Politique et Handicap, sous le prisme de la folie
Notes et références de l’intervention de Joan pour Comme des fous en introduction de la discussion intitulée « Politique et Handicap, consensuel vraiment ? » à l’initiative du Collectif pour la Liberté d’Expression des Autistes (CLE Autistes), le 25 mai 2023 à Montreuil.
« Je vous propose d’aborder le sujet – Politique et Handicap – sous le prisme de la folie. »
On commence par un voyage dans le temps dans les années 1970, du temps du journal Handicapés Méchants pour resituer l’histoire des luttes où handicap et folie étaient déjà entremêlés.
Politiser la question du handicap renvoie au travail de conscientisation des rapports de domination comme l’explique Judi Chamberlin dans son livre On Our Own (Par nos propres moyens) de 1978 où elle introduit aussi le terme de psychophobie, la peur du fol ou du fou.
« La folie dont je veux parler est la folie qui est plus ou moins présente en chacun de nous, et pas seulement la folie qui reçoit un baptême psychiatrique… Donc, quand j’utilise ici le mot « fou », je ne fais pas référence à une race spéciale d’individus : le fou en moi s’adresse au fou en vous dans l’espoir que le premier fou parle suffisamment clair et fort pour que le second l’entende. La folie est un mouvement vers l’autonomie : voilà quel est le « danger » réel de la folie et la raison de sa violente répression. Agir politiquement signifie simplement récupérer ce qui nous a été volé, à commencer par la conscience de notre oppression au sein du système capitaliste. La folie est la révolution permanente dans la vie d’une personne. Tout délire est une déclaration politique. »
David Cooper, Le Langage de la Folie (1977), à qui on doit le terme d’antipsychiatrie même s’il prônait une non-psychiatrie où il renonçait à son métier de psychiatre.
La nécessité de définir ce que l’on entend par antispy.
L’antipsychiatrie c’est quoi ?
L’antipsychiatrie est un courant de pensée politique, social et philosophique construit par et pour les usagers de la psychiatrie. Partant du constat que les droits humains sont plus que souvent bafoués dans les institutions psychiatriques, l’antipsychiatrie amène à la conclusion que le système entier est à revoir – voire, souvent, à abolir.
Elle fait référence au slogan : « Si c’est contraint, c’est pas du soin. »
L’objectif de l’antipsychiatrie n’est ni d’empêcher l’accès au soin, ni de culpabiliser les personnes qui ont recours à la psychiatrie, mais de dénoncer l’hégémonie de cette dernière, et le contrôle social qu’elle opère sur la vie des malades.
Parce que c’est ça l’objectif de l’antipsychiatrie, abolir le contrôle social et la coercition exercés sur les personnes folles. Cela passe par une remise en cause de l’institution psychiatrique et ses dérives violentes (internements abusif, médicamentation forcée, contention, isolement…)
Extrait de la BD : Autopsie des échos dans ma tête, Freaks (octobre 2021).
Quel lien entre troubles de santé mentale et handicap ?
On peut parler d’un handicap invisible, qui fait l’objet d’une invisibilisation, et qui serait quelque chose à cacher.
Faut-il opposer trouble psy et handicap ?
La Loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées introduit la notion de handicap psychique :
« Constitue un handicap au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive, d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant. »
Un exemple de trouble de santé c’est la dépression qui peut s’exprimer par une absence d’énergie + le fait de se sentir empêché + souffrance + difficulté à se concentrer, pour comprendre leur caractère handicapant.
Mais le terme de personne handicapée psychique promu par l’Unafam (Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques) est un contresens. Il serait plus pertinent de parler d’un handicap d’origine psychique plutôt que d’en faire l’essence des personnes vivant avec un ou des troubles psy.
Le handicap peut être aussi la résultante d’un environnement handicapant, qui nécessiterait des aménagements pour ne pas être un désavantage social.
Une nouvelle piste s’ouvre avec les Disability Studies et le croisement des oppressions systémiques.
Le handicap comme la folie sont des constructions sociales.
« Il n’empêche que le handicap est une construction sociale née de la volonté d’un groupe social d’exclure un autre groupe social qui n’est pas considéré comme étant conforme à la norme définie par ceux qui ont le pouvoir de la définir. »
Elisa Rojas, membre du Collectif Lutte et Handicaps pour l’Egalité et l’Emancipation (CLHEE).
Il s’agit de déconstruire et se défaire des conceptions validistes.
Le validisme c’est l’idéologie qui définit le corps valide comme étant la norme.
Le handicap est souvent déterminé socialement par la capacité à travailler dans la société capitaliste. Le travail, quand il n’est qu’exploitation, affecte à la fois nos corps et nos psychés. On ne peut s’empêcher de parler des ESAT, structures ségrégatives qui emploient des « usagers » ne bénéficiant pas du statut de travailleurs·euses et sont victimes d’une exploitation organisée avec la complicité des associations gestionnaires et de l’Etat qui les subventionne.
Dans un système qui veut mettre tout le monde au travail malgré parfois l’incapacité à travailler, la précarité des personnes en situation de handicap est généralisée. Pour survivre, il faut pouvoir accéder à une reconnaissance du handicap pour bénéficier d’aides humaines et financières comme l’Allocation Adulte Handicapé (AAH), qui est sous le seuil de pauvreté et ce, au prix de longues démarches administratives. Sans oublier les personnes sans handicap mais en galère sociale.
