrisme, l’empowerment et les problématiques d’addiction par exemple), avec un groupe composé de pairs, de chercheurs, de docteurs, de professeurs et de militants ! Nous avons démarré cette année et la première promotion d’étudiants est en train de finir !). J’ai travaillé sur un programme “Housing First de janvier 2012 à mars 2014 et depuis sur ce poste à Marseille)

Mon problème, c’est la communication, à cause des émotions dans mon corps, à cause de moi, de mes gènes, de mon histoire personnelle? (impossible à décrire en quelques lignes sans tomber dans le pathos…). Mes émotions sont si intenses, qu’elles prennent le contrôle, et spécifiquement la colère. Laissez-moi vous expliquer ce qui me met particulièrement en colère, ce qui me met vraiment en colère : c’est à cause des principes !!! du respect de l’attitude orientée rétablissement. Ça me met vraiment en colère. Je pourrais faire une liste de situations et sensations mais je ne pense pas que cela soit nécessaire. Et oh oui, j’ai oublié de vous dire, je suis paranoïaque…

En fait, cela signifie, et je le réalise aujourd’hui, que je vis dans une peur perpétuelle, un très haut degré de conscience, d’acuité dans certaines situations. Cela déclenche des rafales de pensées qui me font me sentir mal, qui peuvent me replonger dans des situations que j’ai eu à vivre (des traumatismes), le plus souvent sans que je m’en aperçoive. Je ne suis pas du genre à me taire, même si je dois dire que je crains le manque de témérité et de courage ! Et je peux dire que je suis du style à ne pas avoir peur d’argumenter, mais verbalement !!! J’ai en partie déconstruit le phénomène paranoïaque, je pourrais prendre le temps de faire un témoignage mais d’autres le font très bien, comme Peter Bullimore, en Angleterre, et le réseau des paranoïaques « paranoïa network », qui aident merveilleusement bien les gens.

J’ai participé à deux jours de formation sur la communication avec mon équipe. Le message a été : si sur le moment, tu mets de côté la question de la psychose, le travail que tout le monde a à faire pour avoir une bonne communication , est le même : c’est un travail de « recentrage » pour mettre ton centre à une meilleur place et être capable d’avoir une meilleure connexion avec l’autre. Le problème de la communication est central, pour chaque organisation. Une autre règle : la posture physique dans la communication est le premier message…Tout le monde a à travailler ça.

J’ai réalisé que quand j’argumente, les gens reçoivent une forte attaque et cela ne vient pas seulement du son. La manière dont ils ressentent les choses dépend aussi de leur style, leur histoire, leur genre. Si par exemple, ils se sentent agressés et qu’ils sont du style à répondre, ils me parlent de manière agressive…et c’est le début d’un conflit…

Je reconnais, que la déconstruction de ce phénomène, le mouvement perpétuel de compréhension et de ressentis sur moi-même, a un effet sur de nombreuses zones rouges (processus de rétablissement). C’est ce que je traverse actuellement…le risque calculé…

Je suis un travailleur pair car pendant 10 ans, j’ai été très souvent hospitalisé en psychiatrie, sur demande de ma famille, sans mon accord et sans voir un juge ou quoi que ce soit d’autre. Parfois pendant un mois et demi… la loi était comme ça (c’était comme ça, et pas autrement ?) J’étais comme ça, un patient hospitalisé, maniaque et paranoïaque, parce que, c’est dommage, mais il n’y a pas d’autres lieux en France pour les gens comme moi.

J’ai besoin d’une solution, j’ai besoin d’aide, de soins (care and cure !) et de soutien. Pendant 10 ans, plus de 5 fois, j’ai eu besoin de solution et on m’a pris ma liberté. Dans le système, la première fois, j’ai subi : 300mg de tertian par jour, plus de l’équanil et plus de 100mg de solian d’après ce dont je me souviens…je suis entré dans le combat contre ce système …(ai-je besoin d’expliquer pourquoi ?), péniblement, souvent seul, soutenu matériellement par la famille quand j’étais enfermé (cigarette tous les jours : le luxe), mais également seul à l’extérieur lorsque le soin, par le contrat qu’il passe et le pouvoir qu’il exerce, la cellule familiale en zone de contrôle. Mais je ne me suis pas toujours battu seul.

Laissez-moi vous expliquer ma situation : Quand j’étais trop sous pression (je dis « j’étais » parce que j’ai réussi à briser le cercle infernal des crises avec le temps : Je peux dire que je suis en dehors de la psychiatrie depuis 5 ans et suivi selon mes choix depuis 3 ans, avec honnêtement, un déclic il y a 4 mois. J’ai fait plusieurs explosions maniaques paranoïaques entre 19 et 30 ans. Depuis mes 19 ans, j’étais habitué aux explosions maniaques allant jusqu’à la construction paranoïaque. C’était suivi de phases « down », longues parfois, et dures. J’ai stoppé cela par un processus de rétablissement construit (par / grâce à / autour de ?) mon emploi de travailleur pair.

