Vers un mouvement social pour la santé mentale
A lire en écoutant cette superbe archive sonore de l’association Humapsy:
Les personnels hospitaliers en lutte
Depuis quelques mois, la colère gronde en France et, dans la frénésie médiatique et des réseaux sociaux, les travailleurs hospitaliers de la psychiatrie et urgentistes ne manquent pas d’imagination pour se faire entendre : en campant devant les hôpitaux comme la Militente de Toulouse, avec des clips musicaux, des Die-in, le Printemps de la psychiatrie, la grève de la faim, l’auto-injection d’insuline, un marathon autour d’un rond-point, en s’enchaînant aux grilles de l’Agence Régionale de Santé, en se perchant sur les toits comme au Havre, ou en fleurissant les blouses blanches de Shadoks colorés comme à l’hôpital Pinel à Amiens.
Mais que veulent les blouses blanches? De meilleures conditions de travail, ce qui implique plus de moyens et d’être en nombre suffisant pour bien faire leur travail avec les patients.
Mais pourquoi soutenir la mobilisation des personnels hospitaliers et urgentistes quand nous aussi, nous serrons les dents, que pour nous aussi la mobilisation c’est au quotidien : pour aller travailler, pour chercher un travail ou simplement tenter d’exister et que quand nous avons un temps pour nous, on a aussi le droit de s’autoriser de souffler.
C’est gentil de proposer un mouvement social mais les manifestations ou les gilets jaunes, ce n’est pas votre truc?
Les problèmes de santé mentale coûtent cher à l’Etat, d’où la nécessité de faire des économies en réduisant les personnels et les hospitalisations. Mais à vouloir gérer les hôpitaux comme des entreprises, on réduit le travail à ce qui est quantifiable, tarifiable voire rentable, et dans les métiers de l’humain et du social, ce n’est clairement pas la meilleure idée.
Pour faire tourner la machine, il faut des travailleurs en bonne santé (mentale). Mais quand les travailleurs de la santé commencent eux-mêmes à souffrir dans leur travail, c’est que cette rhétorique ne tourne pas rond.
La santé et le service public ça nous concerne bien sûr tous car on finit tous par tomber malade un jour et qu’on attend dans ces cas-là les meilleurs soins possibles.
Au-delà de la distinction entre professionnels de santé et malades, ou plus communément entre soignants et soignés, c’est un enjeu de société dont il s’agit.
L’esprit Mad Pride au quotidien.
Il s’agit d’assumer fièrement notre qualité de citoyens et malgré le stigmate de la maladie mentale, il nous appartient de ne plus apparaître aux yeux des médias comme des « malades mentaux » en marge des questions sociales.
Il s’agit pour chacun de nous de se construire en tant que sujet et sortir du silence, de montrer que les patients ne sont pas de simples consommateurs ni des statistiques.
Mais là où on pourrait croire que la santé mentale est un problème individuel, à chacun son diagnostic et sa santé (fragile), il nous faut réintroduire la force du collectif.
Il s’agit de décloisonner, d’aller au-delà de la psychiatrie, du tout médical et du tout médicament mais aussi de combattre la stigmatisation qui entoure le soin psychiatrique. Pourquoi considère-t-on comme une honte d’atterrir en psychiatrie, ou que la place des dépressifs n’est pas avec les fous?
On peut voir d’un bon œil la fermeture progressive des lits en psychiatrie comme une façon de désaliéner et d‘en finir avec l’enfermement asilaire. Mais fermer les hôpitaux psychiatriques comme en Italie, ça ne veut pas dire en finir du même coup avec la violence institutionnelle, les soins contraints, la contention ou les chambres d’isolement. Dire des hôpitaux que ce ne sont pas des lieux de vie mais des lieux de soins, c’est en faire des endroits de non-vie.
En tant que maladies de la relation, le rôle de l’hôpital ou des alternatives à l’hospitalisation, c’est justement de récréer un lien perdu, de soigner la relation à l’autre. Cette thérapeutique par la relation fait partie de la vie.
Soigner la démocratie
Un mouvement social c’est un redéploiement de la vie, un déploiement de créativité, des rencontres qui alimentent une réflexion durable et pas uniquement des manifestations éparpillées ici et là, pour se rendre visible.