Le handicap est-il le privilège de l’homme blanc ? Les personnes les plus sujettes aux oppressions accèdent plus difficilement à la reconnaissance de leur handicap.
Il s’agit aussi de cocher des cases et on se demande comment on sort des catégories pour mener la vie qu’on souhaite quand on est à la fois handi·e et psychiatrisé.
A l’image du discours porté par le Réseau sur l’entente de voix (REV), il s’agit de aussi de dépathologiser nos expériences et nos expressions.
Et déconstruire la normalité pour se rendre compte qu’on est tous des êtres humains, tous différents, et pour que chacun·e puisse apporter librement sa contribution au collectif.
Le handicap n’est pas un sujet apolitique ou neutre.
Alors qu’aucun parti politique en France ne se saisit du handicap de manière pertinente.
Le terme politique peut avoir plusieurs sens. C’est par définition ce qui relève du pouvoir et de l’autorité. C’est le cas pour les « Politiques publiques ».
Qui a le pouvoir concernant le handicap ? Les psychiatres, les associations gestionnaires ? Ou plutôt l’Etat, et les politiques néolibérales, qui a le pouvoir de démanteler l’hôpital public.
Pour nous, faire contre-pouvoir, c’est partir d’une autre définition du politique, comme étant les stratégies collectives pour faire société, sortir de l’individualisation et reprendre le pouvoir sur nos vies.
Nous ne sommes pas des objets de soins mais des sujets (politiques).
La Loi de 2002 sur la démocratie sanitaire met en avant la participation citoyenne des usagers aux politiques qui les concernent mais au final qui nous représente politiquement ? Certaines associations de familles comme l’UNAFAM ont presque exclusivement le pouvoir de représentation des usagers dans les hôpitaux, les familles représentent leurs enfants hospitalisés même à l’âge adulte, ce qui peut sembler au principe d’autodétermination.
Qui fait autorité ? L’ONU ou l’Etat ?
La Convention Relative aux droits des personnes handicapées de l’ONU ratifiée par la France en 2010 est censée faire autorité. Elle introduit la dimension des droits humains comme supérieurs aux intérêts des Etats et recommande la désinstitutionnalisation pour faire respecter des droits comme le consentement, le droit à une vie autonome, à une vie affective, à l’intimité, à choisir son lieu de vie. Mais est-ce que ce nouveau paradigme des droits est effectif ? Certes, il permet de sortir du modèle médical individualisant et de dépasser le modèle social du handicap centré sur l’environnement de la personne.
Il s’agit de sortir de la logique binaire entre autonomie et dépendance et de considérer le droit à une vie autonome comme inaliénable et permettre d’accompagner chaque personne dans ce but, selon sa volonté.
La formation WHO Quality Rights en ligne et gratuite permet d’appréhender rapidement cette démarche qui fait consensus et qui vise à réduire la coercition dans les institutions.
Cependant, le texte censé faire autorité est sujet à interprétations et la plupart des Etats signataires font fi du consentement et du droit à refuser un traitement forcé notamment en cas d’hospitalisation.
Quels sont nos objectifs ?
- Faire respecter les droits humains.
- Considérer les revendications des personnes concernées.
- Conscientiser toutes les formes d’oppression et de discrimination.
- Lutter contre le validisme.
- Prendre position. Résister, ne pas se laisser faire, tenir tête. Rester inadaptables tant qu’il le faudra.
- La justice sociale.
- La désinstitutionnalisation, en finir avec la ségrégation sociale et spatiale.
- L’accessibilité, rendre accessible et en finir avec les barrières sociales pour faire pleinement partie et faire société.
- Ne laisser personne de côté.
- Dépathologiser et dépsychiatriser nos expériences de vie.
- Abolir la psychiatrie, y renoncer comme on renoncerait au capitalisme.
Trouver des alternatives :
L’Open Dialogue, une approche transformatrice du soin, une révolution culturelle à l’échelle systémique : voir le travail audiovisuel et les formations de l’association Underground Psychiatry alias U_P.
L’auto-support, les collectifs d’entraide.
Promouvoir des manières collectives de prendre soin et réinventer collectivement ce qu’on appelle le soin sans sa dimension d’enfermement et de non-droit.
Créer des lieux ouverts, des circulations, créer des liens, faire surgir la possibilité de se rencontrer, d’entrer en contact et d’entrer en relation.
Deux livres inspirants :
Même si c’est un activisme par intermittence et qu’on n’est pas toujours en forme, militer, c’est augmenter sa capacité d’agir, c’est pouvoir prendre la parole, s’émanciper individuellement et collectivement.
Joie militante, carla bergman et Nick Montgomery, traduction Juliette Rousseau paru en 2021.
Le livre Charge de Treize paru en février 2023 œuvre dans le sens de la conscientisation en plus d’être merveilleusement écrit, où chaque mot est pesé.
Pour aller plus loin :
Le Manifeste du Collectif Lutte et Handicap pour l’égalité et l’émancipation (CLHEE)
Elena Chamorro : « Exclure les personnes handicapées, c’est construire une société de privilèges et d’inégalités » où les personnes sont jugées soit vulnérables, soit comme des superhéros et subisse l’injonction au « dépassement de soi et de son handicap ».
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