J’ai encore des phases down et j’ai davantage de difficulté pour y faire face. Aujourd’hui, dans mon travail par exemple, le problème c’est ma communication et bien sûr ce que je peux produire. J’ai un trouble de l’attention sans hyperactivité : une sorte d’hyper sensibilité aux stimuli, (ce qu’on peux entendre, voir ou penser), qui me mettent par exemple en difficulté pour aller, par moi même, au bout des tâches qui m’incombent. Tout cela accompagné de stress, troubles du sommeil, troubles de l’alimentation … mais la production / l’efficacité est possible. D’un autre côté, si je communique avec le reste du monde comme si j’étais en guerre, avec qui / pour qui devrais-je produire ? En fait, ma condition (TDA) m’oblige plus que quiconque à m’allier pour produire.

Dans ce monde, produire c’est survivre, et comme tout être humain, particulièrement pour un homme de mon âge, je dois obéir à cette règle. Pas de panique, je suis simplement psychotique.

Je ne l’ai jamais fait assez mais je m’excuse platement pour toutes les choses que j’ai dites, et criées, ainsi que les 3 fois où j’en suis venu aux mains d’après ce dont je me souviens, en 15 ans de très haute tension à certains moments. Mais je suis passionné, oui je le suis.

A ce jour, la « psychose » est sous contrôle. Malgré tout, elle peut resurgir mais j’ai des armes pour y faire face, des plans. Mes amis et ma famille savent comment réagir, mais je poserai ces plans à l’écrit, comme une sorte de contrat dès que ce sera possible pour moi. C’est une forme d’assurance…

Mais je ne panique pas, à part que je suis terrifié à l’idée de me ridiculiser en public. C’était simplement horrible pour moi, j’étais le genre de personne que vous croisiez, qui était stressée, qui vous mettait mal à l’aise sans savoir pourquoi, à côté de qui vous ne pouviez pas rester, que vous trouviez bizarre…

Quand la souffrance était trop importante, je n’avais d’autre choix que de le dire et finalement d’aller à l’hôpital… C’est la même histoire pour la plupart de mes pairs… Maintenant, partons du fait que savoir bien communiquer est un travail sur soi que tout le monde se doit de faire.

J’aimerais maintenant savoir qui et combien sont ceux qui carburent à l’adrénaline, qui vivent en repoussant leurs limites, qui déplacent des montagnes, qui travaillent 70 heures par semaine… Ces gens là, qui ont adopté un style de vie et/ou fait le choix de vivre chaque jour en prenant des risques calculés, sont considérés comme des demis dieux aux yeux de la société ! Il en est de même pour les capitaines d’industries ou autres traders, qui jouent et prennent des risques calculés, pas seulement avec leur vie mais également avec le destin de milliers de salariés…

J’aime vivre de manière passionnée et dans l’idée de faire changer le monde, parce que oui, désolé, je pense que c’est possible… Mais pas de panique, je suis psychotique, vous avez le droit d’être impressionnés ! Dans mon cas, plus que pour la majorité des gens, la manière dont mon corps communique (dont je communique physiquement / dont je communique avec mon corps) peut paraître agressive dans les moments de discussions intenses ou pendant des disputes mais ça n’est pas une agressivité qui doit mettre mal à l’aise ni faire se sentir en insécurité dans ces moments là. Je suis désolé, je travaille dessus pour mieux appréhender et mieux contrôler ma communication non verbale. Nous devons tous travailler sur nous pour mieux communiquer. Et comme beaucoup d’autres, disons que je me sens vivant quand je suis dans des situations de prise de risques calculées. Même dans les moments de colère, je suis inoffensif pour les autres, tant que je ne suis pas physiquement brutalisé ou que je ne me sens pas attaqué, je ne fais de mal à personne.

Tiens, je viens de découvrir quelque chose : les mondes des businessmen, des fans de sport, des chefs d’entreprises, des trafiquants sans limite, sont tous remplis de pairs. Pas de panique, je suis psychotique. Pas de panique, vous autres, le monde, n’êtes que des fanatiques. Nous sommes tous des êtres humains.

S’il vous plait, ouvrez-nous les portes de la société. Le rétablissement est une réalité ! Et c’est simplement fondé sur une prise de risques calculée. Pour ma part je garde espoir car pour la première fois depuis longtemps, je ne me sens plus comme étant « différent » des autres personnes. Nous avons tous, nous les êtres humains, le même travail à faire sur nous même pour communiquer. Effectivement pour moi le travail est un peu plus compliqué. D’un autre côté, j’ai découvert dans le même temps que nous sommes tous dans la même m…., pour ma part j’y suis habitué … Je vous plains.. Espoir, courage, partage. Pour la première fois pour tous les travailleurs pairs.

Alain Karinthi, décembre 2015

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