Je n’irai pas voter et pourtant… je politise ma folie
Comme dirait le Zinzin Zine, le psychologique c’est politique!
Peut-on politiser la folie?
Pour ceux qui connaissent le discours d’Antony du président Sarkozy, la réponse est évidente.
« Le 2 décembre [2008], le chef de l’Etat a parlé de réformes de la loi d’hospitalisation ; demandé la création de 200 chambres d’isolement ; exigé le contrôle des permissions de sortie ; proposé la systématisation des soins sous contrainte. Plus saisissant, il a suggéré l’utilisation de bracelets électroniques pour les malades, à l’instar des délinquants. »
Eric Favereau dans Libération
Quand le malade devient un risque pour la société, il faut le soumettre aux soins. Sa place est à l’hôpital pas en prison, dira-t-il.
Citoyens à part entière
Moi qui écris ces lignes, je me revendique comme sujet politique, citoyen à part entière, et non comme objet bénéficiaire de soins. Et pourtant, je n’irai pas voter…
Nombreuses sont les initiatives pour solliciter le pouvoir politique en cette période d’élection présidentielle. J’ai moi-même écrit le discours d’un président aux usagers de la psy.
On cherche à s’unir pour que la santé mentale ait voix au chapitre dans cette campagne: avec des pétitions, celle pour un plan psychique de l’UNAFAM/Santé Mentale France/Aire, celle pour demander un programme pour la santé mentale par le Pr. Lançon, ou encore le consensus de Blois. Pendant ce temps, d’autres organisent un TRUC pour fédérer les clubs thérapeutiques ou des marches citoyennes pour la santé mentale comme La Mad Pride.
D’autres encore, des soignants en majorité, se réunissent publiquement, c’est le cas du Collectif des 39 ou de Psy, soins et accueil né à Nuit Debout.
Il faut reconnaître que dans le paysage de la santé mentale en France, l’union n’est pas de mise. Tout le monde rêve d’une psychiatrie à visage humain, d’un corps soignant capable d’accueillir la souffrance psychique, en prenant en compte l’avis des familles et des patients.
On reproche au pouvoir psychiatrique ce qu’on reproche au pouvoir politique, son incapacité à régler le problème. Certains diront qu’ils n’ont pas les moyens de leurs ambitions, que le pouvoir n’est pas entre leurs mains, que c’est le manque d’argent qui est en cause. Quand on ferme les lits dans les hôpitaux psychiatriques, c’est pour désaliéner et intégrer le malade dans la cité ou c’est juste un aveu d’impuissance?
On a l’impression que la folie ne se soigne pas, qu’on ne peut rien pour vous. En somme, si tu souffres en silence, ne t’avise pas de craquer car tu pourrais finir chez les fous. La politique de la peur règne, on préfère entretenir l’image du fou dangereux qui s’échappe de l’asile pour tuer des gens pour justifier cette non-politique, celle où les citoyens ont peur des autres, celles où on a peur de tomber sur plus fou que soi.
Politique à la folie
Quand j’ai découvert Tosquelles et sa politique à la folie, j’ai compris qu’il existe des soignants passionnés, à Laborde, à Moisselles, à Reims, des résistants qui prétendent que la parole et le collectif sont un remède à la souffrance, que la folie n’est pas une fatalité. Ils appellent ça la psychothérapie institutionnelle, une expression compliquée pour décrire une psychiatrie humaine. Alors oui, cette psychiatrie humaine existe déjà, il faut juste lui donner les moyens d’exister, l’enseigner, la transmettre.
LA PAROLE DE L’USAGER
Et l’usager dans tout ça? L’usager en santé mentale, c’est un personnage énigmatique qui n’existe pas réellement, c’est un terme administratif pour classer et inciter la participation citoyenne des personnes directement concernées.
Rappelons que les associations d’usagers reconnues par les pouvoirs publics sont segmentées par pathologie et qu’elles ont déjà du mal à faire adhérer les personnes spécifiquement concernées. Il existe des associations plus militantes comme le CRPA mais dont le champ d’action se limite à la judiciarisation de l’internement en psychiatrie.
En psychiatrie, comme en politique, je ne me sens pas représenté.
Alors quel rôle pour celui qui est l’objet de soins? Celui qui reste dans la position du malade-bénéficiaire sans reprendre le contrôle de sa vie aura raté sa folie.
Comme dirait Lacan, quand on est fou, on délire sur le monde. Celui qui se prend pour Napoléon est peut-être un mégalo en grande souffrance mais c’est aussi quelqu’un qui tente maladroitement de se connecter au monde qui l’entoure et de le transformer.
Je laisse Deleuze conclure en espérant avoir fait avancer votre réflexion « politique » sur la folie:
« Je n’attends pas de l’autre qu’il me comprenne, parce qu’il pourrait me connaître, j’attends de l’autre qu’il utilise en moi ce qu’il ne pourra jamais comprendre, mais seulement accepter. Car c’est en l’autre (tout le monde devrait le savoir, mais le bon sens n’est décidément pas un bon entraîneur) que je peux trouver ce que je veux devenir, c’est à dire ce que je ne suis pas encore, ce que je hais peut-être, ce dont je suis capable. Nul ne sait ce dont il est capable. Mais tout le monde sait qu’il a des capacités comme on dit. Ces capacités frustrées s’appellent « l’individu », ces capacités libérées n’ont pas de nom, car ce sont des « devenirs-autre », qui passent par des individus en dialogue avec eux-mêmes ou avec d’autres, en émulation avec un individu ou un groupe, en confrontation avec un problème ou un agencement d’événements que seul le courage peut vaincre.
Il n’y a pas de plan qui serait bon pour tous. Faisons des plans qui sont déjà bons pour soi et donc pour l’autre qui a besoin de toi. Besoin pour délirer le monde en douceur, pour lire en toi les pages de son destin, pour faire du moins pire une banalité, et du vivant un devoir. Non pas une lutte pour la survie, mais un déploiement de la vie, ce qui dans la vie veut prendre une place à travers un style, et qui a besoin en ça d’être diversifié, multiple, à chaque fois singulier. » Gilles Deleuze.