C’est l’idée que la lutte des blouses blanches doit rejoindre celle des patients et des familles pour un accueil et des soins de qualité en santé mentale, des soins sur mesure ou personnalisés, c’est-à-dire sensibles à la personne dans sa subjectivité et son histoire de vie.
Si la santé mentale est à priori un sujet a-politique, il existe dans les faits des lobbys et des think tank qui en font un sujet d’intérêt politique et économique. Il en est ainsi des lobbys de l’industrie pharmaceutique mais aussi des lobbys comme l’Institut Montaigne et la Fondation Fondamental qui tentent de drainer des fonds pour la recherche en neurosciences et en immunologie et la création de centre experts. Les experts, les syndicats professionnels et les associations agréées participent également au jeu politique.
Si l’idée n’est pas forcément d’infiltrer ce jeu politique en créant par exemple un syndicat des patients, il faut tenir compte des acteurs en présence et de la logique néolibérale qui est à l’oeuvre dans le démantèlement des services publics et de la psychiatrie de secteur.
Le progrès de la recherche scientifique (rarement indépendante) et la quête des molécules miracles ne va pas toujours dans le sens d’un accueil inconditionnel et de qualité de la souffrance psychique. En réduisant l’humain à sa dimension biologique, en cherchant à automatiser les méthodes thérapeutiques et à adapter les soins au fonctionnement du système économique, on en oublie la relation de soin et la complexité du fonctionnement psychique. On a parfois l’impression que seuls les pair-aidants peuvent nous comprendre tant la vision organiciste et cérébrale des troubles se répand chez les professionnels de santé.
En santé mentale, rien ne fait vraiment l’unanimité, certains sont pour l’évaluation et la scientificité des méthodes de soins, d’autres laissent une place à l’imprévu et à l’expérience vécue par le patient puisqu’en définitive, ce ne sont pas les médicaments qui soignent mais bien ce qu’on fait de notre vie une fois passée la crise.
On ne doit pas chercher à mettre tout le monde d’accord mais plutôt à faire valoir notre parole et notre intérêt face à d’autres intérêts qui peuvent être divergents. Il s’agit de démocratiser le système en place ou de rebattre les cartes de façon à faire progresser les choses en permettant aux personnes concernées de s’exprimer autrement que par les témoignages, d’accéder à leurs droits et les faire respecter, de faire entendre ce qui leur a fait du bien, ce qui marche et ce qu’il faudrait transformer.
On peut, par exemple, s’inquiéter de la disparition d’un savoir-faire « psy » chez les infirmiers pour apaiser l’agitation d’un patient, éviter l’escalade jusqu’à la violence et le recours à des méthodes coercitives.
On peut aussi faire progresser les représentations sociales au sein de la société, renverser la politique de la peur et la psychophobie et promouvoir la diversité et la neurodiversité.
Il s’agit aussi de faire lien, de prendre le temps de se rencontrer, de créer des espaces citoyens ainsi que des outils pédagogiques pour déstigmatiser, penser de nouvelles formes d’organisation, se former, se structurer à travers des espaces virtuels et physiques, rendre visible ce qui ne se voit pas et ce qui ne s’entend pas.
Réjouissons-nous, les ingrédients de ce cocktail social sont là, pour créer un dialogue salutaire pour l’ensemble de la société.
A propos :
Comme des fous est né comme un média alternatif aux médias traditionnels qui nous qualifient à la hâte de malades mentaux dès qu’une initiative émane d’une association ou d’un groupe de personnes concernées par la psychiatrie.
Voir par exemple dans Libération : Une séquence de «Fort Boyard» émeut les associations de malades mentaux
Créée en avril 2019, l’association Comme des fous a pour objet la dé-stigmatisation des troubles psychiques par la communication numérique et médiatique de la parole des personnes concernées par et pour elles-mêmes afin de :
– promouvoir l’expression et la communication de personnes en situation d’isolement ou de fragilité, confrontées à un problème de santé mentale ;
– permettre une participation effective des usagers de la santé mentale aux instances de la vie publique.Une première rencontre associative est prévue à Paris le samedi 7 septembre 2019 : https://commedesfous.com/agenda/rencontre-associative-comme-des-fous-1/