Lettre ouverte à la nouvelle génération de soignants en psychiatrie.
Dans cette « Lettre ouverte à la nouvelle génération de soignants en psychiatrie » Jérôme Cornier, cadre de santé en psychiatrie exhorte les nouvelles générations à moins de docilité et les invite à « définitivement refuser d’attacher pieds et poings liés un être humain sur un lit car tu sais que ce n’est pas thérapeutique, mais surtout que l’on peut faire autrement. »
Revue Santé Mentale
« Voici une invitation à la désobéissance adressée par un cadre de santé à la nouvelle génération de soignants en psychiatrie. Une seule exhortation : avoir l’audace de désobéir pour défendre la dignité des personnes hospitalisées et trouver l’énergie pour entraîner l’ensemble de la société dans cette belle aventure car on ne fait rien de bon tout seul en psychiatrie. »
Infirmiers.com
Bonjour à toi, oui toi qui vas faire partie de cette génération qui va définitivement bannir des soins psychiatriques la contention physique comme d’autres ont réussi à nous débarrasser de la lobotomie. A toi qui va définitivement refuser d’attacher pieds et poings liés un être humain sur un lit car tu sais que ce n’est pas thérapeutique, mais surtout que l’on peut faire autrement. A toi qui a lu ou va lire qu’au CH de Valvert, cela fait 10 ans que cette pratique d’un autre âge, est interdite. Et à toi enfin qui a peut-être eu la chance de grandir sans te prendre des tartes dans la gueule et qui a la conviction qu’en éducation comme en soin, la parole peut remplacer les maltraitances. Bien entendu éduquer sans user de sévices corporels n’est pas toujours simple mais c’est possible et surtout souhaitable.
Dans une récente publication, une équipe du CH Valvert (Fernández , 2019), souligne un paradoxe de la Haute autorité de santé (HAS) qui préconise une pratique dont elle reconnaît les effets délétères. Qui oserait revendiquer comme bonne pratique aujourd’hui en France le fait de frapper un enfant lors d’une crise, même en dernier recours ?
De plus l’équipe explique dans le même article, que limiter les dispositifs de coercition a comme effet immédiat de calmer les patients. De mémoire, Jean-Baptiste Pussin, surveillant de l’hospice de Bicêtre, avait fait le même constat à la fin du XVIIIème siècle et avait encouragé le Dr Philippe Pinel à faire preuve d’audace et à se fier à la clinique infirmière pour améliorer la condition des agités et révolutionner la psychiatrie.
Pour l’anecdote, pendant la seconde guerre, il fallut vider, à la hâte, les hôpitaux psychiatriques parisiens à l’approche de l’ennemi. Et là, à la grande surprise des soignants, même les patients que l’on croyait tout juste bons à rester dans un lit, ont rapidement retrouvé leur autonomie. Comment expliquer qu’un simple changement de cadre puisse provoquer un tel changement de conduite ? (Mornet, 2014).
J’en suis persuadé, en ce qui concerne l’éthique de notre profession, tu ne renonceras pas à penser la complexité afin d’être un soignant, pas un salaud.
D’Hermann Simon (1921) à Jean-Paul Lanquetin (2019) en passant par François Tosquelles et sa bande, cette question a une réponse simple : pour que le milieu puisse devenir facteur de changement et de développement et non plus de déshumanisation, il est nécessaire de considérer que l’établissement psychiatrique lui-même doit faire l’objet d’attentions et de soins.
Parce que l’environnement est déterminant (Laborit, 1997), l’urgence est de soigner l’ambiance dans les services de soins. La synthèse réalisée par le CRMC (Nicolas, Lanquetin, 2017) permet d’appréhender les trois niveaux de mesures préventives pour éviter d’avoir à restreindre les libertés des usagers. Depuis plus de dix ans, je tente de convaincre ma hiérarchie de tenter une semaine sans contentions, malheureusement en dépit de rencontre avec les équipes, d’interventions, de textes, et même d’activités de recherche, ma proposition a une nouvelle fois été rejetée lors du séminaire cadre de l’année dernière.
Alors, même si je continue à penser qu’écrire est utile et que des articles, comme le dernier de Didier Morisot (2019), sont aussi délectables que nécessaires, j’ai également la conviction que ce ne sera pas suffisant pour impulser un réel changement de pratique. Pour dépasser le dogmatisme et l’incroyable allégeance de la majorité des psychiatres à une politique sécuritaire et néo libérale qui rend possible une insoutenable maltraitance institutionnelle (Gabarron-Garcia, 2015), tu vas devoir faire preuve de courage et t’allier avec les usagers pour imposer un autre imaginaire.
Et c’est pourquoi je compte sur toi pour être moins docile que tes aînés. Car j’en suis persuadé, en ce qui concerne l’éthique de notre profession, tu ne renonceras pas à penser la complexité (Touzet, 2019) afin d’être un soignant, pas un salaud. Et non seulement tu auras l’audace de désobéir pour défendre la dignité des personnes hospitalisées, mais tu trouveras également l’énergie pour entraîner l’ensemble de la société dans cette belle aventure car tu sais qu’on ne fait rien de bon tout seul en psychiatrie.
Merci pour finir à toi d’exister et sache mon impatience à l’idée de te rencontrer. A très bientôt donc !
Tu vas devoir faire preuve de courage et t’allier avec les usagers pour imposer un autre imaginaire.
Jérôme CORNIER
Cadre de santé
jerome.cornierifcs@gmail.com
Bibliographie
- Fernández VI, Karavokyros S, Lagier F, Bauer L, Védie C. (2019). “Soigner sans contention physique, quels enjeux psychiques ? De la contention à la contenance”. Evol psychiatrique; 85(3).
- Gabarron-Garcia, F. (2015). « De la psychothérapie institutionnelle à l’analyse institutionnelle », les contractions de la psychiatrie : expériences labordiennes ». In La psychothérapie institutionnelle, SUD/NORD folies et cultures, N°26. Edition ERES.
- Herman, S. (1921). « La thérapeutique active en hôpital psychiatrique ». Paris, PUF.
- Mornet, J. (2014). « Chapitre V. La psychothérapie institutionnelle ». In, J. Mornet, Une introduction aux psychothérapies (pp. 177-204). Nîmes, France: Champ social.
- Laborit, H. (1997). « La légende des comportements ». Flammarion.
- Lanquetin, J. (2019). « Prévention primaire en psychiatrie, un travail d’ambiance ». Empan ,114(2), 72-78. doi:10.3917/empa.114.0072.
- Nicolas M, Lanquetin JP. (2017). « Isolement et contention : Repères pratiques pour en limiter le recours ». Voiron : CRMC Disponible
- Touzet, P. (2019). « Activités occupationnelles ou activités thérapeutiques, une différenciation complexe ». Soins Psychiatrie, Volume 40, numéro 323.
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