L’expérience de la folie mise au service de la vie
« Je me souviens assez précisément du moment où j’ai enfin pu avoir une lecture plus sereine et plus juste des délires que j’avais vécu dans la maladie bipolaire.
C’était comme d’entendre les premières notes d’une mélodie que j’aimais beaucoup, comme de ressentir les premières vibrations d’une harmonie vitale. C’était vital pour moi d’extraire du diagnostic psychiatrique le trésor que j’avais dérobé à la folie. C’était important de pouvoir ramener cette expérience dans le champ de l’humain pour la mettre au service de la vie. Cela voulait dire guérir et reconquérir mon intégrité.
La manie m’a donné l’impression d’explorer des dimensions insoupçonnables de l’existence. Même si j’ai été diagnostiquée malade mentale et qu’il existe toutes sortes d’explications scientifiques pour expliquer les mécanismes du délire que j’ai traversé, cette expérience reste pour moi énigmatique et fondatrice. Elle a changé en profondeur ma vision des êtres et du monde.
Je reste persuadée qu’il faut apprendre à lire avec plus de justesse et d’intelligence ces phénomènes. Le prisme du diagnostic psychiatrique est pauvre à cet endroit-là. Ce qui ne signifie pas qu’il n’a pas de validité. Mais il ne peut pas être l’unique regard et l’unique réponse à une expérience aussi bouleversante, au risque de laisser celui qui l’a vécu dans un désarroi qui nuirait à son rétablissement.
Un jour, un ami m’a dit « moi je croyais que j’avais vécu et ressenti des choses extraordinaires et mystiques quand j’ai déliré. Et en parlant avec d’autres je me suis rendu compte que c’était comme un schéma qui s’était produit chez tous ceux à qui il est arrivé la même chose qu’à moi ».
C’était mignon, il était tout dépité, comme un enfant à qui on apprend que ce qu’il croit être une pièce d’or est en fait une pièce de monnaie de jeu de société. Je le comprenais, j’avais ressenti ça moi aussi.
Ce qui est extraordinaire au fond, ce n’est pas d’expérimenter des états de conscience modifiés qui donnent l’impression d’être Dieu. Ce qui est extraordinaire, héroïque même, c’est de revenir entier d’une telle expérience et de parvenir à la mettre au service de la vie et de la réalité. C’est la seule façon de prouver qu’au delà de sa forme délirante, cette expérience a une validité.
Prisonnière de la dépression, paralysée par les molécules chimiques, anéantie par le désespoir et l’isolement, elle reste semblable à ce qu’ont vécu tous les illuminés qui ont un jour été enfermés. Elle ne vaut que si elle est mise à l’épreuve de la réalité.
Il existe un chemin entre les affirmations des psychiatres qui disent que ce sont les symptômes de la pathologie et les récits hallucinés de malades surmédicamentés qui semblent n’en être jamais revenus.
Mais pour pouvoir l’emprunter, il faut admettre que la folie, si elle est maladie, est aussi le propre de l’être humain. Elle peut être à l’origine d’une incroyable leçon de vie et faire grandir. Ceux qui la traversent méritent qu’on les aide à entendre cette leçon en dehors de toute considération pathologique. »
DIDIER CELISET
21 février 2016 chez 20 h 14 minDes mots qui me touchent profondément
mathilde
25 février 2016 chez 18 h 26 minmagnifique. en plein dans mes préoccupations actuelles dans mon travail d’accompagnement. merci