Vous autres – épisode 5
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Episode 5
Ce journaliste reporter de guerre vivait mal ce qu’il percevait comme une déchéance. Pourtant, il avait de la chance. Les stress post-traumatiques c’est relativement bien vu dans la société. Pas de folie de la personne concernée, non c’est le monde qui a été fou… Et en fait, c’était plus facile à dire, et ça se justifiait de soi-même. Une psychose sans événement traumatisant, sans cause, sans explication, c’était toujours de la faute de celui qui la développait, non du monde qui l’entoure. A bien y réfléchir et après avoir rencontré tant de gens dans ces hôpitaux psychiatriques, il me semblait qu’il s’agissait toujours d’un syndrome post-traumatique. On n’était jamais là sans raison extérieures à nous… Peut-être qu’on était juste biologiquement inadapté à ce monde et à la vie qu’il nous imposait de mener. Mais pour le coup, la guerre ça retirait toute la culpabilité de ne pas avoir été assez fort, assez solide. En tous les cas, à mon sens.
Mais lui, ça semblait le renvoyer quand même à son incapacité, à une pseudo-faiblesse de ne pas avoir fait face comme les autres, ses collègues. J’avais un peu de mal à comprendre pourquoi, moi qui n’avait subi « que » des violences psychologiques.
– Mes collègues, ils ont réussi à tenir. Ils ne sont pas fous eux. Me disait-il. Ils n’ont pas perdu pied comme moi.
– Ben, je sais pas, peut-être qu’ils sont moins sensible à ce qui se passe autour d’eux. Tu devais voir et percevoir des choses qui les dépassent…
– Oui, peut-être.
– C’est pour ça que tu étais bon, je pense. Mais tu sais, c’est pas normal d’être adapté à ce monde, de s’être créé une carapace, je trouve. Les gens, ils se créent un personnage et ils le jouent tellement qu’au fond, ils ne sont plus personne. C’est pas la vie ça ! C’est la mort de soi-même pour un rôle de théâtre ! Lui disais-je pour le rassurer, y croyant moi-même à moitié.
– Peut-être… Mais bon. Moi, je ne suis plus rien maintenant. Se lamentait-il.
– Non, tu n’es pas plus rien. Tu es au début du chemin pour être toi-même malgré le monde dans lequel on vit qui veut te dire qui tu es. Qui tu es, c’est à toi de le choisir pas aux autres !
– Mais on est ce qu’on fait, et là je fais malade dans un hôpital psychiatrique pour l’instant !
– Non, non, on est autre chose que ça, et puis tu vas sortir. Va falloir te créer ta nouvelle vie. Et dans cette nouvelle vie faut admettre que tu es plus sensible et que du coup, tu vois des choses que d’autres, enfermés dans leur ego, n’imaginent même pas.
– Mouais…
Il se leva du lit. Il voulait fuir ce débat, je le sentais. Du coup, je n’insistais pas. Puis, après un silence un peu pesant, je quittais sa chambre non sans un sentiment d’échec. Mais il n’était pas possible d’ouvrir les yeux pour les autres. Et peut-être était-ce trop tôt, il était encore sous le choc d’être arrivé là. Moi, finalement, me disais-je en déambulant dans les couloirs, j’avais eu la chance de n’avoir que très peu connu la vie des gens normaux. Du coup, je ne devais pas me remettre d’un passé sur lequel je me serais retrouvé contraint de tirer un trait. C’était un peu comme les toxicos qui se réveillent après 25 ans de dépendance. Ils réalisent le temps perdu. Après 25 ans de malheur, ils se réveillent sans rien mais avec des portes ouvertes à nouveau. Lui, c’était le mécanisme inverse. Il avait 25 ans de bonheur et il se réveillait sans plus rien et s’acharnait à fermer toutes les portes devant lui.
Je l’aimais bien ce type…
En continuant mon chemin jusqu’à ma chambre, je tombais nez à nez avec une petite jeune fille toute maigrichonne, probablement une anorexique. Elle me demanda un rasoir pour s’épiler… Sans trop réfléchir, et pensant à une volonté de se faire belle, j’acceptais. Je lui ramenais ça dans le couloir. Elle me remercia en s’enfuyant à moitié… J’eu alors une drôle de sensation, mais bon, je repartais dormir un peu.