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5 décembre 2017

Mon regard sur 12 jours [Stéphane]

Du freaks show à la défaite de la justice face à la médecine

Je connaissais quelques photos de Raymond Depardon, m’étais tenté à quelques minutes de son documentaire sur le monde paysan, j’étais avide -surtout après la bande-annonce- de découvrir ce documentaire en immersion dans la psychiatrie, et plus particulièrement de cette confrontation entre les malades et la justice.

Pour ce qui est de mon histoire, je pourrais dire ici que dès les premiers mois de la loi de 2011 (modifiée donc par la loi de 2013), et peut-être à 5-6 reprises depuis, j’ai pu être moi-même confronté à un(e) JLD. Je connais donc relativement bien la « procédure ».

 

Quant au procédé du documentariste, il aura donc choisi de capter des lieux, des moments, des personnages. On pourrait croire à une certaine forme de neutralité, mais celle-ci n’est qu’apparente puisque tout après réside dans le montage, de ces images qu’on choisit de garder parmi les rushs.
En dehors des scènes filmant les audiences, Depardon n’aura gardé que des scènes montrant des personnes seules, plutôt hébétées : celui-ci dodelinant son corps contre une porte de chambre, celui-là faisant les cent pas à l’intérieur d’une espèce de cage. Un seul contre-exemple : cette femme, qu’on voit par ailleurs lors de son audience, qui vient remercier le caméraman du café qu’il lui a permis de s’offrir. En dehors de ce bref instant, Depardon filme plutôt la psychiatrie comme un espace déshumanisé, où les personnes semblent laissées à l’abandon (et ce n’est pas mes expériences qui le contrediront là-dessus!).

J’en viens maintenant aux audiences proprement dites et au choix opéré par le réalisateur de cette dizaine de cas montrés sur -je crois- 72 à l’origine.

10 cas… et 10 fois où le/la JLD prononce une poursuite des soins en hospitalisation complète. Cela pourrait se comprendre tant les cas choisis relèvent de l’auto ou hétéro-agressivité : cette jeune femme qui se mutile pour taire la mauvaise énergie de viols précédents ; celui-là ayant agressé un inconnu dans la rue ; cet autre ayant, des années de ça, poignardé à une dizaine de reprises un tiers et enfin ce jeune né le jour de Noêl et responsable de parricide.

De toutes ces personnes, seules deux détonnent : l’employée d’Orange, et la jeune mère de famille, fille elle-même de l’assistance publique… mais qui elles-mêmes conviennent de l’utilité du maintien de leur placement.

 

Pour avoir vécu moi-même les HDT (pardon : SDT), pour avoir cohabité quelques jours, quelques semaines avec celles ou ceux-là, il me semble que ce sont plutôt les deux derniers cas qui sont la « norme » à mon niveau, que les 8 autres cas « retenus ». Et j’en veux à Depardon d’avoir choisi ces portraits, ces gueules cassées…. Quand il aurait pu sélectionner des gens avec un discours plus cohérent devant le/la juge.

Le chiffre est en perpétuelle hausse, et ce sont pour l’année 2016 près de 100 000 personnes (oui, 100 000 : plus que de personnes incarcérées) hospitalisées sans leur consentement et in fine donc, présentées à un(e) juge dans les 12 jours. 100 000 cas, dont on sait qu’environ 9 % obtiennent la mainlevée de leur placement (certes, seulement 2 % au Vinatier). On aurait pu espérer que Depardon nous trouve au moins une personne pour laquelle le/la JLD prononce la mainlevée de son hospitalisation… mais non : 100 % des présenté-e-s au JLD retournent à l’HP dans le film.

 

Du coup, pour finir, et ce que je trouve le plus effrayant au sortir de ce documentaire : le non-pouvoir des juges face à celui, absolu, des médecins : les juges montré-e-s dans le documentaire ne sont pas exempt-e-s d’humanité, certes…. Mais ne peuvent rien contre un certificat médical : leur rôle se cantonne à vérifier la conformité du placement avec la procédure en vigueur, et ils ne servent que comme « chambre d’enregistrement », validant -peut-être à contre-cœur, qui sait? – le(s) certificat(s) médicaux. Et ils, elles, font tous cet aveu : « je ne suis pas médecin ».

Et dans ces audiences, où les malades espéreraient pour une fois qu’on les écoute, leur parole est balayée puisqu’il ne s’agit pas d’audience contradictoire face au corps psychiatrique. Ce passage devant le/la JLD relève tout bonnement au final d’une espèce de mascarade malsaine, là où la loi, pouvait-on l’espérer, pourrait limiter l’arbitraire psychiatrique.

Une autre psychiatrie est montrable, loin des choix discutables de Depardon ; une autre psychiatrie aussi devrait l’être, où le/la patient(e) aurait droit à une vraie audience contradictoire. Peut-être un jour ??

 

Stéphane Panchaud,

Indigné de la psychiatrie en voie de résilience, et community manager de « mad pride france ».

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