Un plan d’action en cas de crise
Résumé: La conscience du trouble bipolaire est essentielle pour le suivi et l’efficacité de la prise en charge. En phase maniaque du trouble bipolaire, le patient n’est plus conscient de sa maladie, et donc pas à même de prendre les bonnes décisions. Établir à l’avance un plan de crise, lors d’une période de rémission où il a conscience de son trouble, vise à faciliter la prise en charge et à adopter des mesures immédiates. Ce document peut être transmis, via la famille, le médecin traitant, voire le patient à l’équipe soignante qui intervient dans un contexte d’urgence.
Christian GAY
Psychiatre, Clinique du Château, Garches (92).
Philippa MOTTE
Association Clubhouse France, Paris.
En phase maniaque, la conscience du trouble bipolaire vole en éclats, ce qui compromet la prise en charge rapide et personnalisée. Élaborer à l’avance un plan d’action de crise permet au patient d’exprimer ses préférences quant au traitement, et aux équipes soignantes de recueillir des éléments utiles sur les manifestations du trouble.
La conscience du trouble psychique conditionne l’efficacité de la prise en charge et l’évolution de la maladie. Elle ne se limite pas à l’identification d’un symptôme ou de la maladie, elle tient compte aussi d’autres éléments tels la nécessite d’un traitement, la prise en compte des conséquences et des risques de l’arrêt du traitement, l’identification des facteurs déclenchant. Durant la phase maniaque, la conscience du trouble est altérée dans son ensemble. Toutes les informations qui auraient pu être acquises en amont ne sont plus utilisables. Les convictions et certitudes, le sentiment de toute-puissance, les altérations des capacités de raisonnement,l’existence éventuelle d’un délire rendent le patient inaccessible à cette prise de conscience de la maladie. Lors de l’hypomanie, le patient a accès partiellement à ces données mais la frontière de la manie peut être rapidement franchie. Dès lors, il n’est plus possible de faire marche arrière et il existe très souvent une montée en puissance du fait de « l’emballement du moteur » favorisé par l’arrêt du traitement, la réduction du temps de sommeil, l’hyperactivité,le recours à des excitants. Un véritable cercle vicieux s’installe, où les conséquences du trouble deviennent des facteurs d’entretien et d’aggravation.
Des études (1, 2, 3, 4, 5) ont été menées sur la conscience des troubles. Les résultats sont relativement homogènes et logiques :
– Les déprimés ont une meilleure conscience de leur trouble que les patients atteints de troubles schizophréniques ou qui présentent un épisode maniaque.
– La conscience du trouble est corrélée à la dépression et à la suicidalité.
– Il existe une meilleure conscience du trouble chez les sujets vivant en couple.
– L’identification des symptômes de la maladie est facilitée par l’entourage qui est capable de reconnaître les dysfonctionnements et de le signaler.
– Les patients hospitalisés à leur demande ont une meilleure conscience de leur trouble que ceux hospitalisés sous contraintes.
La prise de conscience de l’existence d’un trouble bipolaire est une étape fondamentale qui permet secondairement d’élaborer des stratégies de préventions et de construire un plan d’action en cas de récidive.
STRATÉGIE DE PRÉVENTION
La meilleure manière de se prémunir d’une crise est de mettre en place des mesures préventives afin d’empêcher sa survenue.
