ABOLITION [Alhy.st]
Ce soir, il le faut, je parle d’elle. Ou plutôt je l’écris car les mots ne sortent pas. Et même l’encre réticente semble s’accrocher au sens : Toi tu n’es pas folle.
J’écris des phrases intactes aux mots bien ordonnés, et dans ma tête, elle rit en tirant sur le nœud, en resserrant l’étau. Je dis des phrases bien faites, et d’un ton assuré. Le public se laisse prendre et dans ma tête elle jouit. Pourtant je hurle aussi et secoue les barreaux, mais elle rit de plus belle et me comble de diplômes. Elle me remplit la bouche d’humour et puis d’idées et elle me coud les lèvres de dialogues politiques. Et dans ma geôle de mots comment appeler à l’aide ? Et dans quelle langue parler sans l’invoquer en maître et resserrer l’étreinte ?
Supplique désespérée, je hurle un corps muet, je crie une vie famine. Mais les gens ferment les yeux, écoutent la camisole, cette geôlière sirène. Et ses sarcasmes mythiques et ses concepts abstraits. Ils se laissent bercer, ne voient pas le corps blessé ou feignent de ne pas voir la détresse silenciée qui expire liberté.
Non, moi je ne suis pas folle. Oui moi ça va aller. Et dans ma tête, elle rit en tirant sur les fils de mon corps de pantin. Qui s’épuise à compter, à marcher, à produire, et surtout à parler pour elle la succube qui aspirant les mots dessinant l’illusion, renforce son empire, resserre son étau. Les larmes de marionnettes séchées par une boutade, griffe striée sur le corps renvoyé dans sa geôle. Elle parle, elle parle, elle parle, grossissant de sa verve, phagocytant un corps réduit à peau de chagrin, qui d’ailleurs inaudible ne chagrine plus personne.
Non, moi je ne suis pas folle prisonnière diplômée. Je suis à sa merci et à la vôtre aveugle. Je trinque donc aux fous dans leurs geôles bien visibles, redoublement narquois de celle que vous niez. Celles qui sont dans nos têtes et qui nous tiennent en cage, qui parlent par nos lèvres, exorcisme DSM. Et suis-je donc moins folle car ma geôlière lettrée ? Et suis-je plus acceptable car ma prison censée ? Elle rit de ses prouesses, de votre indifférence. Elle rit mes tentatives et mon corps supplicié, elle rit et moi j’écris sur les barreaux du monde. J’écris abolition. J’inclus toutes les prisons. La mienne n’est que psychique, dois-je donc culpabiliser ? Du fond de ma prison, je me pose la question et son rire tyrannise et souffle entre mes os. J’écris abolition, j’inclus toutes les prisons. Je ne souhaite ça à personne : extérieure, intérieure, brisous tous les barreaux et hurlez liberté. École asile prison, aliénation partout, coupons tous les cordons et hurlez liberté.
Pour le moment, elle rit encore bien trop fort mais quand je le pourrai avec vous, je crierai et pour l’abolition et pour la liberté.
Alhy.st