Portrait de Philippa
Comme Philippa, fais-toi tirer le portrait par Comme des Fous en répondant à ces 5 questions.
« J’aimerais faire connaître Bell Cause pour la cause pour montrer que c’est possible de faire une belle action de communication et de mécénat en faveur de la santé mentale quand on est une grosse entreprise (ou le charme irrésistible de l’accent québécois). »
Quelles sont tes inspirations dans la vie et à quoi tu aspires?
La lecture de romans et d’essais, la peinture, l’écriture, la pratique de la méditation, les rencontres, mes enfants, les gens que j’aime sont pour moi des sources d’inspiration.
Tout ce qui me permet de m’interroger, de m’ouvrir, de rencontrer et d’apprivoiser mes forces et mes fragilités, m’intéresse.
Des artistes et des penseurs m’ont beaucoup enrichie. Il y en a comme Bach, Nietzsche, Dostoïevski ou Chögyam Trungpa qui ont été comme des éducateurs. Ce qu’ils m’ont apporté ne cesse de m’accompagner. Il y a aussi des femmes comme Maria Callas, Nina Simone, Romy Schneider, Christiane Singer, Nancy Houston …
J’aspire à garder les pieds sur terre, à avoir l’esprit ouvert, à faire preuve de discernement et de douceur, pour ne pas être une source d’agression pour les autres.
Un petit cadeau au passage :
Glenn Gould qui joue Bach, ça vous ancre dans la terre et ça élève l’esprit dans les hauteurs.
Comment décrirais-tu ton métier et pourquoi tu l’aimes?
Mon travail c’est d’aller dans les entreprises, auprès des pouvoirs publics, et d’essayer de trouver un langage pour parler avec justesse du handicap psychique et des troubles qui en sont à l’origine. L’objectif est de favoriser l’insertion et le maintien dans l’emploi des personnes qui souffrent de ce type de problématiques à un moment dans leur vie ou de façon plus chronique.
Je forme des référents handicap, des RH, des managers, des médecins du travail, des assistantes sociales. Il arrive que ces formations me fassent l’effet d’un bras de fer. Les préjugés et les idées négatives ont la peau dure.
Je rédige aussi des guides et des documents pédagogiques sur le sujet. J’accompagne des personnes concernées dans l’emploi.
J’ai fait de la chose qui aurait pu me tuer, mon métier. Sur la base de ma fragilité, j’ai construit une expertise. Je n’ai rien concédé à la maladie. Je l’ai prise à bras le corps et j’ai retourné la situation. Mais je ne fais pas la maline, parce que c’est un adversaire de taille.
Je suis intrépide, je continue à aller de l’avant, mais je reste prudente.
Que penses-tu du monde de la santé mentale?
Je n’ai jamais aimé que le monde soit constitué d’une multitude de « micros monde » qui ne communiquent pas les uns avec les autres et qui se connaissent mal. Le monde de la santé mentale a les mêmes défauts que les autres micros monde. Il manque d’ouverture et souffre de querelles intestines. C’est embêtant, parce qu’il traite d’un sujet important.
Le monde de la santé mentale doit apprendre à communiquer et à expliquer son sujet. Même s’il se sent stigmatisé et rejeté, il doit redoubler d’efforts et d’intelligence pour se faire entendre. Le chantier est énorme à tous les niveaux : sanitaire, social, professionnel.
Pour pouvoir faire changer le regard du monde extérieur sur lui, le monde de la santé mentale doit changer de regard sur lui-même. Les possibilités sont immenses, les talents et les compétences sont là.
Qu’est-ce qu’on peut tirer de positif de la folie?
La folie est une faculté proprement humaine. Chacun porte en lui la façon dont il pourrait devenir fou. Un homme qui se connaît quand il est fou, en connaît long sur lui-même.
Je dis souvent pour rigoler que la folie est l’épreuve des sages. Développer une certaine sagesse est la seule manière de transcender l’expérience de la folie.