L’expérience acquise au cours des crises précédentes et les conseils médicaux permettent d’établir une liste de principes fondamentaux qu’il importe de s’approprier et de respecter (6) :
– « J’observe le traitement qui m’a été prescrit »,
– « Je connais les situations qui peuvent me fragiliser et que je ne contrôle pas. Je planifie à l’avance des actions de contrôle d’événements stressants à venir »,
– « J’ai appris des techniques de gestion de stress et résolution de problèmes »,
– « Mon sommeil est la clef de voûte »,
– « Je m’impose une certaine régularité dans les activités quotidiennes »,
– « J’essaye de rester en phase avec mon horloge biologique interne »,
– « Je limite les excitants de toutes natures »,
– « Je maintiens des relations stables »,
– « J’accepte la réalité de ma maladie »,
– « Je surveille mon diagramme de l’humeur »,
– « Je surveille l’apparition d’éventuels signes d’alarme (signal symptômes) »,
– « Je préviens mon médecin dès l’apparition de quelque chose d’inhabituel… »
Rechute et récidive
« Il est plus difficile d’arrêter un train à pleine vitesse que lorsqu’il démarre. » Cette image illustre bien l’enjeu d’une identification des premiers symptômes d’une rechute ou d’une récidive maniaque ou dépressive. Rappelons que la rechute estla réapparition du même épisode qui n’a pas été suffisamment traité et la récidive est la survenue d’un nouvel épisode indépendant du précédent. Plus l’intervention est rapide, plus il y a de chances de « juguler » l’épisode. Une modification du temps de sommeil, le repos, la prise de contact avec le médecin, l’ajustement du traitement sont les premières mesures à mettre en place après identification des signaux d’alarme. L’entourage facilite la reconnaissance précoce des premiers symptômes et encourage le patient à mettre en place une stratégie de premiers soins.
Les signes d’une phase maniaque
– La perte de sommeil ou un réveil plus précoce ;
– Le surmenage ;
– La multiplication des projets ;
– L’hypersociabilité ;
– Les discours incessants ;
– L’augmentation de la consommation de cigarettes et d’alcool ;
– L’allongement de la durée des journées avec des retours plus tardifs à domicile ;
– Le changement du regard ;
– L’augmentation du temps passé au téléphone,la multiplication des SMS ou des e-mails, l’emploi du temps plus chargé avec agenda qui se noircit et qui se remplit de post-it ;
– L’abaissement des seuils de réactivité et d’irritabilité ;
– Les dépenses excessives et inhabituelles;
– L’apparition de nouveaux projets ;
– Les engagements politiques, religieux, philosophiques… ;
– L’intolérance aux contraintes ;
– La recherche de liberté…
Ces manifestations marquent souvent l’entrée dans la phase maniaque. Si elle se confirme, le patient refusera toute aide, n’acceptera aucun conseil, et deviendra inaccessible à toute discussion. Ce sont donc les tout premiers signes de la maladie, perceptibles seulement aux yeux des proches, qui doivent alerter. Des stratégies d’action à mener, dès les premiers symptômes, pourront permettre de réduire la crise. Cela implique une alliance avec les proches et les soignants : « Je contacte mon médecin, je me présente à sa consultation, je me rends aux urgences, je demande à me faire hospitaliser ».
Les signes de la récidive dépressive
L’identification des premiers symptômes dépressifs permet de tirer sur la sonnette d’alarme, de prévenir le médecin qui réajustera le traitement et les modalités de prise en charge. Dans la majorité des cas, le patient a conscience de la rechute ou de la récidive dépressive.
Les indices les plus fréquents sont :
– La tristesse et les pleurs ;
– Le manque d’intérêt ;
– Les troubles du sommeil (insomnie, hypersomnie, difficultés d’endormissement, réveils répétés au cours de la nuit, réveils précoces matinaux…) ;
– Une anxiété ;
– Des troubles du caractère (irritabilité, agressivité) ;
– Une fatigue exacerbée le matin et non améliorée par le repos ;
– Une réactivité anormale à l’ambiance, des troubles de l’appétit (dans un sens ou dans l’autre).
Pour bien identifier les changements de « régime », un journal de bord (diagramme de l’humeur) peut être utile.Des données simples comme le temps de sommeil ou les événements pouvant générer du stress y seront consignés.
PRÉVENIR LA CRISE
La bonne observance du traitement et le respect des règles d’hygiène de vie ne permettent pas toujours d’être protégé contre les rechutes et récidives. L’élaboration d’un plan d’action en cas de crise (voir un exemple page suivante) limitera les conséquences du trouble, réduira les risques de passage à un stade aigu, facilitera l’accès aux soins et les choix des mesures thérapeutiques (7, 8, 9). L’idéal est de pouvoir construire ce plan d’action avec le patient, le médecin et les proches en ayant à l’esprit qu’au moment de la crise, la perte de contrôle et l’absence totale de conscience du trouble empêcheront
les prises de décisions adaptées pour se protéger. Dans ce contexte, la personne sera dans l’impossibilité de communiquer des informations sur sa maladie et ses traitements et inapte à préciser ses préférences.
