Pourrais-je un jour faire mentir la bipolarité ? [lucie_ptit_lu]
… 8 ans déjà du diagnostic de trouble bipolaire de type 1. Avec les classiques : l’alternance de phases maniaques et dépressives, puis des phases « stables » comme dirait l’autre.
En quoi voudrais-je faire mentir la bipolarité ?
N’y vois aucun déni de ma part de l’existence du handicap nommé trouble bipolaire. Ni que je le considère comme une personne vivante en train de me raconter des salades fraîchement cueillies dans le jardin.
Je voudrais la faire mentir sur ses fatalités annoncées. C’est-à-dire : abandonner mes rêves et mes activités. De vivre constamment avec l’épée de Damoclès au-dessus de la tête. Sans jamais savoir quand elle va me la trancher.
Poésie du jour, bonjour.
C’était impossible pour moi de seulement me résigner.
On m’annonçait que j’allais être limitée dans certains aspects de ma vie. C’est un handicap, c’est vrai. Faut pas s’voiler la face non plus.
Quand le psychiatre m’a énoncé tout ce que je devais éviter, j’ai répondu. « Ouais, en gros, tous mes projets et tout ce que j’aime dans la vie quoi ».
On me l’a proposé pour mon bien, ce que je comprends. Y a des conseils valables que j’applique au quotidien.
Mais tout de même. On me conseillait, globalement, de renier mon fonctionnement, à la vie que j’avais, et mes futurs projets.
Alors j’ai pris chacune de ces restrictions, comme un défi personnel.
Avec toute l’énergie du désespoir, j’ai décidé de les prendre à bras le corps. Pour les réfuter, une par une, dans l’espoir de les faire mentir un jour.
Je suis donc, avec les années, allée me frotter avec ce qui m’était déconseillé. Tout en restant sage avec mes médocs.
Ça m’arrive donc oui, ponctuellement et avec rigueur, les nuits blanches choisies, les beuveries. Ça m’arrive oui d’être surchargée de stress en formation ou au travail. Ça m’arrive les émotions extrêmes, les activités extrêmes. Et d’autres aspects déconseillés par les psychiatres.
Pourquoi je garde espoir de repousser les limites du handicap ?
Je constate avec émerveillement, toutes les solutions que d’autres personnes en situation de handicap ont réussi à mettre en place. Il y a cet homme handicapé physique, qui n’avait plus qu’une partie de ses membres. Il est parti à la nage sur une durée incroyable. Un exploit que des nageurs professionnels ne sont pas en capacité de faire.
Je pense aussi à ce livre sur la sclérose en plaques. Une jeune femme, gravement atteinte, témoigne sur comment elle a quasiment stoppé la maladie. Et recouvert quasiment son entière santé. Elle a étudié sa maladie, l’a testée sur elle-même, elle a élaboré ses propres solutions. En allant plus loin que la vision française. La SEP est une maladie encore mystérieuse sur son origine et son traitement. On n’est pas censé en guérir. C’est en gros, votre propre organisme qui s’attaque à vous-mêmes. Il ne reste qu’à prier simplement de ne pas décliner, en attendant la prochaine poussée.
Pourtant, ces deux personnes, ont fait mentir ce que leur handicap leur promettait comme vie.
Pourquoi ne pas en faire de même ?
Suis-je têtue ?
Dans la vie, je n’ai jamais aimé qu’on me dise « tu ne peux pas faire ça parce que… » [ remplacer par le mot souhaité ] : une femme, petite, bipolaire…
Si vous me dites « tu ne peux pas », vous pouvez être sûrs que vous allez automatiquement me challenger.
Vous allez déclencher chez moi l’envie de me dépasser.
L’adage dit : « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait. » – Mark Twain
Alors pourquoi pas « Je savais que c’était impossible, donc je l’ai fait » ? – Lucie, bipo lambda
Je te vois lever les yeux vers le ciel en lisant ces mots. Un peu dubitatif, avec peut-être des jugements rapides « encore une qui dénie le trouble, et qui va arrêter ses médocs ». Ou bien le classique « bon, elle est en montée ». Que nenni.
Mais, avoue, qu’aussi tu es un peu curieux. Je vois ton petit œil scintiller d’espoir et se refléter sur ton écran.
Je vais tout de même te décevoir concernant la fatalité du traitement à vie. Je n’envisage l’arrêt des médicaments que comme étant une cerise sur le gâteau. Si tant est que cela soit possible.
D’abord, je veux être heureuse, avec ma propre définition de ce mot. Tout en étant consciente d’être affligée d’un handicap grave.