À travers la folie, tout ce qui constitue un individu s’exprime sans fard. Le tragique côtoie le sublime. La créativité côtoie la destruction. Le comique côtoie le pathétique.
La folie est une sorte d’expérience ultime. C’est une grande école dont il n’est pas facile de sortir diplômé. La folie est une grande éducatrice, qu’il faudrait traiter avec plus de respect qu’on ne le fait aujourd’hui.
Pourrais-tu devenir un jour ministre de la santé mentale et sinon qu’est-ce que tu lui demanderais?
Je ne crois pas avoir le mental assez solide pour être ministre de la Santé mentale. Le monde politique, comme beaucoup d’autres, est plein de complexités inutiles, de lenteurs, de jeux d’influence qui ne sont pas propices à l’équilibre psychique.
Mais si je pouvais parler au ministre de la Santé mentale, voilà ce que je lui dirais :
Monsieur (ou madame) le/la ministre, on vous a confié une mission importante et fondamentale.
Permettre aux gens de traverser des périodes complexes sur le plan psychique, sans pour autant voir leurs vies voler en éclat, est un défi pour le XXIe siècle et les siècles à venir.
Vous devriez commencer par visiter les hôpitaux psychiatriques, par observer et par jauger l’objet de votre mandat. Rencontrez les acteurs, rencontrez-les vraiment, malades, infirmiers, aides-soignants, médecins, éducateurs, assistantes sociales. Écoutez leurs frustrations, leurs indignations, leurs idées et leurs visions aussi.
Menez jusqu’au bout avec eux la réflexion qui a été entamée sur la contention et l’isolement. À l’heure actuelle, il n’est pas rare que l’hospitalisation en service fermé soit pour le patient un traumatisme qui s’ajoute au traumatisme de la pathologie. Cela ne peut plus durer.
Vous devriez introduire dans le cursus universitaire des soignants des cours avec des pairs-aidants. Il est fort à parier qu’une personne ayant souffert d’un trouble psychique rétablie, ait des choses importantes à apprendre aux soignants, que nul autre ne peut leur transmettre.
Vous devriez introduire des cours d’histoire de la folie et des cours de philosophie dans la formation des psychiatres. Il faut profondément s’intéresser à l’être humain pour être un bon soignant en psychiatrie. Il faut s’interroger, sans relâche, un peu comme Socrate incitait ses interlocuteurs à le faire.
Il est temps d’entamer des recherches approfondies sur la pertinence des traitements indépendante de celle des laboratoires pharmaceutiques. D’entamer toute sorte de recherche y compris sur des patients rétablis. Si on étudie que les malades, on ne voit que la maladie.
Il me semble qu’il faudrait accompagner différemment les premières crises. Que l’accompagnement devrait être pensé par étape et toujours en pluridisciplinarité. Que le corps devrait être pris en compte autant que la tête. Non seulement à travers l’hygiène de vie, la nourriture, le sommeil, le sport, les rythmes. Mais aussi avec l’aide de professions paramédicales comme l’acupuncture, l’hypnose, l’ostéopathie. Il faut retracer les contours du corps physique et énergétique du malade psychique. Il faut toucher la personne fragilisée par la souffrance, lui redonner corps.
Après un épisode de psychose, voire plusieurs, après une dépression sévère ou des phases d’anxiété prononcées, on n’est plus jamais le même. On peut sombrer dans une vie à moitié vivante ou tirer des enseignements qui permettent de prendre un chemin vigoureux.
Le seul bon accompagnement en santé mentale est celui qui permet cela. Il est à inventer, il est en devenir.
Peut-être que la première mesure symbolique que je lui demanderais de prendre, c’est de faire disparaître le mot psychiatrie et tous ses dérivés. Ce sont des mots sans espoir à la sonorité agressive. Ce qui se cache derrière le mot psychiatrie doit tellement être repensé qu’il faudrait commencer par réinventer le mot lui même.