Il s’agit donc pour elle de signer un contrat avec ses proches et son médecin, afin de donner son accord anticipé pour toutes interventions dont la finalité sera avant tout de faciliter la prise en charge et d’adopter des mesures d’urgence. Ce contrat pourra être transmis, via la famille, le médecin traitant, voire le patient à l’équipe qui interviendra dans un contexte d’urgence.
C’est lors de la période de rémission (intervalle libre) que toutes les conditions sont réunies pour élaborer ce plan d’action :
– Stabilisation du trouble ;
– Prise de conscience du trouble, de ses causes et de ses conséquences ;
– Récupération des fonctions intellectuelles;
– Compréhension des enjeux du traitement;
– Construction d’une alliance avec son médecin et l’entourage.
Trois types d’informations doivent figurer dans le plan d’action :
– Les symptômes pouvant annoncer un risque de récidive maniaque ou dépressive;
– Les mesures immédiates à prendre ;
– Le cas de l’hospitalisation.
Un contrat plus élaboré peut comporter des informations spécifiques au patient, son historique, ses allergies, ses préférences.
Cela est particulièrement utile lors de séjour à l’étranger. À la différence des directives anticipées, ce contrat est évolutif, s’inscrit dans le cadre d’un projet thérapeutique et n’a pas de valeur juridique.
Rappelons que les directives anticipées sont des dispositions légales dans certains pays comme la Suisse, l’Écosse ou les États-Unis. Elles stipulent que toute personne capable de discernement peut exprimer le type de soins qu’elle souhaite recevoir, ou non, dans des situations données de soin où elle n’aurait plus son discernement (10, 11). En France, le dispositif existe uniquement pour exprimer des volontés sur la fin de vie.
Dans la maladie bipolaire, des mesures doivent donc être adoptées dès l’apparition de certains symptômes. Elles peuvent être simples à mettre en place en cas de survenue d’un symptôme isolé, peu intense et peu invalidant ou faire intervenir des tiers lorsque la situation est plus complexe et qu’il existe un degré d’urgence. « Si telles manifestations surviennent, je téléphone à mon médecin, je me présente à sa consultation, je me rends aux urgences, je demande à me faire hospitaliser. » Mais avant d’en arriver là, il importe d’être dans l’anticipation et ainsi éviter de se retrouver dans des situations de stress et de surmenage.
L’intervention rapide du médecin, le réajustement du traitement, la mise au repos, l’augmentation du temps de sommeil, le renoncement à certaines activités pourra permettre d’enrayer le processus.
LE PLAN D’ACTION
Ce plan d’action de crise prévoit et classe les différents cas à envisager et décline les mesures à prendre.
Définir les urgences
Certaines situations nécessitent une aide immédiate :
– Idées de mort, planification d’un suicide ou tentative de suicide ;
– Impression de bizarreries, d’irréalité ;
– Mise en danger du fait de conduites à risques ;
– Incapacité à prendre soin de soi ;
– Refus ou impossibilité de s’alimenter ;
– Effets indésirables graves des médicaments;
– Consommation excessive d’alcool ;
– Recours à des drogues ;
– Recours à des associations d’alcool et de tranquillisants…
Les premières mesures à prendre
– Déterminer si l’aide extérieure est nécessaire dès l’apparition de signaux symptômes, de la survenue de plusieurs symptômes qui persistent ou de l’absence de contrôle sur ces symptômes ;
– Identifier la ou les personnes qui doivent être contactées en cas d’urgence ;
– Indiquer les préférences de traitements ;
– Dresser la liste de ses médicaments psychotropes actuels et des autres traitements (y compris les traitements de substitution) ;
– Indiquer les coordonnées de son médecin, du centre de soins, de la structure d’urgence la plus proche.
Ce plan d’action doit également inclure des dispositions que les proches doivent prendre. Par exemple, une personne désignée peut communiquer avec le médecin ou des membres de l’équipe médical, informer l’employeur de l’incapacité transitoire de travailler et aider à tout garder en ordre (le loyer ou des paiements de factures) en cas d’hospitalisation.
