Agathe a lu « L’asile de Hanwell » [L. Dubois]
Nous avons lu L’asile de Hanwell : un modèle utopique dans l’histoire de la psychiatrie anglaise ? de Laurence Dubois, paru tout récemment aux Presses de la Sorbonne Nouvelle. Alors que dire de cet ouvrage ?
En général…
D’abord, les critiques. À la lecture, on sent comme un malaise. Un malaise parce que les situations heureuses, le caractère idyllique de l’asile de Hanwell sous la direction de Connolly, apparaissent presque surécrits comme un acteur peut surjouer. Et c’est le même sentiment qui prévaut quand il s’agit de décrire l’asile après son départ. On est passé d’un bonheur dans les prés à un malheur sombre entre les pierres. On sent une accentuation des effets d’engouement et de dénonciation par l’usage d’une certaine rhétorique qui amène à douter de la réalité de ces descriptions de la vie au sein de l’asile de Hanwell. Alors certes, c’est très documenté, mais documenté par les archives des soignants et de l’institution, ce qui induit un prisme déformant très choquant à la lecture. La conservation d’un regard plus critique sur ces archives et la mise en lumière des stratégies des acteurs dans ces rapports et notes diverses auraient pu être bénéfiques. On se demande même par moment, si à trop vouloir se démarquer de Foucault et de l’antipsychiatrie, on ne glisse par sur la pente dangereuse de l’approbation directe au discours institutionnel et soignant. À la lecture, on ressent un peu cette idée que de toute façon, il n’y a que les non-fous qui peuvent objectivement juger des fous et de leur vie.
Par ailleurs, on sent chez l’auteur cette volonté de se démarquer de Foucault jusque dans des critiques qui montre son refus de souligner les enjeux de pouvoir au sein de l’asile. En témoigne cette citation :
« Ce qui semble inexact [chez Foucault], en revanche, et largement inapplicable dans le cas de Hanwell, est l’idée que cette intériorisation de la contrainte [qui se substitue à la contrainte physique] s’accompagnerait, comme l’affirme Foucault, d’une volonté d’inculquer aux patients un sentiment de culpabilité et de terreur permanentes. »
Mais, la question n’est pas tant celle de la volonté de Connolly que les effets manifestes de l’institution psychiatrique et des conséquences de la structuration de cette institution, sur les personnes. L’inculcation d’un sentiment de culpabilité et de terreur est inhérente à la structure même de la psychiatrie, à l’enfermement, et au recours au punitif pour réguler les comportements, même s’il ne s’agit pas de punitions corporelles. Et je ne pense pas que Foucault loge cette volonté dans des personnes responsables au sein de l’institution, mais dans le dispositif lui-même.
On a l’étrange sentiment que le positionnement intuitif contre les analyses de Foucault, mais plus largement contre les analyses en termes de pouvoir et de politique, font délaisser à l’auteur une part non négligeable de la réalité de l’univers asilaire.
Sur Hanwell
Cela étant, sur le contenu de la vie telle qu’elle nous est décrite au sein de l’asile de Hanwell, il est vrai que le modèle de cette institution est assez étonnant d’innovation thérapeutique. Et comme le souligne l’auteur, à la fin de l’ouvrage, peu de services de psychiatrie contemporaine peuvent se prévaloir d’offrir un cadre et un mode de vie semblable à leurs patients. Le moral management et le non-restreint apparaissent là comme des modèles de soin de cet asile, là où le dernier congrès français de psychiatrie s’ouvrait sur la thématique « isolement et/ou contention ». Donc, si la description est parfois idyllique, on peut comprendre l’engouement de l’auteur pour des pratiques aujourd’hui quasiment oubliées. Les divertissements sont restés dans les institutions devenus une forme de routine occupationnelle pour les patients. Mais ce qui m’est apparu comme le plus novateur, ce n’est pas tant ce souci du moral management, du non-restreint ou des divertissements, c’est bien cette idée de l’école, de l’instruction et des bibliothèques au sein de l’asile. Les cours de jours concernent 10% à 15% des patients qui a une époque où l’analphabétisme est fortement répandu, peuvent s’instruire a minima. Des instituteurs sont recrutés, des conférences et cours du soir organisés. Le moins qu’on puisse dire, c’est que ça interroge sur les pratiques actuelles en psychiatrie, où les seules activités simili-intellectuelles offertes aux patients se résument à de la remédiation cognitive sur des petits jeux sur ordinateur. Cette dimension d’instruction pour le bien-être, mais aussi pour ce qu’on appellerait aujourd’hui le développement personnel, ou encore une forme de citoyenneté active est totalement éliminée des parcours en psychiatrie. La lecture elle aussi est une grande oubliée de la psychiatrie… Une petite citation de l’ouvrage pour marquer le décalage entre ce lieu et cette époque et la France de 2017 :
« Les Commissioners of Lunacy, quant à eux, ne sont absolument pas convaincus par les efforts déployés pour promouvoir la lecture, et affirment en 1859 que « la quantité de livres et de périodiques fournis [aux patientes] est très insuffisante ». »
Alors première chose, les Commissioners of Lunacy, sont des inspecteurs des asiles qui évaluent les établissements asilaires de l’époque, notamment par le biais de rencontre avec les patients. En 2017, en France, leur équivalent est le Contrôleur des lieux de privation de liberté. Si les mots ont un sens, je pense que ces deux terminologies font écho à deux réalités…
Deuxième chose, ils estiment la quantité de livres et périodiques disponibles. Allez aujourd’hui dire à un contrôleur des lieux de privation de liberté qu’il n’y a pas de bibliothèque dans votre hôpital ! Je n’ai jamais vu de livres en 5 séjours dans des hôpitaux différents !
En somme, je trouve cette citation très exemplaire de l’évolution de la gestion publique de la maladie mentale. Hors du débat sur le caractère idyllique de Hanwell, c’est aussi le rapport politique à la santé mentale qui est à mon sens à interroger. Plus que des soignants supermen qui révolutionnent le monde de la psychiatrie, ce qui est nécessaire aujourd’hui, c’est bien des décisions et des positions politiques fortes.
De Hanwell en 1850 à Paris en 2017
On voit bien que l’expérience du non restreint et du moral management s’arrête par un retour aux pratiques de contention en raison de l’inefficacité sur le plan clinique du moral management. Mais alors, qu’en est-il du bien-être des patients ? Le bien-être des patients s’avère-t-il être un souci secondaire pour des sociétés où seul l’homme utile et utilisable par elle est valorisé ?
Par ailleurs, l’ouvrage interroge. Car si le cycle d’espoir thérapeutique débuté avec le non restreint, s’achève avec le développement des thèses eugénistes, on peut se demander où va nous amener l’espoir actuel du rétablissement ? Les cycles d’espoir pour la thérapeutique sont suivis de phases de désillusions, qui amorcent des retours en arrière. Du coup, que va-t-il en être du bien-être des patients, quand on doutera de la possibilité rétablissement en santé mentale d’être généralisé à tous les patients, quand on doutera de ses potentialités ? Car finalement, ces choix de sociétés sur la façon dont nous voulons traiter les fous, sont avant tout civilisationnels, politiques et humains parfois. Mais on est d’accord avec l’auteur, revenir à ce moment hanwellien pourrait déjà être salutaire dans bien des lieux de « soins ».