Cap ou pas cap ? Réflexion sur le handicap psychique
Le handicap est « le désavantage social pour un individu donné qui résulte d’une déficience ou d’une incapacité et qui limite ou interdit l’accomplissement d’un rôle normal (en rapport avec l’âge, le sexe, les facteurs sociaux et culturels) ».
Le handicap traduit une désadaptation de l’individu par rapport à son milieu (ou pour certains une désadaptation de l’environnement à l’individu…).
La notion de handicap psychique, introduite en France par la Loi du 11 février 2005, sous l’impulsion des familles de patients, visait à faire reconnaître la personne atteinte de troubles psychiques non plus comme un malade relevant de la psychiatrie mais comme un citoyen en situation de handicap.
Depuis toujours, les personnes en bonne santé mentale ont décrété des lois pour venir en aide aux personnes en plus grande précarité, qu’elle soit matérielle ou spirituelle.
On appelait fou celui qui vivait enfermé avec les bannis de la société puisqu’il n’avait que faire des lois. Si le fou était un dangereux anarchiste, celui qu’on appelle malade mental, lui, est plus respectueux des lois et a droit de cité ou plutôt c’est un être souffrant qui a le droit et le devoir de se soigner.
Mais un nouveau problème survient à partir du moment où les bien-portants décident qu’il faut intégrer tant que possible les malades dans la société. Ceux-ci doivent avant tout être considérés comme des citoyens, alors on préfère les appeler usagers de la santé mentale car ils ont maintenant une vie en dehors des lieux de soins.
Il y en a toujours qui s’envolent de leurs propres ailes après un passage en psychiatrie mais que faire de ceux qui ne s’adaptent pas totalement aux canons de la société? Comment leur offrir une vie épanouissante?
Ils vont devenir acteurs de leur vie, à défaut de devenir acteurs de la société, c’est ainsi qu’interviennent les notions de réhabilitation psychosociale, de rétablissement et d’empowerment. Souvent, au passage, dans une logique individualiste comme si chacun avait en main le pouvoir magique de s’en sortir par ses propres ressources matérielles et spirituelles.
On en revient à la question du pouvoir, les bien-portants veulent démocratiser les soins et transférer à l’usager le pouvoir de décider de son sort puisque la personne concernée est la mieux placée pour prendre les décisions qui la concerne.
Sauf que le seul souhait de la personne concernée, c’est de mener une vie normale, hors du soin.
On veut remettre la personne au centre du dispositif de soin sans s’attaquer aux déterminants qui la mettent en marge de la société, à savoir sa précarité sociale, comme si sa meilleure place restait celle de patient d’un hôpital. On vous propose donc de devenir patient-expert, expert des recours administratifs pour obtenir des aides sociales ou pour dénoncer les manquements au sein des structures de soins. Le fou devient agent administratif ou garde-fou de l’institution sanitaire.
Et si on sortait des murs de cet univers tristoune et qu’on allait voir la vraie vie? Celle où discuter n’équivaut pas à négocier, où l’on peut se fâcher sans qu’on nous soupçonne de délirer, celle où l’on peut rigoler de sa souffrance, lâcher prise et imaginer des projets plutôt que se résigner à survivre, celle où on peut exister socialement, travailler, déployer ses capacités avec une fragilité sans nécéssairement avoir à se déclarer en situation de handicap psychique.
« Après tout pour quelle raison vouloir oublier que l’on a été fou sinon parce que la folie fait l’objet d’un très fort rejet social ? Et que, plus positivement, la dissimulation de cet état devient un moyen d’espérer retrouver une place sociale ? Certes, on pourrait penser qu’il existe une autre solution. Celle qui consiste à tenter un retournement du stigmate. Cependant dans le cas du handicap psychique, cette issue semble une entreprise particulièrement risquée. Les porteurs de stigmates visibles (couleur de la peau, déficience physique) peuvent en effet, au prix d’importants efforts, valoriser un stigmate auquel ils ne peuvent échapper pour gagner une reconnaissance sociale. Cette stratégie est beaucoup plus incertaine lorsque la déficience n’apparaît pas d’emblée au grand jour alors qu’elle est potentiellement très discréditée. Il peut y avoir alors plus à perdre qu’à gagner dans le fait d’étaler son déficit. »
Extrait de Vidal-Naquet Pierre A., « Maladie mentale, handicap psychique : un double statut problématique », Vie sociale 1/2009 (N° 1) , p. 13-29
URL : www.cairn.info/revue-vie-sociale-2009-1-page-13.htm.