Il est souhaitable de le rédiger par écrit afin de bien préciser les dispositions à prendre et savoir « qui fait quoi ».
Les mesures d’ajustement
Après une crise ou situation d’urgence,il faut évaluer l’efficacité de son plan d’action. De nouveaux signes avant-coureurs ou de nouveaux déclencheurs ontils été identifiés ? Quels ont été les points forts ou faibles dans les mesures d’aides apportées ? Quels sont les moyens à mettre en place pour améliorer le plan ?
Des mesures d’ajustement sont à rédiger, qui tiennent alors compte de l’évolution de la maladie.
EN CONCLUSION
Le plan d’action en cas de crise regroupe donc plusieurs types de mesures à prendre en cas de rechute ou récidive.
Il est élaboré lors d’une période de rémission, période où le patient a conscience de son trouble, a retrouvé son fonctionnement intellectuel antérieur et est capable de comprendre les enjeux du traitement et les bienfaits d’une alliance entre les soignants et l’entourage proche. Il donnera son accord anticipé pour toutes interventions dont la finalité sera avant tout de faciliter la prise en charge et d’adopter des mesures immédiates. Il pourra être transmis, via la famille, le médecin traitant, voire le patient à l’équipe qui interviendra dans un contexte d’urgence
1– C. Gay, JJ Margerie, La conscience du trouble, L’Encéphale (2009) Supp 5, S160-S163.
2– David A.S. Insight and psychosis Br J Psychiatry 1990; 156 : 798-808.
3– Droulout T., Liraud F., Verdoux H. Influence de la conscience du trouble et de la perception subjective du traitement sur l’observance médicamenteuse dans les troubles psychotiques Encéphale 2003 ; 29 : 430-437.
4– Bourgeois M.L. La conscience du trouble Ann Med Psychol 2000 ; 158 : 134-147.
5– Banayan M., Papetti F., Palazzolo J., et al. Conscience du trouble chez les sujets bipolaires euthymiques : étude transversale comparative réalisée sur 60 patients Ann Medico Psychol 2007; 165 : 247-254.
6– Amador X, Comment faire accepter son traitement au malade, Retz, 2007.
7– Flood C, Byford S, Henderson C, et al. Joint crisis plans for people with psychosis: economic evaluation of a randomised controlled trial, BMJ 2006 ; 333 : 729.
8– Henderson C, Flood C, Leese M et al, Effect of joint crisis plans on use of compulsory treatment in psychiatry: single blind randomised controlled trial, BMJ 2004; 329 : 136
9– Henderson C, Flood C, Leese M et al Views of service users and providers on joint crisis plans Single blind randomized controlled trial Soc Psychiatry psychiatr Epidemiol 2009 ; 44 : 369-76.
10– Quément B., L’expression de la volonté du patient, Santé mentale, déc 2008, n° 133, 62-65.
11– Grand E., Enfin me faire entendre…, Santé mentale, déc2008, n° 133, 66-68.
MARC-VINCENT DELYON
19 octobre 2024 chez 17 h 13 minBonjour.
Nous sommes quatre colocataires, dont notre propriétaire. Celui-ci nous a dit être bipolaire mais avoir arrêté son traitement car selon lui tout va bien.
C’est loin d’être le cas et après s’être pris violemment verbalement au colocataire plus jeune et moins costaud, il l’a bousculé et mis par terre. Il a soutenu que c’était lui l’aggressé.
Il y a trois jours nouvelle agression verbale violente de plus de dix minutes, et cette fois ci également des coups.
Le propriétaire rend ce colocataire responsable de tout ce qui ne va pas. Nous sommes en pleine projection délirante.
Je pense que cette personne est également pervers narcissique (je suis psychanalyste et Master en Psy Clinique et psychopathologie).
Malgré ce qui me semble clair sur le plan du tableau clinique de ce monsieur, je ne sais que faire pour stopper une situation qui ne fait que s’empirer. J’ai pensé aux urgences psychiatriques, à joindre sa famille ?
J’ai accompagné mon colocataire porter plainte au commissariat, démarche légitime mais qui risque cependant d’envenimer les choses…
Conseils ?