Un handicap qui te promet de gâcher régulièrement ta vie. Une vie qui ressemble à la construction d’un château de sable. Des heures, des jours à bâtir une vie adaptée à ta nouvelle sentence. Tu ajoutes tes grains de sable, un par un, pour sortir la tête de l’eau. Et avec une seule vague un peu plus forte, en quelques minutes, ton château si durement construit, s’écroule. Et alors, tu reconstruis, lentement. Et alors tu vois de loin, ce gamin arriver en courant sur le sable, mettre un coup de pied dans ton château dans un éclat de rire et… C’est reparti pour un cycle sans fin.
On n’va pas s’mentir non plus, chère bipolarité. Tu as gâché pas mal des aspects de ma vie. Certains boulots, études, relations, santé…
Bien-sûr, je me suis découragée. J’ai regardé le vide pour sauter. J’ai pleuré. Je me suis résignée à une demi-vie. Et ça m’arrive encore, ce sentiment d’impuissance, écrasant tous mes beaux idéaux.
Pourtant. Je ne conditionne plus mon cerveau à penser que toute ma vie, je subirais les aléas de mon humeur, telle une marionnette du destin. Je ne me conditionne plus à penser que je vivrais encore avec des phases maniaques incontrôlables et des dépressions paralysantes, sans pouvoir agir dessus.
Je conditionne mon cerveau à penser que je vais vivre la vie que je souhaite. Peu importe le fardeau de fatalité que tu mets sur mes frêles épaules. Je me dis simplement que tu me muscles le dos !
Alors bipolarité, est-ce que je pourrais te faire mentir ?
J’envisage, en tout cas.
D’abord, de te couper l’herbe sous le pied. Puis avec des moyens que je mets en place, de t’apprivoiser. Y a de la place pour nous 2, viens dans mes bras que je te serre fort et qu’on complote ensemble.
Tu m’as permis de voir d’autres choses, de comprendre au-delà du miroir. De vivre avec un handicap, de complètement changer ma manière de penser et de vivre. De m’adapter.
Je te confie, ma chère bipolarité, ma vision du futur.
On s’donne RDV dans 10 ans, toi, moi, et les millions de bipolaires en France.
Tu verras, vont fleurir de partout, des témoignages de bipolaires équilibrés, des institutions (psychiatriques et autres) réformées, de nouvelles méthodes de gestion de soi, des autres, des idées rocambolesques, novatrices, efficaces, dans tous les domaines !
Peux-tu voir, comme je le vois, le potentiel qu’ils ont, tous ? L’énergie et l’espoir qu’ils ont ? Même en manie parfois, quand on considère qu’ils délirent avec leurs idées ? Et si avec un peu d’entraînement et de cadre, ils réussissaient à construire ce château imprenable ?
On a tous en tête, ces beaux exemples de bipolaires « génies ».
On les regarde du coin de l’œil en se disant que cela ne nous concerne pas.
T’es sûr de ça, toi qui me lis ? Est-ce qu’à ton niveau, sans penser célébrité ou génie, tu ne peux pas agir sur ton bien-être ? Et sur les causes qui te tiennent à cœur ?
Quand vais-je faire mentir la bipolarité alors ?
Quelques mois après mon diagnostic, en 2015, je témoignais en vidéo pour la première journée mondiale de la bipolarité. J’étais dans un sale état dépressif, pas très heureuse d’être bipolaire, et pleine de doutes.
Pourtant à la fin, je dis, ce que je pressentais, avec assurance : « On est hypersensibles, on peut apporter à la société, vraiment ».
Ma chère bipolarité, alors, pour notre plus grand bonheur, on t’a déjà fait mentir.
La vision du futur écrite là-haut, se conjugue déjà au présent.
Affectueusement,
lucie_ptit_lu
https://www.instagram.com/lucie_ptit_lu/
Tocheport
9 octobre 2022 chez 8 h 25 minBravo pour cette ténacité qui normalement mène à la stabilité et donc au bonheur. Merci de nous faire partager ton élan positif, ça aide. Bonne continuation. Amicalement Maeva
Chile
13 octobre 2022 chez 8 h 04 minMerci de partager ton texte, je le trouve magnifique et il me donne du courage et de l’espoir pour me dire que « si c’est possible », que « oui, je ne suis pas seule », que « oui je peux faire plein de choses », que « oui, tous ensemble, on peut faire taire les préjugés sur la bipolarité et toutes les autre troubles ».
Alors merci encore, je repenserais à ton texte quand je me sentirais acculée par la stigmatisation, en me rappelant que je sais qui je suis, mes proches aussi et que les autres n’ont pas de pouvoir sur ce que je pense de moi ou de mes capacités.
Bien à toi
Lucie
15 octobre 2022 chez 11 h 08 minMerci pour vos commentaires ils me touchent car c’est dans cette optique que j’aime partager mes pensées ❤ A relire en si besoin alors ! Bises